Faust, un défi musical
Paul Dukas disait: « Le Faust véritable est impossible en musique« . Gageons que cette défiance aura a contrario séduit et stimulé les compositeurs. Mythe légué et amplifié par Goethe, le sujet, surtout avec sa fusion littéraire à l’autre modèle romantique par excellence, Don Juan, n’a cessé de séduire les musiciens, trop curieux de se confronter musicalement à la « totalité » poétique, littéraire et philosophique du mythe goethéen. Emmanuel Reibel analyse la genèse de Faust, depuis le Moyen Age jusqu’à Goethe: déflagration « sturm und drang » et premier opus musical porté pour la scène, le Faust de Spohr dont l’auteur distingue la part originale par rapport à l’influence mozartienne. Mais la patrie d’élection du mythe de l’alchimiste insatisfait, vieux savant luthérien de l’époque gothique, demeure l’Allemagne et l’auteur aborde tous les ouvrages dramatiques ou purement musicaux que Faust a inspiré: lieder de Schubert, Mendelssohn (Première nuit de Walpurgis…), Schumann (Scènes de Faust), Liszt (Faust-Symphonie), jusqu’à Mahler (Symphonie des mille), … hors Germania, c’est Berlioz en France qui s’enflamme ensuite pour Faust, de ses huit scènes de Faust à La Damnation de Faust (1846), grand oeuvre composé dans l’admiration du texte goethéen…
De 1830 à 1860, c’est bien une fièvre européenne que suscite le mythe: Faust de Gounod (1859), jusqu’à celui plus récent, de Busoni (Doktor Faust), laissé inachevé mais attestant de la persistance du mythe jusqu’en début du XXème siècle (1925), et que dire du Faustus de Dusapin, et de celui de Fénelon, créés respectivement, il y a moins de 3 ans (2006 et 2007)! L’auteur analyse, décortique les enjeux poétiques du mythe originel et ses avatars divers et pluriels à travers les adaptations musicales qu’il suscite. Ce sont aussi les scènes et les personnages associés, ceux du Roi de Thulé, de Marguerite au rouet; les caractères présents dans cette allégorie de la condition humaine: Valentin, Méphistophélès, … Faust paraît comme en ellipses, indirectement, au travers de la nombreuse généalogie théâtrale qu’il conduit et aimante. Le personnage lui-même et tout ce qu’il évoque, de symboles et de fantasmes, diversement exprimés, est également brossé, à chaque période artistique. Chacune reconnaissant particulièrement un aspect de sa personnalité diffuse, selon son goût et son esthétique.
Les commentaires des oeuvres citées (certaines avec de nombreux tableaux récapitulatifs, en particulier pour comprendre le découpage dramaturgique des opéras), se révèle passionnants. Le texte est l’une des meilleures contributions récentes sur le sujet. Incontournable.
Emmanuel Reibel: Faust, la musique au défi du mythe (Fayard, collection « les chemins de la musique », 354 pages)
