Grâce à son Concours biennal de direction qui a entre autres lauréats, adoubé et lancé la carrière de chefs aussi prestigieux aujourd’hui que Seiji Ozawa, le festival de Besançon demeure à l’international, un festival reconnu pour son soutien aux jeunes prodiges de la baguette. Même si encore actuellement, la ville bisontine ne dispose pas d’un auditorium digne de son rayonnement symphonique, le festival offre chaque année l’occasion d’écouter les meilleures phalanges orchestrales de l’heure. En témoigne cette soirée stimulante, qui voit, phénomène inédit propre au festival qui sait créer l’inédit voire l’exceptionnel, la rencontre du chef britannique Andrew Davis (né en 1944, directeur musical depuis 2000, de l’Opéra de Chicago) et de l’Orchestre symphonique de la RAI de Turin.
La phalange italienne créée en 1994, doit son renom au prestige musical de ses deux fondateurs, Georges Prêtre et le regretté Giuseppe Sinopoli. De surcroît à l’initiative du Festival, c’est la première fois qu’Andrew Davis se produit à Besançon, qu’il dirige aussi la première formation symphonique italienne… Double « première », comme le précisait le directeur du Festival, David Olivera. « Nous sommes heureux de présenter à Besançon, le temps du festival, des rencontres inédites entre chefs et orchestres. En 2008, outre le concert de l’Orchestre de la Rai de Turin dirigé par Andrew Davis, nous avons pu offrir au public bisontin un superbe concert en ouverture, de surcroît gratuit: celui de la prestigieuse Philharmonie Tchèque, sous la direction du chef associé au Festival jusqu’en 2009, Zdenek Macal« , souligne le directeur de l’événement.
En prélude au concert qui s’est tenu à l’Opéra Théâtre de Besançon, désormais intitulé Théâtre Musical de Besançon, le compositeur Bruno Mantovani présente la pièce que jouera après la Symphonie de Haydn, orchestre et chef: Time strecht (on Gesualdo): il s’agit d’étirer le temps jusqu’à son abstraction suggestive d’une partition du compositeur de la Renaissance italienne, Carlo Gesualdo (1566-1613), compositeur qui doit sa renommée au fait qu’il ait tué son épouse et son amant! L’orchestre requis pour l’interprétation de l’oeuvre de Bruno Mantovani (créée en 2006 à Bamberg) exige le même effectif que l’oeuvre pour le concours d’orchestre que le compositeur contemporain a écrit lors de sa résidence à Besançon: effectif impressionnant qui compte en particulier des cordes étoffées et tout un rang de cuivres.
Après une symphonie de Haydn, savoureuse, déroulée comme une mise en bouche, palpitante, d’une très belle assise rythmique avec cette vitalité facétieuse (en particulier dans la trio du Menuetto qui met en avant les bois dont surtout le hautbois), Andrew Davis s’attaque avec détermination et autorité à la partition contemporaine de Bruno Mantovani. L’architecture déploie une résonance du madrigal S’io non miro non moro (si je regarde pas, je ne meure pas), extrait du Livre V de madrigaux du compositeur napolitain. Inspiré autant par l’oeuvre citée (qui ne se révèle qu’à la fin de la partition) que par la vie du musicien de la Renaissance, Bruno Mantovani se délecte d’un tissu foisonnant parcouru d’éclairs et de citations fulgurantes. La battue suractive de Davis éclaire chaque frisson d’une partition traversée par une énergie fantastique, riche en contrastes instrumentaux, en épisodes fugaces. Orchestre et chef sont portés par une tension continue qui ne se résout véritablement que dans les dernières mesures, en un murmure imprévisible, d’autant plus captivant après le déploiement souvent colossal de tous les pupitres.
La direction du chef britannique se montre précise, d’une assise rythmique infaillible que la Symphonie n°6 de Dvorak confirme. De l’opus créé à Prague en mars 1881, Andrew Davis obtient de l’orchestre italien, feu et même embrasement, en particulier dans le premier furiant (danse tchèque si caractéristique que Smetana développe aussi dans son opéra La Fiancée Vendue), du Scherzo. L’activité des cordes, la précision fruitée des bois et des vents, la noblesse des cuivres, engageante et solennelle, répondent aux appels d’un chefs visiblement transporté par sa rencontre avec les musiciens italiens. Superbe soirée symphonique.
Besançon. Théâtre Musical, le 20 septembre 2008. 61è Festival de Besançon. Joseph Haydn: Symphonie n°99 en mi bémol majeur. Bruno Mantovani: Time strecht (on Gesualdo), 2006. Anton Dvorak: Symphonie n°6 en ré majeur, opus 60. Orchestre de la RAI de Turin. Andrew Davis, direction
Illustrations: © Yves Petit 2008 pour le Festival de Besançon