Violons restitués
Après Hugo Reyne et l’art en devenir du Ballet Royal à l’époque de Louis XIV, (représentation du Ballet des Arts, 1663, la veille), Patrick Cohën-Akenine porte une nouvelle création présentée à Sablé en 2008. Le violoniste et chef d’orchestre dévoile, au terme d’une étude organologique continue avec la collaboration des luthiers Antoine Laulhère et Giovanna Chitto, la sonorité unique des Vingt-Quatre Violons du Roi, institution musicale emblématique de la Cour française au XVIIème siècle.
Evoquer l’orchestre français rélève d’abord un défi instrumental. Il en rêvait depuis 15 années, Patrick Cohen-Akenine a réalisé son projet : reconstituer les fameux Vingt-Quatre violons du Roy en pilotant la fabrication moderne des trois familles de violons « intermédiaires », hautes-contre, tailles et quintes de violons, chaque groupe par quatre soit un « chœur » de cordes ainsi révélé… de 12 instrumentistes. Or si l’on se souvient que ce sont les Italiens et leurs altos qui continuent encore depuis le XVIIIème d’imposer leur sonorité spécifique, nous voici précisément confrontés à une redécouverte de timbres et de couleurs, absolument passionnante. Dévoilée à Sablé, la phalange ainsi ressuscitée fera les beaux soirs et les heures futures de Versailles à partir d’octobre prochain : les nouveaux instruments seront désormais régulièrement associés aux nouveaux projets du Centre de musique baroque de Versailles.
Quelle est donc cette sonorité versaillaise ? Plus ample, plus « résonnée », gagnant non en puissance mais en saveur et en couleurs, s’appuyant en particulier sur ce nimbe inédit qui caractérise l’orchestre français et qui lui apporte sa volumétrie et son spectre d’origine, comme un timbre plus caractérisé (qui pourrait être effectivement idéal pour la lisibilité du contrepoint et des contrastes harmoniques, à la française…). Rappelons d’ailleurs, que si l’orchestre italien est à 4 parties, son contemporain français au XVIIème est à 5 parties : la composition en avait été mesurée à l’époque d’Atys dirigé par Christie. Le son restitué s’avère idéal pour les partitions de Lully. D’ailleurs, l’ensemble du programme conçu par le chef des Folies Françoises, de Luigi Rossi à Jean-Baptiste Lully, opère une comparaison éloquente entre son italien et sonorité française. L’approche s’inscrit même au cœur de la fondation de l’ensemble en 2000 en apportant concrètement la preuve de la spécificité française sur le plan musical : Patrick Cohën-Akenine dispose d’instrumentistes dont la structure et l’organisation sont bâties pour l’interprétation de la tragédie en musique.
D’Orphée à Psyché
L’ex premier violon du Concert Spirituel, comme porté par les possibilités expressives de son orchestre sait gonfler la voile tragique : chez Rossi comme chez Lully. Vaste lamento d’Orphée dont la figure ne cesse d’exprimer d’impuissantes larmes, comme si la puissance et la poésie de la musique ne pouvait être mesurées que sur le baromètre de la déploration: même pointes amères et sombres dans le chant de la femme désolée du Premier Intermède de Psyché. Le chef a élaboré un programme en miroir: Lully assimile dans les affects versaillais, l’ancien lamento de Rossi. Eclairante confrontation des sensibilités qui distingue un peu plus l’art des contrastes et ce sens de la synthèse propre à l’esprit français.
Sur la scène du centre culturel de Sablé, le chantre de Thrace capable d’émouvoir dieux et pierres, est incarné par le « bas-dessus », Céline Ricci : engagement évident malgré des moyens limités. Dans La Naissance de Vénus, Orphée se fait haute-contre (Mathias Vidal) : mine saillante aux aigus faciles. Du reste, le chanteur avait attiré notre attention ici même en 2006 (Adraste de Sémélé de Marin Marais sous la direction de Philippe Pierlot). Pour Le Ballet des Muses, Patrick Cohën-Akénine prend son violon : aux côtés de la voix implorante, le chant de la lyre intensifie encore la souffrance du héros.
Dans Psyché, les bénéfices des Vingt-Quatre Violons reconstitués se font davantage entendre : joués sur le thorax (quintes), les violons refabriqués recomposent toutes les nuances résonnées du sentiment. C’est une véritable architecture émotionnelle que révèle l’orchestre lequel en plus des accents de gloire martiale (trompettes des Jeux Pithiens), sait répondre aux acteurs ivres (cinquième intermède : le Bacchus de Jean-François Novelli, sachant faire l’article des délices produits par le « jus de la treille », s’impose de bout en bout par sa justesse et la ligne impeccable de son articulation). En comparaison, la basse-taille Aimery Lefèvre paraît bien terne dans un jeu dénué de toute imagination. Gageons que le programme qui passe par La Chaise-Dieu avant Versailles à l’automne 2008, devrait encore gagner en fluidité, audace théâtrale, délire expressif, en liaison avec l’intention esthétique des Folies Françoises.
En soulignant l’importance des parties intermédiaires occupées par les diverses familles de violons (à la place des altos familièrement utilisés dans les orchestres baroques actuels), Les Vingt-Quatre Violons « de Sablé » font la preuve de la justesse des recherches : c’est bien d’une redécouverte majeure dont il s’agit. Mieux qu’un énième apport en termes d’authenticité retrouvée, le chef dévoile un étagement différent, une spacialisation inédite aussi, surtout, la réforme de notre connaissance esthétique de l’art musical lullyste. Si les dessus sont doublés par flûtes et hautbois, si les basses sont associées au basson, le « chœur » médian des hautes-contre, tailles et quintes de violons, déploie quant à lui, sans l’appui des vents, une sonorité « intermédiaire » spécifique, désormais irremplaçable. Maillon manquant à présent réintégré, le groupe des violons recréés, fait l’événement du festival de Sablé 2008 : nouvelle preuve des avancées de la recherche baroqueuse. Nouvel indiscutable accomplissement pour un festival décidément à la pointe de l’innovation.
Sablé. Centre culturel, mercredi 20 août 2008. 30ème Festival de Sablé. L’orchestre du Roi Soleil. Reconstitution des Vingt-quatre violons du Roy. De l’Orfeo de Luigi Rossi à Psyché de Lully. Ana Quintans, dessus. Céline Ricci, bas-dessus. Mathias Vidal, haute-contre. Jean-François Novelli, taille. Aimery Lefèvre, basse-taille. Les Folies Françoises. Patrick Cohën-Akenine, direction.
Illustrations: salut des artistes à Sablé. Patrick Cohën-Akenine (DR)