jeudi 24 avril 2025

Christian Zacharias, piano et direction. ONLLyon et Chambéry. Les 24 et 25 mai 2007

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Christian Zacharias;
,
direction & piano

Un concert de Christian Zacharias n’est jamais banal, et pas seulement
parce que ce grand pianiste pratique depuis longtemps la direction
d’orchestre tout en dirigeant du clavier s’il est en situation de
concertiste. A Lyon et à Chambéry, le voici en tout cas à la tête de
l’ONL dans un programme Mozart (21e concerto), Stravinsky (Pulcinella)
et Haydn (la 100e symphonie, dont il devrait interroger les
arrière-plans complexes).

Haydn,
Symphonie n°100
Mozart,
Concerto pour piano n°21
Stravinsky,
Pulcinella

Orchestre National de Lyon

Lyon, Auditorium
Jeudi 24 mai 2007 à 20h30

Chambéry, Espace Malraux
Vendredi 25 mai 2007 à 20h30

Bilinguisme et poétique

Le pianiste Christian Zacharias n’a pas un parcours tout à fait classique. Ne serait-ce que par sa naissance (1950), sous une étoile si lointaine, en Inde : parents allemands – le père, ingénieur, y passa vingt ans de sa vie et s’y maria -, et retour en Allemagne Fédérale à l’âge de deux ans. Le jeune Christian commence à sept ans le piano, et 4 ans plus tard entre dans la classe d’une pianiste russe exilée, Irène Slavin, dont la carrière (discrète) et l’enseignement original ont une influence décisive sur sa formation musicale et générale. En plus du piano, le voici dès 19 ans diplômé d’harmonie, de contrepoint, d’analyse, d’orchestration et de composition, et lancé » dans une carrière brillante de concertiste: concours de Genève, Van Cliburn aux Etats-Unis, et Ravel à Paris, car il a été disciple du grand Vlado Perlemuter. Ensuite viendront les interventions solistes au sein des ensembles les plus prestigieux, et aussi un travail de formation en direction d’orchestre qui lui permet désormais d’être parmi les chefs importants de l’époque. Un choix aussi d’animation permanente : depuis 7 ans, il est directeur artistique et chef de l’Orchestre de chambre de Lausanne. Son bilinguisme –allemand et français – n’est pas seulement d’ordre pratique : c’est surtout une imposante culture, notamment littéraire et romantique, dont bénéficient les spectateurs des concerts où il est avec un plaisir et un talent évidents conférencier avant de passer au clavier et à la baguette. On souligne cela d’emblée parce que ce soliste hors normes aime réfléchir, s’interroger sur le sens profond des œuvres, que ses enregistrements font autorité (sonates de Scarlatti, Mozart, Schubert, concertos de Mozart ; films TV sur Scarlatti, Schumann…) et qu’il a écrit un « essai d’une poétique de l’univers sonore chez Schubert »…

Une Militaire qui n’est pas la gloire des armées

Le programme lyonnais qu’il propose cette année – il était déjà venu en 2004 pour l’O.N.L. – n’implique pas seulement la navette entre clavier et pupitre, pour le 19e concerto de Mozart. Il est au cœur des préoccupations de Christian Zacharias, pour qui il ne saurait y avoir d’acte musicien hors d’une pensée à construire et remettre en cause. Cette fois, cela semble « facettes et suite du classicisme », séduction sonore avec un zeste de pré-romantisme dans l’adagio du concerto. Mais prenez la symphonie de Haydn, un chiffrage tout rond (la 100e), et un surnom (la Militaire) qui semblerait la classer dans les effets pittoresques. Encore une gaminerie du « bon papa Haydn » en voyage à Londres , et qui épate son public de 1794 : « des torrents d’applaudissements, des « encore ! encore ! encore ! », les dames elles-mêmes ( !) ne pouvaient se retenir, un sommet de sublimité horrible… » Et justement, le sublime de la tringlerie, de la ferraille, de la détonation, de la terreur ne manque pas de poser un problème d’ordre éthico-musical, pour qui voit plus loin que le bout de son nez flairant la bonne odeur de poudre. Certes Haydn ne risquait pas d’avoir lu les pages récentes de l’Anglais Burke sur le sublime et la beauté, ce n’était pas sa tasse de thé que la théorie philosophique, et donc pas davantage la définition du concept par le promeneur de Koenigsberg, alias Emmanuel Kant : « Ce qui, du fait même qu’on le conçoit, est l’indice d’une faculté de l’âme qui surpasse toute mesure des sens ». Mais le bon papa n’était pas un niais, seulement occupé à ses fonctions de domestique et ses dosages de timbres chez les Esterhazy : génial co-créateur de structures (le Quatuor moderne, la forme sonate, la symphonie classique…), il inscrivait aussi « son temps » dans l’écriture. La « Militaire », avec ses irruptions brutales des bruits de bottes et d’artillerie, n’est sans doute pas qu’un catalogue d’effets – pas plus que les turqueries instrumentales de Mozart dans l’Enlèvement au Sérail ne peuvent occulter leur « message » d’angoisse et de désir libertaire – : c’est bien la guerre, l’affrontement de la force, les progrès « technologiques », la présence de la mort qui passent. Réalisme descriptif, rythmique terrifiante dans sa précision, bouffées délirantes des hommes aux prises avec leurs ennemis et leur condition…humaine, tout cela se conjugue, en arrière-plan. Haydn « en mourra », quand les troupes de Napoléon feront le siège de Vienne en 1809, lui que son adhésion de 1785 à la franc-maçonnerie rapprochait de la fraternité et des progrès spirituels.

Candide et Pulcinella

Bref, il y a présomption de non innocence des bruits guerriers dans la 100e, et les 4 mouvements, directement ou dans le climat d’incroyable tension de toute l’œuvre, témoignent de cette imprégnation. Comme dit Voltaire dans Candide: « la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ 9 à 10.000 coquins qui en infectaient la surface, et la baïonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers. » Plus tard, pourquoi pas d’autres rendez-vous ? Richtérien (Jean-Paul, le romancier favori de Schumann), avec son terrible rêve, qui décrit en 7 stations l’affreuse « boudinée du champ de bataille » . Stendhalien avec Fabrice errant dans Waterloo incohérent, tolstoïen avec le Prince André mortellement blessé à Borodino, et kubrickien pour Barry Lindon ? En écoutant comment, bien probablement, .Zacharias « témoigne » de ces arrière-plans, (Leonard Bernstein puis Nikolaus Harnoncourt l’ont fait dans leurs enregistrements des symphonies de Haydn…), l’auditeur ne pourra que prolonger sa propre interrogation sur le sens de cette partie du concert. Ce sera « plus simple », ou du moins plus évident pour le 19e concerto de Mozart, dont la charge poétique culmine dans un andante « sublime » (d’une autre façon, bien sûr, et dans le recueillement), mais aussi un allegro d’affrontement dramaturgique au destin, et où un finale d’opéra-bouffe déconcerte par son relâchement désinvolte des tensions. Quant à la musique pour ballet que Stravinsky écrit en 1919 sous le titre de Pulcinella, elle brille de toute la gaieté de ses couleurs nettes, de la référence à la Commedia dell’arte, aux correspondances avec Diaghilev et Picasso, d’ailleurs affrontés sur le climat de l’adaptation visuelle. Et pose la question du néo-classicisme ( baroquisme serait aussi juste en cette adaptation de Pergolèse) comme tonique ou…calmant du génie stravinskyen sept ans après les violences iconoclastes du Sacre….

Information

Lyon, Auditorium: 04 78 95 95 95 ou ww.auditorium-lyon.com
Chambéry : 04 79 85 55 43 ou www.espacemalraux-chambery.fr

Crédit photographique
Christian Zacharias © N.Chuard / Idd
Christian Zacharias (DR)
Igor Stravinsky à Venise (DR)

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