Misato Mochizuki,
Le fil blanc de la cascade
(Mizogushi, 1933)
Paris, Auditorium du Louvre
Festival Agora 2007
Les 15 et 16 juin 2007 à 20h30
Le 17 juin 2007 à 16h
Dans le cadre du Festival Agora, au sein du chapitre « Exotica:Japon », l’Auditorium du Louvre présente les 15,16 et 17 juin 2007, la projection du film muet en noir et blanc, de Kenji Mizoguchi « le fil blanc de la cascade » (Taki no Shiraito, The Water Magician, 1933). Evénement de l’agenda musical parisien, au chapitres des créations mondiales, la musique composée pour « 6 instruments et électronique » par la jeune compositrice japonaise, née en 1969 à Tokyo, Misato Mochizuki. Jurjen Hempel, à la tête de l’Ensemble Contrechamps interprète la nouvelle partition d’une compositrice qui n’en est pas à sa première incursion au cinéma et dont sera créé à l’automne 2007, à la Biennale Musica di Venezia, sa prochaine partition, autour d’un autre film muet de Le retour à la raison de Man Ray.
Peinture suggestive de la tension psychologique
A la demande de l’Auditorium du Louvre, Misato Mochizuki, a choisi et mis en musique le film de Kenji Mizoguchi (1888-1956), « Le fil blanc de la cascade », drame passionnel qui offre un miroir des conflits sociaux au Japon, rehaussé par le désir d’émancipation d’une femme contre le système phalocrate et les convenances d’une société vérouillée. Agé de 45 ans, Mizoguchi poursuit alors avec acuité, une lecture critique sociale du Japon. Le film marque dans la carrière du cinéaste, l’aboutissement de sa période muette: entre réalisme et esthétisme, l’écriture serrée du scénario en font l’un de ses premiers chef-d’oeuvres.
La jeune compositrice, premier prix de composition en 1995 au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, a suivi les cours d’approfondissement de l’Ircam pendant deux années, jusqu’en 1997. Le visionage et le choix du film « Le fil blanc de la cascade » se sont déroulés au National Film center de Tokyo qui présente pour la projection du Louvre, une version restaurée de la pellicule. La peinture détaillée des conflits psychologiques que le cinéaste exprime avec économie et précision trouve dans la composition de Misato Mochizuki des parallèles éloquents, en particulier dans le choix des instruments requis: shakuhachi, shamisen et koto, électronique et instruments occidentaux (violon, harpe). Les timbres des instruments japonais renforcent le réalisme des scènes. Le travail de Misato Mochizuki sait éviter l’anecdote en n’illustrant jamais chaque effet de caméra: au souffle épique d’un Mizogushi qui soigne ses plans-séquences, ses effets panoramiques (la continuité du flux visuel est une constante propre aux arts visuels japonais, en particulier si l’on songe aux compositions des paravents ou des peintures japonais qui abolissent la délimitation des perspectives), la compositrice japonaise développe pour sa part, une action musicale propre, volontairement discrète et évocatoire, dont climats et flux millimétrés, dialoguent avec le déroulement de l’action filmique.
Fil tragique sous-jacent et féminisme déclaréC’est un art de la suggestion qui renforce la beauté des images et exprime ce qui est le propre des films de Mizoguchi, leur dynamisme rentré, leur activité souterraine en rapport avec les frustrations et les désirs, cet esprit de la catastrophe qui se voit moins qu’il ne se ressent. Au final, la musique met en lumière le fil tragique sous-jacent à chaque tableau. Sous l’enveloppe des formes et des objets, il s’agit de capter et de saisir le frémissement d’une intention, d’une expression, indices en filigrane d’un drame qui se précise jusqu’à sa résolution… » Je n’ai pas voulu souligner excessivement les sentiments exprimés par les images, car elles se suffisent à elles-mêmes. Ma musique se veut un indice et un soutien minimum qui ne perturbe ni la vue ni l’imagination du spectateur« , précise Misato Mochizuki. Mais le propos de la musicienne n’est pas que dans le soin formel de son écriture qui sait accorder timbres extrêmes-orientaux et instrumentarium occidental. Son travail est en résonance de l’engagement voire du féminisme de Mizoguchi qui ose en 1933, contre la rigueur du système social japonais, représenter l’insoumission d’une femme. Mizoguchi est resté toute sa vie marqué par le destin de sa soeur, vendue par ses parents à l’âge de 14 ans aux propriétaires d’une maison de geishas. Le jeune femme devait par la suite épouser un aristocrate. Cette série de catastrophes, révélant la fragilité de la condition féminine est la clé de son oeuvre. C’est aussi une données cruciale de la vie du cinéaste qui offre dans sa narration cinématographique, la figure d’une transgression réussie. Vendue puis soumise, toute femme peut se libérer. Mizoguchi milite pour l’émancipation de l’être contre l’échec du fatalisme. Sa vision critique de la société comme son regard sans complaisance sur les relations homme/femme, seront approfondis encore dans les films postérieurs (dont Conte des chrysanthèmes tardifs de 1939, et surtout La vie de Oharu, femme galante, de 1952, récompensé à la Mostra de Venise et à Berlin). Le cinéaste éprouve de la tendresse pour ses héroïnes. Il en partage les épreuves et les humiliations et dévoile le plus souvent leur assujetissement au sein du système patriarcal, dominé par le sexe et l’argent. Mizoguchi militera avec force pour le droit de vote des japonaises. En 2007, le fait qu’une compositrice offre un « commentaire musical » à son film de 1933, souligne avec acuité l’implication du cinéaste, la justesse et la modernité de son oeuvre, tant à l’écran que sur la scène sociale et politique.
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Agenda
Musique pour le film Le fil blanc de la cascade de Kenji Mizoguchi (Japon, 1933, noir et blanc, 1h41mn). Création mondiale. Les 15 et 16 juin 2007 à 20h30, le 17 juin à 16h. Paris, Auditorium du Louvre. Festival Agora
Musique pour le film Retour à la raison de Man Ray
Création mondiale. Le 10 octobre 2007à Venise, puis le
1er novembre 2007 à Vienne.
Crédit photographique
(1) Kenji Mizoguchi, La Vie de Oharu, femme Galante (1952). Ours d’argent au Festival de Berlin de 1952, La vie d’Oharu, femme galante prend parti pour la femme dont le film, à l’époque féodale, souligne l’état d’avilissement et de servitude.
(2) Le fil blanc de la Cascade. 2ème film muet de Mizoguchi conservé à ce jour, et 60 ème film de son abondante filmographie. C’est le dernier film muet du maître et à ce titre l’aboutissement de son travail dans ce registre, avant l’essor du film parlant.