mercredi 23 avril 2025

André Boucourechliev: Les Archipels Lyon, Cnsmd. Salle Varèse. Mardi 27 janvier 2009 à 19h30

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André Boucourechliev
(1925 – 1997)

« Les Archipels »


Mardi 27 janvier 2009,
Lyon, Cnsmd, salle Varèse

Georges Pludermacher, Florence Cioccolani, les étudiants des classes de piano et de percussions célèbrent la grande œuvre de Boucourechliev, Les Archipels (ici, volets I et IV), en les contrepointant des Etudes d’après Piranèse, et de partitions choisies dans Schumann, Beethoven et Debussy. Une belle soirée qui ouvre sur les horizons de la modernité récente et à venir.


Les aventures et nouvelles aventures de Boucou

Les familiers disaient : « Boucou ». Certains pensaient qu’il était seulement musicographe, spécialiste de Beethoven ou de Schumann, pour lesquels il avait en effet écrit deux « Solfèges » du Seuil qui firent autorité, comme on dit et, auxquels il donna des suites tout aussi passionnantes. D’autres pensaient avant tout au compositeur multiforme, et à une partition devenue mythique, les Archipels. D’autres encore privilégiaient en lui l’enseignant (suppléant de Messiaen au CNSM), le conférencier brillantissime et humoriste, l’homme de radio et de télévision. Boucou était tout cela, et certainement un musicien d’une stature capitale dans l’histoire artistique du second XXe siècle. Lui rendre hommage, 11 ans après sa mort, permet d’attirer l’attention sur ce parcours d’un « contemporain capital », dont les leçons n’ont pas fini de « diffuser » auprès des jeunes générations de musiciens non seulement de belles œuvres, mais toute une culture complètement ouverte sur tant de domaines qu’on en prenait un peu vertige au cours de ces navigations…entre îles, archipels et continents.


Grandes cartes maritimes

Né en 1925 comme Pierre Boulez, André Boucourechliev était venu d’Europe Centrale (orientale), (pas si loin de chez Ligeti le Transylvanien), Bulgare de Sofia. Mais le temps d’y faire des études musicales et d’y devenir un grand pianiste, l’ouest et Paris l’appelaient : nanti d’une bourse d’études pour la France, Boucou se fixait « là-bas », prenait en 1949 la nationalité française. D’abord interprète conseillé par Reine Gianoli et Walter Gieseking, il glisse vers un métier de compositeur avec « autodidactisme et au rebours de l’histoire ». Boulez le remarque, fait créer ses premières œuvres au Domaine Musical puis à Darmstadt, bien que Boucou ne veuille pas être embrigadé dans la pensée sérielle. C’est au milieu des années 60 que commence l’œuvre-symbole, ces Archipels à plusieurs configurations dans l’espace maritime : « Les partitions sont comme de grandes cartes marines sur lesquelles les interprètes (pianistes, percussionnistes) sont amenés à choisir, orienter, concerter, modifier sans cesse le cours de leur navigation, jamais le même entre les îles, toujours nouveau à leurs regards. Dans ces eaux incertaines, ils ne vont cependant pas à la dérive ; s’ils ne se voient pas, ils s’écoutent, parfois s’appellent. C’est dans cette communion étroite, proprement musicale, qu’ils tracent leur route imprévisible mais partagée. Cette dépendance où ils exercent leur liberté de choix exclut tout hasard. »


Proust et Joyce

Navigation en effet complexe, paradoxale, entre des archipels-idées alors âprement discutées, quelque part entre les rigueurs post-sérielles et l’aléatoire qui commence alors à gagner – venu en partie de l’Amérique de John Cage – les milieux européens réfractaires. Dans ses œuvres ultérieures – Anarchipel, Faces, Amers…- Boucourechliev reprendra ces théories et pratiques, les soumettant aussi au crible des œuvres littéraires du XXe qu’il tient pour essentielles et dont il juge les leçons « applicables » au processus musical. En particulier, Proust et Joyce forment pour lui « une sorte de basse continue souterraine ». Et ce polyglotte émérite (6 langues maîtrisées…) de s’interroger en bon humaniste sur « la lecture qui brûle : dès lors, quel sens la bibliothèque a-t-elle ? Le sens de la mémoire ? Non. Car la mémoire est ce qui vit en nous…La bibliothèque d’accumulation est donc un simple dépôt, quelque chose de mystérieux – et de suspect – qui a tendance à être le plus beau des poids morts. » (propos recueillis par Alain Galliari, éd. Pro Musica).


Enigme et Lit de Neige


Et comme il l’écrivait dans son Beethoven du « Seuil » – pas seulement à propos du Père de la IXe – « écouter la musique est une aventure. Epreuve de force, affrontement dont le déroulement et les conclusions sont incertaines, telle est la rencontre de l’auditeur et de l’oeuvre qui résonne. Ecouter n’est pas subir, mais agir : se confronter incessamment à cet autre univers ». On peut étendre le propos et ses formulations vigoureuses, au-delà de la seule musique : en poésie, en roman, en peinture, en architecture. C’est en cela que la démarche de Boucou demeure si profitable, et aussi fraternelle et incitative. Voir autrement : qu’on relise son analyse si moderne de l’Appassionata, où sont mises en évidence enthousiaste les notions beethovéniennes du degré zéro, du silence-réservoir, de l’intensité, des groupes, de masse… Sa partition des Ombres (1970) reprend la thématique de Beethoven, puis le recours à la poésie d’énigme se fait urgence (Le nom d’Œdipe d’après Hélène Cixous, Lit de neige d’après Celan), et le recours au visuel repousse les frontières de la navigation (Fragments de Michel Ange, Six études d’après Piranèse), tandis que trois quatuors et des Miroirs enrichissent l’investigation des formes et des structures. Et toujours il y aura eu cette interrogation qui dépasse la spécialisation et la technicité, pour aborder de front les grandes questions qui hantent le créateur, et tout humain : « Certaines œuvres m’offrent le modèle de ma propre mort. Simple pressentiment peut-être, mais on ne peut nier que des pulsions s’exercent au moment de la création, qu’elles parlent à leur manière en déterminant un climat et certaines figures. L’œuvre parle parfois plutôt que l’homme corporel. »
Il est important que la jeune génération des interprètes CNSM soit acceptée et intégrée par l’interlocuteur-pianiste le plus indiscutable qui soit : car c’est bien Georges Pludermacher, créateur des mythiques Archipels, qui vient pour jouer la partie IV, les pianistes Justine Leroux et Maroussia Gentet avec des solistes de la classe de percussions s’attaquant à la partie I. En écho spirituel, on entendra les rares Nachstücke de Schumann (M.Gentet), des Bagatelles de Beethoven (Clément Gelebart), des Etudes de Debussy (Suzana Bartal), et la soliste-enseignante Florence Cioccolani révélera les ombres étranges qui hantent les Etudes d’après Piranèse. En circulation libre comme si on visitait quelque Archipel, un concert de 19h30 qui fera date Salle Varèse et En Ville.

Hommage à André Boucourechliev (1925-1997) : Archipels I et IV, Etudes d’après Piranèse ; œuvres de Beethoven, Schumann, Debussy.
Mardi 27 janvier 2009, 19h30. Salle Varèse, CNSMD de Lyon. Entrée libre
Renseignements et réservation : T. 04 72 19 26 61 ; www.cnsmd-lyon.fr

Illustrations: André Boucourechliev au piano (1952).

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