mercredi 23 avril 2025

Franz Schubert (1797-1828): biographie

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Franz Schubert
(1797-1828)

Schubert, une passion française

Voilà plus de trente ans que la passion Schubert s’est pleinement affirmée dans l’Hexagone. En 1977, Brigitte Massin publie son Schubert (Fayard), une somme qui officialise le mariage des français avec la tendresse fraternelle de l’auteur des Trios, des ultimes Quatuors dont La Jeune fille et la mort, surtout le créateur aux côtés des cycles de lieder qui parle à l’âme, des Sonates et des Impromptus pour piano non moins fameux, mis à l’honneur des salles de concerts grâce au chant des interprètes inspirés dont les noms retentissent comme autant de passeurs, vers l’autre monde: Serkin, Schnabel, Richter, Tharaud ou Ushida… Schubert, poète des mondes intérieurs, saisit entre l’infinie tristesse, un pessimisme irrésistible et l’effusion la plus intime qui se love dans les replis de l’être le plus caché (confession à demi mots du Trio n°2 opus 100 de 1827)? Les sons de sa sainte et divine musique relèvent certainement des deux pans de l’émotion humaine. Schubert nous parle d’un monde oublié ou inaccessible dont il aurait seul conservé les clés. Sa musique en serait alors l’hymne nostalgique qui nous berce par ses langueurs évocatoires, sa profondeur associant l’âpreté et l’amertume d’une vie condamnée et solitaire, et la vibration d’un coeur pur et tendre, aspirant à l’absolu des sentiments, l’amour et l’amitié qu’il cultiva comme personne.

Apprentissage

Rappelé trop tôt Schubert? Peut-être pas car s’il n’était pas de notre monde, il aura cependant révélé bien des joyaux de l’âme humaine, avant de disparaître à 31 ans: pénétré par le sentiment de l’inéluctable fin, le compositeur excelle a contrario à plonger dans le divin instant du présent immédiat. Ici, le temps est suspendu et dilaté: quand Beethoven précipite le continuum temporel, avec frénésie et ardeur conquérante. Schubert saisit par sa fraternité. Sa musique perce le secret du coeur humain, brossant le portrait de notre disparition. Tout le génie musical s’est manifesté en quatre ans: c’est peu car si l’on découvre à ce sujet Mozart, le créateur de La Flûte et des Noces, aura disposé d’un peu plus de temps pour s’exprimer, soit dix années. Franz Seraph Schubert, né le 31 janvier 1797 dans un faubourg de Vienne est le douzième enfant d’un couple d’humbles et de modestes gens: son père, d’origine morave est maître d’école et sa mère, silésienne, servante. Formé dans le cercle familial à la musique, au violon (son père), au piano (son frère), il chante en soprano à l’église et tient parfois l’orgue. La musique est une pratique cultivée au foyer, et entre soi: au sein du quatuor familial, il tient comme Mozart, la partie centrale, celle d’alto. Elève de Salieri, Schubert ne tarde pas à montrer des dispositions géniales en composition. Mais dans l’ombre, car son père ne veut pas qu’il soit musicien professionnel. Le rival de Mozart ne l’intéresse pas plus que cela: il quitte l’enseignement de Salieri, en 1816 (19 ans). Ses maîtres sont Haydn, Beethoven et bien sûr Mozart. Les choses se gâtent et le portrait de famille se fissure: à 16 ans, son père le chasse, indisposé à l’idée d’avoir un fils compositeur. Pire, sa mère meurt. Et l’enfant tendre et discret, éprouve l’une des expériences les plus âpres de sa jeune carrière. Orphelin, il n’a de cesse de recomposer sa famille (auprès de ses amis), et de plonger dès que le coeur balance, dans l’émerveillement de l’enfance. Schubert a 17 ans quand il écrit son premier chef d’oeuvre Marguerite au rouet. C’est que le jeune homme est amoureux de la « bonne et tendre » Thérèse Grob dont le père est malheureusement opposé à toute idée de mariage avec ce saltimbanque au futur musical bien imprécis. Comme Schumann qui compose à partir du piano, puis s’engage dans la musique de chambre, les symphonies et même l’opéra, Schubert invente l’art du lied et y revient sans cesse: la fusion opérée entre chant et piano atteint des sommets de la littérature vocale et pianistique. Inspiré par Goethe (à Marguerite au Rouet succède bientôt Le Roi des Aulnes…) Le compositeur avait tenté à plusieurs reprises d’approcher le poète, mais celui-ci récalcitrant et même distant se rendra compte après la mort de Schubert de l’immense étendue de son génie autant littéraire que musical: une sensibilité tendre et fraternelle qui a compris mieux que personne, la portée de sa prose et de ses vers… Le jeune homme qui a composé ses quatre premières Symphonies à 20 ans, est devenu par la force des choses et sous la pression paternelle, comme lui, instituteur.

Un compositeur est né

L’homme se dévoue cependant entièrement à la composition, interrompant son activité d’enseignant. Le matin, et même la nuit, il compose sans pause, comme dévoré par le désir d’exprimer, de témoigner, d’ouvrir de nouvelles perspectives. Le soir, cet être délicat et aimable retrouve ses chers amis, lors des fameuses shubertiades: la musique et la passion du chant et de la poésie unissent les sensibilités de la nuit. Hôte à l’été 1818 du Comte Esterhazy, il tombe amoureux de l’une des filles de son patron, Caroline: elle en a 13, lui, 21 ans. Mais de retour à Vienne, il s’oppose à son père qui souhaite voir son fils reprendre le chemin de l’enseignement. Peine perdue. Franz est de nouveau chassé de chez lui. Dés lors, le compositeur mène une vie de Bohème, fréquentant les cafés, aimant discuter et contempler le bruit des pavés viennois. Au doux rêveur, correspond à présent le Wanderer ou Voyageur. Mais un explorateur du « sur-place », un quêteur d’absolu, contemplant à l’infini les chants intérieurs d’un temps étendu et flottant. Son seul voyage reste la Hongris, rejointes à deux reprises. Schubert Wanderer, est un modèle pour ses doubles à venir, Wagner et Mahler. Ses proches le nomment petit champignon (« Schwammerl »): son physique un rien pâteux, sa mise de vieux garçon avant l’heure, lunettes et chevelure hirsute terminent le portrait d’un artiste désormais à part, mais qui sait aussi susciter l’affection de ses amis dont les plus fidèles ont pour nom: Joseph von Spaun, Franz Shober, Michael Vogl (le chanteur qui le pousse vers l’opéra), les peintres: Leopold Kupelweiser, Johann Mayrhofer… ou encore, Franz Lachner (chef d’orchestre) ou Franz Grillparzer, dramaturge. Schubert reste un marginal, ni brillant soliste ni professeur de musique. Il reste aussi à la marge des milieux musicaux qui adulent la figure omniprésente de la Vienne d’alors: Beethoven. L’artiste désire se perfectionner, apprendre pour l’édification de son oeuvre. Il se présentera au concours pour le poste de second Kappellmeister de la Cour, en 1826, mais échouera lors des épreuves de recrutement… A Schubert toujours, les seconds rôles. Quand il apprend aux filles Esterhazy, c’est Hummel qui néanmoins tient le rôle principal, adoubé localement tel un nouvel Haydn.

L’opéra et la Syphilis

Schubert se passionne pour l’opéra: il a été frappé par la représentation du Freischütz de Weber. Au total 13 ouvrages voient le jour dont la plupart attendent toujours une juste réévaluation: Alfonso et Estrella (1822), Fierabras (1823)… Mais à Vienne, le goût des publics semble souvent imprévisible et capricieux voire aveuglé: l’auditoire préfère aux opéras allemands de Weber et de Schubert, la déferlante italienne, magnifiée par la virtuosité rossinienne, en particulier à partir de 1817. Dans la grande forme, Schubert poursuit néanmoins son itinéraire symphonique: la Huitième Symphonie est achevée à 25 ans (1822), mais par timidité ou discrétion, il attendra la mort de Beethoven, son idole, pour se lancer dans le projet finalement inachevé de la Neuvième…. L’oeuvre montre à quel point son inspiration a évolué, ouvrant comme l’auteur de l’hymne à la joie dans sa Symphonie n°9, des horizons insoupçonnés.
En 1823, le compositeur contracte la syphilis: sans traitement adapté, il est désormais condamné. Au Voyageur, succède désormais l’être de la nuit et de l’anéantissement progressif. Veilles nocturnes, crise existentielle, et même velléité suicidaire, Schubert se réfugie plus encore dans la musique. Il écrit sa Wanderer Fantaisie. Hospitalisé entre mai et décembre 1823, il perd ses cheveux. Dégénérescence physique mais zénith du génie musical: il compose La Belle Meunière en 1823, quand Beethoven s’attèle à sa Neuvième Symphonie, Weber et Rossini, font créer leurs nouveaux opéras: Euryanthe et Semiramide. Chanteur lui-même avec des facilités dans l’aigu, Schubert édifie l’un des cycles les plus plus émouvants de lied. C’est accompagné par Liszt, que le ténor Adolphe Nourrit fait connaître dans les cercles parisiens, le Schubert poète, avant que les plus grands barytons du XXème siècle (Dietrich Fischer-Dieskau) ne se « spécialisent » dans ce répertoire des correspondances ténues. Répit en 1824: le compositeur retrouve l’utopie d’un second foyer chez les Esterhazy où la douce et toujours enchanteresse Caroline qui a 19 ans, le berce de douces illusions: leur amour est-il partagé? Probablement, mais Schubert doit se résoudre à la réalité: il ne pourra jamais épouser cette princesse de l’aristocratie hongroise. Témoigne de son immense affection pour l’élue de son coeur: la Fantaisie pour piano à quatre mains en fa mineur.

Les ultimes chefs-d’oeuvre

Retour à Vienne, en 1824. Le temps est plus que jamais compté: Schubert n’a plus que quatre années pour poursuivre sa création. Alors qu’il compose Le Voyage d’hiver, l’auteur apprend la mort de Beethoven (18 mars 1827): il participe au cortège funèbre. A la fin de cette année de deuil, les deux Trios sont terminés. A la fois dépressif et nourri d’espérance, le Trio n°2 D929, est un chef d’oeuvre mis à l’honneur dans le film culte de Kubrik, Barry Lyndon. Créée en décembre 1827, la partition est une pièce majeure du chambrisme romantique, tenu en grande estime par Schumann: plus charpentée que le premier Trio, solaire et même parfaitement lumineux, l’ouvrage se distingue par son optimisme, au sein d’une oeuvre alentour, marquée par la fatalité et le sentiment de solitude et d’impuissance. De fait, Schubert y réutilise le plan du Trio Erdödy de Beethoven dont le deuxième mouvement alterne deux cellules mélodiques constrastées, mais avec quelle libre fantaisie… C’est le chant victorieux de l’amour et de la tendresse sur l’enlisement tragique. Le jeune auteur de 34 ans, gagne une juste réputation. Pour l’anniversaire de la mort de Beethoven, Schubert présente ses dernières oeuvres lors du seul concert de ses partitions à Vienne, le 26 mars 1828: Klavierstücke, Neuvième Symphonie, trois dernières Sonates D958, D959, D960, mais aussi le lied Le Pâtre sur le rocher, et les Impromptus pour piano D899 et D935 (nouveauté à paraître chez Accord par Philippe Cassard, en janvier 2008). Il a pu organiser cet événement exceptionnel grâce à ses relations amicales cultivées au sein de la Société des Amis de la musique, ou « Gesellschaft der Musikfreunde ». Soigné par son frère Ferdinand, Schubert meurt en plein délire, invoquant le nom de Beethoven, le 19 novembre 1828. Il est inhumé selon ses voeux près de la tombe de son maître, lui qui n’osa jamais approché le grand Ludwig… Mais à défaut d’avoir été l’un de ses proches, Beethoven de son vivant avait reconnu, la part divine de la musique de son cadet, comme il avait dit de lui: « Celui-là me surpassera« . De quel meilleur hommage pouvait rêver Franz?


Illustrations

(1) Jospeh Kupelweiser: portrait de Schubert (DR)
(2) Caspar Friedrich: der Wanderer, le voyageur (DR)
(3) Klimt: Schuberta au piano (DR)
(4) Caspar Friedrich: Couple contemplant la lune (DR)
(5) Schwind: Schubertiade. Franz Schubert est entouré de ses amis. Devant le piano: Vogl, Schubert, Spaun, Sous la portrait de la comtesse Caroline Esterhazy: Schwind (à gauche), Schober (droite)… (DR)

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