mercredi 23 avril 2025

Nikolaï Rimski-Korsakov: Chronique de ma vie musicale (Traduction d’André Lischke, 2008. Editions Fayard, 454 pages)

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Le texte, étant rédigé par le compositeur lui-même, vaut d’être lu et consulté à maintes reprises pour qui souhaite plonger dans la genèse de ses propres oeuvres, comme vivre la vie musicale de Russie, dans la seconde moitié du XIXème siècle. Rimski se révèle un observateur sans effets de plumes: s’il n’a ni le talent littéraire ni parfois l’exagération lyricopartisane d’un Berlioz, l’enseigne de vaisseau dans la Marine, devenu compositeur, saisit par sa probité analytique sur les oeuvres des autres (et les siennes), les personnalités de la vie musicale de son époque, sur le fonctionnement des théâtres (dont le Marinskii de Saint-Pétersbourg), les conservatoires et les troupes privées. Le témoignage demeure incontournable d’autant qu’André Lischke nous présente sa traduction préfacée et récapitulative des nombreuses éditions et du temps de la rédaction (1876-1906), à partir de l’édition la plus complète imprimée en 1955, d’après les écrits du musicien.

Lucide et de bonne foi, honnête et même austère (comme sa mise physique), Rimski évoque comme nul autre le fonctionnement et la méthode d’écriture du Groupe des Cinq dont il était le benjamin, groupe d’individualités conduites par l’intraitable voire tyrannique Balakirev. Le musicien ne cache pas sa profonde et constante admiration pour le « père », Glinka dont il est fier d’avoir rétabli avec Balakirev, les deux opéras, Rousslan et Ludmila, et La vie pour le Tsar. Pour qui aime ses opéras tels Sadko, Antar, Snégourotchka, le Coq d’or, Mlada, les commentaires et les explications (qu’il faut lire partition en mains pour en comprendre toutes les subtilités) sont de première valeur. La lecture révèle l’homme de discipline, pour cela pédagogue aimé et efficace, en particulier de Glazounov, son élève estimé (malgré son alcoolisme indécrottable). Si l’oeuvre n’est pas celle d’un visionnaire ni d’un moderne, le talent de Rimski s’exprime dans le timbre et le thème: orchestrateur hors pair et aussi génie de la mélodie, il se révèle amoureux des lointains, ivre des confins oniriques, comme Roussel (lui aussi venu de la Marine pour la musique), n’aspirant qu’à exprimer le rêve et la contemplation (description du ciel de l’hémisphère austral, pendant le voyage vers Rio de Janeiro…).

Le musicien dévoile aussi une exigence et forcément un esprit critique, souvent très affûté sur ses contemporains et sur ses oeuvres: il n’hésite pas à reprendre ses partitions à partir de 1880, sans exception; s’estimant même dépassé après le choc de la musique wagnérienne éprouvé en 1889 lors de la première Tétralogie russe, jouée à Saint-Pétersbourg. S’il n’apprécie pas Richard Strauss, ni D’indy, il estime Tchaïkovsky, Borodine dont il est fier d’ailleurs d’avoir participé à la résolution des Danses Polovtsiennes. Le cas de Moussorsgki est singulier: tout en ayant conscience de la valeur du compositeur, Rimski trouve indigne son manque de science musicale. C’est la raison pour laquelle il « réécrit » totalement Boris pour une version scénique en 1879. Ce travail d’adaptation, de réorchestration montre à l’envi combien Rimski était investi par la musique, n’hésitant pas à s’engager pour la musique des autres, même si, phénomène perceptible dans sa prose, il savait tirer une fierté particulière en aidant à l’accouchement et à la réalisation des partitions majeurs des compositeurs qui l’ont précédé ou de son époque. Parmi les pages ainsi riches en anecdotes d’un musicien sur son métier, l’évocation des circonstances de la mort de Tchaïkovski, en 1893, du choléra, sont émouvantes. Rimski qui a même assisté quelques mois avant le décès de l’illustre compositeur, à la création de sa Symphonie n°6, compare la direction du Maître et celle du chef Napravnik, dont on a coutume de dire qu’il dirigeait mieux que Tchaïkovski…

Voici trente années d’une longue et passionnante rédaction. Chronique d’une vie musicale faite de discipline, d’assiduité de labeur et d’exigence voire de perfectionnisme méticuleux. La traduction d’André Lischke est indispensable car elle s’appuie sur l’édition la plus complète du texte original, celle de 1955. Outre une abondante introduction du traducteur, l’édition comprend aussi la préface à la première édition de 1909. Chaque chapitre (28 au total), comprend un résumé de son contenu. De plus l’édition annotée, comprend, outils de navigation dans le texte des plus utiles, un index des partitions de Rimski, un autre index de celles des autres compositeurs.

Nikolaï Rimski-Korsakov: Chronique de ma vie musicale (1876-1906)

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