Paul McCreesh,
chef d’orchestre
Le 18 juin 2007, le chef londonien fait paraître son nouvel album chez Deustche Grammophon, « The road to paradise« , nouvel aboutissement de ses pérégrinations de « pèlerin musicien », au service des maîtres anciens et modernes, de la forme a cappella. Morceau de bravoure pour son ensemble choral, Gabrieli Consort, le programme, de Taverner, Britten, Bennett à Tallis, Byrd, Sheppard, traverse des plaines ferventes, au total cinq tableaux, véritables étapes spirituelles, ponctuées d’éblouissements, de récueillements, de révélation… jusqu’à, porté par l’appel des cimes et aussi l’ivresse de la lumière, perdre pied. Portrait discographique du chef et de ses troupes, critique du cd, agenda radio de juin et sélection des concerts 2007.
Un chef de la forme et de l’espace
Né à Londres en 1960, McCreesh étudie la musique à l’université de Manchester de 1978 à 1981, avant de fonder les Gabrieli Consort & Players et de faire ses débuts de chef à St. John’s (Smith Square, Londres). Sa performance remarquée aux Proms consacre son talent de leader. Il signe en 1993, un contrat d’exclusivité avec le label Archiv Produktion de Deutsche Grammophon.
Dès lors, son travail interroge les partitions sacrées nécessitant de vastes effectifs, employant musiciens et instrumentistes, dont le dessein esthétique vise l’articulation fervente des dévotions collectives. La lecture des oeuvres s’accompagne d’un intérêt particulier pour leur contexte d’interprétation: lieu, style, circonstance. Chaque projet de Paul McCreesh et de ses Gabrieli Consort & Players s’inscrit dans un climat particulier, en liaison avec la personnalité d’un patron des arts, de sa ferveur particulière: Philippe II, le Duc de Lerme, la Reine Marie…
Leur premier disque «Venetian Vespers» («Vêpres vénitiennes»), comme un avant-goût des réalisations à venir pour Archiv, éclaire la passion d’un homme de culture, soucieux de restituer le contexte spacial et historique des oeuvres abordées. Ainsi les Vêpres vénitiennes regroupent-elles une sélection de partitions cohérentes, chorales et instrumentales, qui auraient pu être jouées pour un office à Saint-Marc, dans la Venise de 1643, celle qui est marquée par la mort de Monteverdi qui en fut maître de chapelle. Réalisation cd et vidéo, «Christmas Mass in Rome» («Messe de Noël à Rome»), enregistrée à Rome en l’église Sainte-Marie-Majeure, avec notamment la Messe «Hodie Christus natus est» de Palestrina, poursuit le travail esthétique et interprétatif de l’office vénitien.
En janvier 1994, McCreesh et son ensemble inaugurent le Festival «Resonance» à Vienne et apparaissent en août au Festival de Lucerne. McCreesh fonde alors le Brinkburn Music Festival: il en est le directeur artistique. L’événement, qui a lieu dans un prieuré du XIIe siècle dans le Northumberland, présente le travail des Gabrieli Consort & Players mais aussi des ensembles invités en même temps qu’un programme pédagogique auprès de jeunes musiciens. Après Venise et Rome, Paul McCreesh fait paraître un nouveau titre de célébration religieuse en 1996. «Christmas Mass», est une messe luthérienne de Michael Praetorius pour le matin de Noël, telle qu’elle aurait pu être donnée aux alentours de 1620.
De Venise à Salzbourg
Une étape est franchie avec la parution en 1996, de «Music for San Rocco» («Musique pour Saint-Roch»), le Saint Patron des Pestiférés, particulièrement honoré dans la Cité des Doges. Les compositions vocales et instrumentales y sont signées, de Giovanni Gabrieli et Bartolomeo Barbarino, enregistrées à la Scuola Grande di San Rocco à Venise. Suit, l’année suivante (1997), la monumentale Missa Salisburgensis à cinquante-deux voix de Biber donnée à la cathédrale St. Paul de Londres et à Saint-Jacques de Compostelle. Paul McCreesh y atteint un équilibre entre masse chorale et instrumentale, parties solistes et ferveur doxologique, au sein d’une volumétrie historique, recomposée avec finesse et rigueur. Un autre projet lié à l’activité de Biber, compositeur pour les princes-archevèques de Salzbourg, verra le jour en 1998, avec la Missa Salisburgensis (avec Reinhard Goebel et Musica Antiqua Köln; Prix Echo, 1999).
Le chef et ses troupes ne s’arrêtent pas là et poursuivent leur chemin de procession avec «Venetian Easter Mass» («Messe de pâques vénitienne») de Lassus et Giovanni Gabrieli, telle qu’elle aurait pu être célébrée en la basilique Saint-Marc aux alentours de 1600, surtout le Messie de Haendel et Solomon de Haendel (1998).
De Venise à Leipzig
Venise, Rome, Salzbourg… mais aussi l’Espagne et les territoires germaniques: le tour européen suivi par le chef questionne la ferveur baroque au travers de ses diverses manifestations et particularités culturelles et géographiques.
Ainsi, un même engagement dans l’expression du sentiment de recueillement paraît pour «Music for Philip II» («Musique pour Philippe II»), contenant la Messe de Requiem (1544) de Morales et le motet Versa est in luctum d’Alonso Lobo, et une «Epiphany Mass» («Messe de l’Épiphanie») telle qu’elle aurait pu être célébrée à Saint-Thomas de Leipzig vers 1740, enregistrée dans des églises de Saxe et contenant en deux disques la Messe en fa majeur, des cantates et des œuvres pour orgue de Jean-Sébastien Bach.
De Haendel à … Beethoven
L’année 2000 permet à Paul McCreesh d’enregistrer Solomon de Haendel, avec Andreas Scholl dans le rôle-titre, et «Christmas Vespers» («Vêpres de Noël»), telles qu’elles auraient pu être célébrées à la cour de Dresde vers 1664, enregistrées dans la cathédrale de Roskilde et comportant l’Histoire de Noël et d’autres œuvres de Heinrich Schütz. Dans le même temps, son enregistrement de Theodora de Haendel paraît, ainsi que la Messe «Cantate» de John Sheppard dans le contexte de la troisième messe de Noël, telle qu’elle aurait pu être célébrée sous le règne de la reine Marie (1553–1558).
Comme chef d’orchestre, Paul McCreesh fait ses débuts au Welsh National Opera pour diriger Orphée de Gluck, suivi d’une nouvelle production d’Albert Herring de Britten à Amsterdam et à La Haye. Il dirige aussi le National Symphony Orchestra à Washington D.C. et le San Francisco Symphony Orchestra.
En 2000/2001, les Gabrieli Consort & Players, sous la tutelle de leur chef, tournent en Espagne, un nouveau programme comprenant des partitions du début du XVII ème siècle: «Music for the Duke of Lerma» (Musique pour le duc de Lerme), œuvres de Cabezón, Romero, Rogier, Guerrero, Urreda, Gaudí et Victoria, à Burgos, Valladolid, l’ancienne ville de Lerme, et le palais historique de l’Escorial à Madrid. Le programme est ensuite enregistré sur place dans la Colegiata de San Pedro, la chapelle de la cour des ducs de Lerme.
Bach, une voix par pupitre
McCreesh aborde aussi Bach dont sa lecture de la Passion selon Saint Matthieu, réalisée avec un double choeur de quatre chanteurs, (l’un de solistes, l’autre de ripienisti) relance la polémique interprétative de l’oeuvre. Le chef adopte l’option du musicologue Joshua Rifkin qui depuis 1981, défend dans l’interprétation de Bach, le concept d’une voix par partie. Sa vision fait mouche tant elle sonne « juste ». Peu à peu, le chef élargit ses expériences lyriques. En 2006, il a dirigé Alcina, Acis et Galatea de Haendel (Berlin), La serva padrona de Pergolesi au Festival de Naples, tout en poursuivant plusieurs années après sa création, le programme “A Venetian Coronation” (à Moscou). En 2005, sont parues Les Vêpres de la Vierge de Claudio Monteverdi (Lire notre critique Les Vêpres de la Vierge par Paul McCreesh. Le chef repousse encore ses frontières chronologiques tout en gardant une affection particulière pour les grandes oeuvres religieuses. Il dirige ainsi la Missa Solemnis de Beethoven, à Innsbruck, Londres et Paris, au Wratislavia Cantans Festival (dont McCreesh est directeur artistique).
CD
The road to paradise. La voie vers la paix ultime est longue, difficile, semée d’embûches. Rien n’est plus fragile que la condition humaine. Pourtant la prière de l’humble voyageur retentit ici avec sincérité, comme une élévation progressive. Choix réfléchi des partitions chorales qui dessine comme un chemin spirituel par étapes (5 tableaux thématisés), retraçant la route du pèlerin, de la ferveur aux doutes, de la révélation et la lumière… Elévation et engagement des choristes: tout indique le soin et le souci de Paul McCreesh qui peut demander à peu près tout de ses chanteurs (1 cd Deutsch Grammophon). Parution en France le 18 juin 2007.
Lire notre critique de The road to Paradise. Visitez le site des Gabrieli Consort Players et de Paul McCreesh
Concerts
Le 16 juin 2007 à 16h
Maison de Radio France
Mendelssohn: Ouverture « Les Hébrides »
Mozart: Concerto pour piano n°17
Beethoven: Symphonie n°6 « Pastorale »
Orchestre Philharmonique de Radio France. Hélène Couvert, piano.
Le 7 juillet 2007 à 21h
Festival de Musique baroque de Beaune
Purcell: Trois Odes pour Sainte Cécile (Haill, bright Cecilia)
Carolyn Sampson, Lawrence Zazzo, Mark Padmore… The Gabrieli Consort & Players
Le 19 octobre 2007 à 20h
Paris, Salle Pleyel
Beethoven: Missa Solemnis
Miah Persson, Christianne Stotijn, Werner Güra, Neal Davies… The Gabrieli Consort & Players
Radio
Paul McCreesh sur France Musique
Mercredi 6 juin 2007 à 10h
Haendel: Acis et Galatée
The Gabrieli Consort & Players
Paul McCreesh, direction
Concert enregistré le 23 avril 2007
Paris, Théâtre des Champs-Elysées
Dimanche 24 juin 2007 à 12h
Concert enregistré le 16 juin 2007
Paris, Maison de Radio France
Mendelssohn: Ouverture « Les Hébrides »
Mozart: Concerto pour piano n°17
Beethoven: Symphonie n°6 « Pastorale »
Hélène Couvert, piano
Orchestre Philharmonique de Radio France
Paul McCreesh, direction
Discographie sélective
Georg Friedrich Haendel, Le Messie
Voilà déjà 10 ans, Paul McCreesh abordait l’oratorio haendélien qui s’imposa peu à peu auprès de l’auditoire de Londres. Au point que pendant longtemps, Haendel n’était plus le compositeur que d’une seule oeuvre: Le Messie (1741). Haendel a alors 54 ans. Après ses déboires financiers sur la scène de l’opéra italien, l’oratorio est la forme de sa résurrection. Saul, Israël en Egypte et surtout Le Messie attestent de son génie intact. McCreesh lit le texte de Jennens avec une sensibilité articulée, expert dans les dosages instrumentaux, l’équilibre des parties (choeur/solistes), d’autant que les choristes des Gabrieli consort & players sont à leur meilleur. Le chef anglais a choisi la « Foudling Hospital version » de 1754. Le trio féminin est incandescent: Röschmann, Gritton, Fink ensorcellent, captivent, portent l’hommage des hommes au miracle divin. A contrario des Passions de Bach où le ferveur inquiète succombe souvent, ici, l’élan des prières conjointes célèbre la lumière du Sauveur et son essence miraculeuse. Chef et musiciens entonnent une éblouissante fresque du ravissement et de la jubilation ( 2 cd Archiv, 1997).Jean-Sebastien Bach, Passion selon Saint-Matthieu
Version audacieuse que certains ont immédiatement jeté au feu, criant au scandale blasphématoire. McCreesh, fidèle émule du musicologue Joshua Rifkin, plonge dans l’expressionnisme fervent de la Passion, avec cet esthétisme typically british, une distance faite d’élégance et de mesure poétique, à mille coudées de l’âpre désespérance d’Harnoncourt. Lecture de vitrail, propre et lisse: pas seulement. L’option des chanteurs se révèle des plus stimulantes par sa cohérence et son impact chambriste. Ici, une voix par pupitre. L’allègement qui s’en ressent, focalise la tension sur le sens du verbe et l’intimité dramatique des timbres, voix et instruments. La vocalité des chanteurs s’en trouve renforcée et s’agissant de Magdalena Kozena, Mark Padmore, Peter Harvey ou James Gilchrist, la projection des textes et leur humanisme bouleversant, touchent en plein coeur. Au delà des querelles des versions musicales, face à un monument conçu entre 1727 et 1736, visiblement repris en de nombreuses fois, McCreesh convainc par son hédonisme et l’originalité du propos qui en définitive, selon nous, ne dénature en rien, ni la violence du texte ni la force du sentiment de compassion qui s’en dégage (2 cd Archiv, 2003).
Crédit photographique
Paul McCreesh © Sheila Rock 2002