Compte rendu, concert. Dijon, Opéra, auditorium, le 6 mai 2018. CPE Bach, Mozart, Schubert, Chopin, Liszt, Stravinsky, Alexander Melnikov, piano. De la démarche empruntée, embarrassée, tout comme l’expression physique, rien ne subsiste lorsque Alexander Melnikov se trouve devant un clavier, on le sait bien. Ce soir, c’est devant cinq claviers (Walter, Simon, Pleyel, Blüthner et Steinway) que l’ancien élève de Naumov et de Richter va s’épanouir et nous offrir un panorama de 150 ans de littérature pour piano. Premier jalon : la fantaisie en fa dièse mineur Wq 67 de Carl Philipp Emanuel Bach. La rêverie, l’emportement, la gravité, assortis de silences dramatiques, de surprises harmoniques et de traits plus brillants les uns que les autres, sont rendus par un jeu quasi improvisé.
Alexander Melnikov, Impérial et révolutionnaire
Emouvant et éblouissant d’aisance et de justesse stylistique, ce seront aussi les qualités de la Fantaisie en ut mineur de Mozart, où la liberté, la souplesse du jeu, la délicatesse comme la rage, assortis d’une ornementation discrète emportent l’adhésion, sinon l’enthousiasme. L’œuvre est proprement habitée par un grand maître. Passant d’un piano-forte copie de Walter à un Simon (Vienne, ca. 1825), nous allons écouter une Wanderer-Fantasie également magistrale. Le discours vit intensément, l’allegro con fuoco est flamboyant, l’adagio, sans concession aux épanchements ajoutés, le scherzo nous emportent, quant à la fugue qui ouvre le finale, l’a-t-on jouée plus puissante, claire, sans lourdeur, avec une coda à couper le souffle ? Les Etudes de l’opus 10 de Chopin seront jouées sur un magnifique Pleyel, comme il se doit. Toujours, que l’étude soit vigoureuse, énergique comme la Révolutionnaire, tourmentée, sombre, ou délicate, c’est à une redécouverte que nous entraîne Alexander Melnikov. Lyrique, mais débarrassé de sensiblerie ou d’affectation, son jeu clair, puissant, fait chanter les lignes, avec des ornementations cristallines. La lisibilité des plans, le choix des tempi, les phrasés, tout témoigne d’une intelligence rare du texte. Cette généreuse première partie nous laisse dans un profond bonheur, avec la sensation de s’être décrassé les oreilles, et, malgré des saluts toujours un peu raides et une expression impassible, les ovations du public sont longues et chaleureuses.
Le programme annoncé depuis le début de la saison, intitulé « Fantaisie à 5 claviers », a subi quelques modifications. Nous y avons perdu la Fantaisie chromatique et fugue de Bach, celle en fa mineur de Chopin, l’opus 116 de Brahms, Scriabine et Schnittke. Mais les Etudes op 10 de Chopin, les réminiscences de Don Juan de Liszt, et les trois scènes de Pétrouchka, de Stravinsky, sans compter le bis (l’intermezzo n°2 de l’op 116) de Brahms, sont autant de bonheurs. C’est le grand Blüthner de 1856 qui restituera les Réminiscences de Don Juan, de Liszt. Magnifique interprétation, qui renvoie à Mozart, par la délicatesse juvénile de Zerline comme par la séduction et l’autorité du Comte, mais porte évidemment la marque de ce géant du clavier que fut Liszt. La virtuosité diabolique de l’immense coda sur « Là ci darem la mano » nous emporte. Les trois scènes de Petrouchka, de Stravinsky, vont couronner ce mémorable récital (sur le Steinway). La Danse russe, avec un piano percussif à souhait, nous vaut des couleurs, des contrastes accusés, qui soulignent la modernité de l’ouvrage. Chez Petrouchka, la tendresse, la force et le burlesque le disputent et confirmeraient si besoin était les moyens superlatifs et l’intelligence musicale d’Alexander Melnikov. La Semaine grasse est foisonnante, subtile, aux polyphonies toujours claires, servie par une prodigieuse technique. La salle exulte, le pianiste sourit – enfin – et, après quelques mots, offre le magnifique intermezzo en la mineur de Brahms.
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Compte rendu, concert. Dijon, Opéra, auditorium, le 6 mai 2018. CPE Bach, Mozart, Schubert, Chopin, Liszt, Stravinsky, Alexander Melnikov, piano.