CD événement, critique. BACH, « flûtes en fugue ». Consort BROUILLAMINI : Consort de flûtes – 1 cd PARATY. CONSORT JUBILATOIRE… Voilà 5 flûtistes solistes de premier plan qui savent « jouter » et se dépasser dans l’art du consort dont la pratique est attestée depuis… La Renaissance. Rien de nouveau sous le soleil, mais encore fallait-il maîtriser les tubes pour atteindre à cette excellence dans le jeu concertant, chambriste, où l’écoute collective et l’équilibre sonore sont fondamentaux. Au XVIè (et jusqu’à Lully), il n’était pas rare que les instruments regroupés en famille, se substituent aux voix dans le cas de participation à 4, 5 chanteurs. Le jeu du Consort Brouillamini n’a donc rien d’exceptionnel : on peut même se féliciter qu’ils ressuscitent une pratique ordinaire dans le passé. Leur audace concerne plutôt le choix des transcriptions ici réalisées. Oser BACH relève du pari le plus ambitieux car il ne faut pas se rater.
Or le geste tout en fluide complicité assure aux 5 solistes, un chant simultané à 5 parties d’une étonnante énergie, volubile, loquace, d’autant que l’impressionnant instrumentarium requis pour l’exercice (flûtes alto et basse en fa ; ténor et soprano en do, flûtes de voix, …) ajoute une variété de timbres et de nuances sonores (tubes en buis, grenadille, érable, ébène ou poirier…) qui au-delà de la caractérisation expressive très réussie, accrédite par exemple la transposition des deux concertos pour orgue (BWV 593 et 972) : de tubes en tubes, de « flûtes en fugue », l’idée ne trahit pas le caractère ni la sonorité d’origine : elle sublime même l’invention d’un Bach lui-même habile à transcrire, transposer, recycler en permanence, ses propres motifs (son Magnificat dont il existe 2 versions : mib majeur de 1723 ; ré majeur de 1733 ; entre temps les 2 flûtes à bec de l’Esurientes ont été en 1733 remplacées par des flûtes traversières), comme ceux des autres (Vivaldi en particulier avec le succès que l’on sait). Avant l’avènement du jeu soliste et de la basse continu au cours du XVIIè, le jeu renaissant exalte la diversité des timbres mêlés ; à la fois mosaïque, sublime tapisserie et constellation concertante. Même dans les 2 cantates, les flûtes projettent une rondeur vocale qui évoque le texte sacré avec une tendresse d’intonation, là aussi très convaincante.
Ivresse et vertiges d’un consort de flûtes
TRANSCRIPTIONS RECREATIVES…
Ce qui marque l’esprit ici ce n’est pas tant l’habileté (et l’originalité) des transcriptions proposées (à 5 parties donc, quand jusque là le groupe de 3 ou 4 flûtes était plus familier), que l’agilité du geste collectif : une énergie sonore et articulée qui ne cesse de relancer la vitalité essentielle à chaque pièce collectée et reformulée (dans les tonalités les plus adaptées selon les instruments finaux).
On y décèle la place historiquement informée de la flûte à bec alto, élément majeur dans les Concertos Brandebourgeois par exemple, comme ses cantates et la Saint-Matthieu.
Les Brouillamini excelle dans l’exercice de la transcription : réussissant surtout et le défi de l’adaptation (c’est le cas des deux Chorals, du Prélude et de la fugue choisis dans « Le Clavier bien tempéré »), surtout celui de la réécriture / arrangement quand ici, il faut réécrire le texte musical pour qu’à 5 parties, l’écriture semble couler de source… et approcher au mieux le jeu du claviériste, d’une flûte à l’autre, dans le cas des Concertos, pour clavecin et pour orgue. Dans la plupart des cas, l’écriture de la partie soliste originelle dépasse l’ambitus d’une flûte : Brouillamini excelle à tisser la même ligne mélodique d’une flûte à l’autre, n’hésitant pas le cas échéant à « remodeler » les lignes originelles trop « violonistiques » ou « claviéristes » afin de les rendre plus « flûtistiques ». Mais comme il est écrit dans l’excellente notice d’accompagnement aux oeuvres présentées : Bach ne faisait-il pas de même quand il transcrivait un concerto pour violon de Vivaldi, en l’adaptant pour le clavier, quitte à resculpter la ligne mélodique afin de la rendre évidente pour l’instrument soliste final ?
Autant de conceptions esthétiques comme de défis techniques qui renforcent au final l’étonnante fluidité collective dont nous avons parlé en début de commentaire.
Le sous titre de ce cd rafraîchissant et virtuose, « flûtes en fugue » donne une autre clé pour comprendre les enjeux et la démarche de Brouillamini : les jeunes instrumentistes n’ont pas hésité à enrichir le contrepoint des pièces à l’origine à 3 ou 4 parties, en ajoutant une ligne supplémentaire : ainsi le BWV 972 (pour orgue) que Bach écrit d’après Vivaldi. Le jeu, l’audace, la culture inventive de Brouillamini fusionnent en réalité la connaissance des deux Concertos baroques, Bach et Vivaldi, et y ajoutent leurs épices propres : c’est à dire plusieurs voix colorant spécifiquement l’écriture ainsi renouvelée. Alors qu’apporte de la même façon la 5è voix ajoutée (flûte basse) dans la ritournelle (3è mouvement) du Concerto pour deux clavecins BWV 1060 composée initialement à 4 voix ? Il suffit d’écouter ce flux régénéré qui semble couler de lui-même, en verve et en poésie. Agilité, profondeur, subtilité miroitante… prolongement naturel et respectueux du Bach le mieux inspiré, à la fois expérimental et défricheur… les Brouillamini transcripteurs apportent un vent nouveau et une pensée collective très séduisante dans le paysage musical actuel. Chapeau bas. CLIC de CLASSIQUENEWS de mai et juin 2018.
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CD événement, critique. BROUILLAMINI : Jean-Sébastien BACH, « flûtes en fugue ». Consort de (5) flûtes – 1 cd PARATY 218168 / 56:28 mn – CLIC de CLASSIQUENEWS de mai et juin 2018.
Consort Brouillamini :
Guillaume Beaulieu, Virginie Botty, Elise Ferrière, Florian Gazagne, Aránzazu Nieto Vidaurrázaga
Track listing / programme des oeuvre et instrumentarium :
Concerto pour clavecin en sol mineur BWV 1058, (transposé en ut mineur)
(Allegro) 3’45
Andante 5’21
Allegro assai 3’58
Prélude en si b mineur BWV 867, (transposé en ré mineur)
(Extraits du Clavier bien tempéré Livre I) 2’41
Fugue en do # mineur BWV 849, (transposé en ré mineur)
(Extraits du Clavier bien tempéré Livre I) 2’35
Concerto pour orgue en la mineur BWV 593, (transposé en ré mineur)
(D’après le Concerto pour deux violons en la mineur d’Antonio Vivaldi RV 522)
(Allegro) 3’20
Adagio 2’54
Allegro 3’15
Concerto pour deux clavecins en ut mineur BWV 1060, (transposé en fa mineur)
Allegro 4’46
Adagio 4’37
Allegro 3’39
Dies sind die heilgen zehn Gebot » BWV 678 3’56
Nun komm der Heiden Heiland » BWV 659 3’42
Concerto pour orgue en ré majeur BWV 972, (transposé en sol majeur)
(D’après le Concerto pour violon d’Antonio Vivaldi RV 230)
(Allegro) 2’11
Larghetto 3’30
Allegro 2’09
Transcriptions réalisées par les musiciens du Consort Brouillamini
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Liste des instruments :
Ernst Meyer, Montreuil (France)
Alto en fa 440Hz d’après Denner en grenadille, 2014 [9-11 ; 12 ; 14-16]
Alto en fa 440Hz d’après Denner en buis, 2010 [1-3 ; 6-11 ; 14-16]
Alto en fa 440Hz d’après Denner en buis, 2009 [1-5 ; 10 ; 12-13]
Alto en fa 440Hz d’après Bressan en buis, 2015 [6-8]
Flûte de voix 440Hz d’après Bressan en buis, 2014 [2]
Flûte de voix 415Hz d’après Bressan en érable teinté, 2005 [1 ; 3 ; 9 ; 11]
Ténor en do 440Hz d’après Bressan en érable, 2006 [4-5 ; 6-8 ; 12-16]
Moeck, Celle (Allemagne)
Soprano en do 440Hz d’après Rottenburgh en ébène, 2016 [5 ; 10 ; 12]
Mollenhauer, Fulda (Allemagne)
Soprano en do 440Hz d’après Denner en buis, 2013 [5 ; 7]
Alto en fa 440Hz d’après Denner en poirier révisée par Patrice Allain, 2015 [4]
Grande basse en do 440Hz d’après Denner en poirier, 2014 [1-3 ; 6-11 ; 14-16]
Grande basse en do 440Hz d’après Denner en poirier, 2016 [4-5 ; 12-13]
Jean Luc Boudreau – Aesthé (Canada)
Basse en fa 440Hz en érable, 2012 [1-3 ; 6-11 ; 14-16]
Basse en fa 440Hz en érable, 2007 [4-5 ; 12-13]
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APPROFONDIR :
Le CONSORT BROUILLAMINI en vidéo et en concert
BROUILLAMINI : 5 flûtes en verve, un esprit d’exploration, l’audace de transcriptions inventives… le cocktail incarné par le consort de flûtes BROUILLAMINI fait souffler un vent neuf sur l’interprétation baroque. Ces 5 flûtistes ont du tempérament à en revendre et la sûre volonté de mener leurs auditeurs au delà des frontières connues. Leur récent cd édité chez PARATY, dédié à Jean-Sébastien Bach, ne fait pas que rendre hommage au génie de l’auteur des Goldberg ou du Clavier bien tempéré ; il s’agit aussi de revivifier un son et une écriture que l’on pensait connaître totalement. Prochaine critique du cd Brouillamini : Jean-Sébastien BACH /Flûtes en fugue, dans le mag cd dvd livres de classiquenews. VOIR le teaser vidéo, découvrir les concerts 2018