Mezzo Live HD : 6 > 24 octobre 2014. Anna Netrebko chante Elvira des Puritains de Bellini (Metropolitan Opera de New York 2007). Passionnément romantique, l’Europe et les grands écrivains se mettent au diapason italien… la Mignon de Goethe chante sa fascination pour le spectacle d’un oranger florissant ; Stendhal surtout et sa Chartreuse de … Parme, et même Heine choisissent entre autres Florence et Rome comme décors de leurs intrigues romanesques. Et le russe, Glinka se ressource dans l’opéra italien pour forger l’élan vital de ses propres ouvrages lyriques. En 1835, Bellini avant d’expirer à Puteaux livre son manuscrit d’un nouvel opéra destiné au Théâtre Italien: I Puritani, sommet du génie de Catane, créé la même année à Paris, par quatre des plus grands chanteurs de l’heure, la Grisi, Rubini, Tamburini et Lablache … quatuor vocal légendaire qui demeure depuis emblématique du Paris romantique. Puritains contre royalistes. L’intrigue est très librement et décorativement inspiré du conflit entre Puritains et Royalistes dans l’Angleterre du XVIIe siècle. Elvira, fille d’un gouverneur puritain à été promise en mariage à Riccardo, mais elle est finalement donnée à Arturo, secret partisan des Stuart dont elle est éprise. Cela grâce à l’intervention de son oncle Giorgio auprès du père. Peu avant leur cérémonie de mariage, Arturo retrouve la veuve du roi Enrichetta, reine d’Angleterre : il décide de fuir avec elle. Elvira sombre dans la folie, atteinte et détruite pendant deux actes, jusqu’au retour d’Arturo et sa mort imminente. Les sympathisants des Stuart sont au final pardonnés et le couple retrouve le bonheur. Très peu de drame alors, mais presque 3 heures de belle musique.
Notre avis. Dans la production du Metropolitan, c’est moins la contribution des hommes que la jeune et jolie Anna Netrebko, vive, ardente, certes pas d’un bel canto précis et idéalement nuancé, surtout dans les cabalettes emportées voire échevelées où la diva patine avec des aigus et des intervalles pas toujours très stables, qui pourtant éblouit. Sa candeur, son angélisme blessé touchent particulièrement. Quand il s’agit d’incarner un cœur amoureux détruit, abandonné, la soprano donne tout ce qu’elle a (scène de folie, début du II, soit une demi heure d’extase vocale suspendue où l’héroïne trahie par Arturo – c’est du moins ce qu’elle croit, pense monter à l’autel pour son mariage qui aurait du avoir lieu au I… si Arturo ne l’avait pas abandonné subitement…). Avec le recul sa Leonora verdienne (événement de Berlin en décembre 2013 puis Salzbourg à l’été 2014) a frappé par sa profondeur et sa justesse expressive (le dvd vient de sortir, dans la version berlinoise sous la direction de Barenboim chez DG); en 2007, soit 7 ans avant, la Netrebko est déjà une cantatrice assurée, un sacré tempérament… Etoile du Met, d’une vérité souvent déchirante. La réalisation est d’un classicisme… qui a les avantages de ses inconvénients : pas de mise en scène très pertinente mais sa neutralité sans surprise laisse parfaitement lisible le déroulement de l’action. BONUS : au moment de l’entracte entre les deux actes, René Fleming joue les intervieweuse et pose des questions sensées à la jeune diva austro-russe dans sa loge : » même si je chante pendant 70% de mon texte, Reviens reviens Arturo, je fais attention à mon jeu sur scène » (d’autant que les caméras guettent la moindre maladresse), précise l’envoûtante Anna… On lui sied gré de chanter et de jouer : sa performance n’en a que plus de charme.
Paris, 1835 : le dernier opéra de Bellini. Un hymne pacifiste
L’intrigue se déroule dans l’ Angleterre baroque du XVII eme. Au deuxième acte, parce qu’elle se croit abandonnée et trahie par celui qu’elle aime-, Elvira paraît folle, exhalant une mélodie d’une déchirante pureté qui inspirera un nocturne à Frédéric Chopin. La vogue des Puritains emporta tout avec elle et même Bellini qui fatalement s’éteignit quelques mois après la création en France non loin de Paris, curieusement abandonné de tous. Le génie lyrique ne laissait pas alors son ultime ouvrage : il s’agissait aussi d’ un nouveau sommet de l’opéra romantique italien marquant définitivement l’histoire de l ‘opéra à Paris. Quelques mois plus tard, les parisiens recoivent un second choc bellinien avec la création parisienne de Norma : Bellini était mort mais il n’avait jamais été plus célébré dans la Capitale française.
Le dernier opéra de Vincenzo Bellini (portrait ci-contre) indique clairement de nouvelles évolutions pour l’opéra italien romantique des années 1830: rôles plus aigus, foisonnement dramatique de l’orchestre et vocalità aérienne et suspendue voire crépusculaire d’une pureté absolue, celle là même qui captiva Chopin. Le vrai défi des Puritains comme pour Norma, reste les chanteurs… vrais détenteurs de ce bel canto si difficile à réaliser. Comment retrouver cette couleur et ce style qui n’a rien de commun avec Rossini, qui ne peut se satisfaire de l’abattage verdien ou du vérisme pathétique puccinien? Il s’agit bien de retrouver cet art fragile (morbidezza) entre vocalità et agilità qui s’éloigne de l’idéal rossinien, sans posséder encore le dramatisme verdien.
L’art bellinien étant par excellence celui de la mesure, de la finesse: on est en droit d’attendre de vrais interprètes acteurs et chanteurs, pour qui chanter signifie articuler, phraser, colorer, dire, articuler, respirer le texte. Qu’en sera-t-il par exemple du rôle d’ Arturo Talbot, qui exige un ténor d’agilità et dramatique, alliant vaillance et angélisme, naturel et articulation ? De même pour Elvira, âme loyale et pure, incarnation fragile des héroïnes féminines en proie au déséquilibre mental ? Le personnage de cette jeune âme romantique qui est abandonnée par son fiancé, le jour de ses noces, offre une composition des plus captivantes: Ophélie déchirante, anéantie… son dernier air au I où l’abandonnée, trahie, sombre dans la folie reste un très grand moment psychologique.
Et qu’espérer tout autant du rôle de Giorgio Valton (l’oncle d’Elvira); à la fois protecteur et père de substitution pour une Elivra dont le baryton basse capte les pulsions de folie grandissante…
Il y eut I Capuletti e i Montecchi ; ici, les clans opposés, Puritains réformistes menés par Cromwell, Cavaliers royalistes partisans des Stuart (Valton), défenseurs comme Arturo de la Reine veuve, se déchirent. A ce titre, bien que fiancé à la première fille des Puritains, Arturo le monarchiste sait jurer sa foi et sa fidélité à la Reine qu’on emmène à l’échafaud… Bellini resserre l’effet des contrastes en faisant paraître la jeune fiancée, étendard émotionnel des Puritains en présence du duo des royalistes (la Reine et son champion Arturo): exposition simultanée des tempéraments, totalement génial.
Ecouter les Puritains permet de mesurer le génie lyrique et dramatique du dernier Bellini: il ambitionnait de créer à Paris, l’équivalent de Guillaume Tell, un opéra romantique français digne de ce nom (l’orchestre est plus coloré et délicatement caractérisé, écoutez la place des cors nobles et élégants dès l’ouverture…). Les Puritains marquent évidemment un cap dans son écriture: l’exposition des caractères n’y est jamais artificielle, comme le seront parfois les premiers opéras de Verdi. En choisissant d’intituler son opéra Les Puritains, Bellini se place du côté des “méchants”, ces antiroyalistes (les Valton) dont la métamorphose est le sujet central de l’opéra : pour sauver la santé mentale d’Elvira et son amour, ils savent pardonner à leur pire ennemi Talbot. Un aspect psychologique que l’on oublie souvent (où s’inscrit triomphant telle un nouvel humanisme bellinien désormais assumé : le sentiment de fraternité et de compassion) et qui fait cependant toute la modernité de cette action inspirée du roman gothique romantique…
Le pardon n’est pas donné à tout le monde mais il est comme ici d’un effet salvateur pour la résolution des affrontements et des haines destructrices. Un modèle de message éclairé, philosophiquement évolué qui appliqué à certains conflits (en particulier ceux modernes du Proche Orient) : les frères ennemis peuvent ils se réconcilier ? C’est au prix pourtant d’un pardon croisé que les rivaux peuvent aspirer à la paix : aucun des partis ne peut s’en sortir sans une pacification unilatérale. Cela ne vous rappelle t il pas quelque chose ? Les Puritains est un opéra moderne.
I Puritani avec Anna Netrebko au Met 2007 sur Mezzo Live HD : 6 > 24 octobre 2014.
Diffusion :
06 / 10 – 09h00
08 / 10 – 20h30
09 / 10 – 17h00
10 / 10 – 00h00
10 / 10 – 13h00
20 / 10 – 09h00
22 / 10 – 20h30
23 / 10 – 15h25
24 / 10 – 00h00
24 / 10 – 12h30