vendredi 18 avril 2025

CD, critique. Album Schumann, par Élisabeth Leonskaja, piano,(2 cd, label eaSonus 2020)

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leonskaja elisabeth piano cd schumann critique classiquenewsCD, critique. Album Schumann, par Élisabeth Leonskaja, piano (2 cd, label eaSonus 2020). Elisabeth Leonskaja avait par le passé enregistré la première sonate opus 11 de Robert Schumann (label Teldec,1988). Il aura fallu attendre ce début d’année 2020 pour enfin entendre plus amplement au disque ce compositeur qu’elle affectionne. Elle lui consacre un album de deux CD, où se rejoignent l’alpha et l’oméga de son œuvre dans une « magie sonore » qui n’a d’égal que l’exigence structurelle et la profondeur du propos.

Le premier CD rassemble les Variations Abegg opus 1, les Papillons opus 2, les Études symphoniques opus 13 précédées de leurs cinq études posthumes, et enfin les Geistervariationen Wo0 24. Le second CD: la Sonate n°1 en fa dièse mineur opus 11, et la Sonate n°2 en sol mineur opus 22.

ELISABETH LEONSKAJA FORGE L’ESPRIT DE ROBERT SCHUMANN

Loin de verser dans l’écueil d’une interprétation décousue, ce qui est le risque chez Schumann, celle d’Elisabeth Leonskaja est faite d’un alliage solide, qui n’est pas exempt de tendre poésie. Les Variations Abegg en sont un joyau. La pianiste habille de fraîcheur cette œuvre de jeunesse, dans une délicieuse fluidité. Quelle raffinement de toucher, sous la légèreté du ton! La main gauche sait apporter le soutien des basses, tout en délicatesse, comme se faire oublier pour laisser libre cours aux vivifiants élans lyriques. Rien qui pèse et qui pose, une musique qui semble s’inventer au fur et à mesure, qui respire, mais dans un cadre – en filigrane- d’une tenue rigoureuse, qui ne permet aucun débordement. On imagine volontiers à l’écoute de ses Papillons les scènettes d’un théâtre de marionnettes. Elisabeth Leonskaja soigne le détail de ces miniatures sans perdre de vue l’esprit de l’ensemble. Les reprises apportent leurs grains de sel par de légères nuances de phrasés, ou de micro rubatos bien sentis. Tour à tour naïf, enlevé, tendre, piquant parfois, ce petit carnaval, condensé d’humeurs changeantes, a fière allure sous ses doigts, et parle à notre enfance. Viennent ensuite à rebours les Études symphoniques, avec leur condensé posthume, composé en 1852, soit près de vingt ans après l’écriture des douze études d’origine. La couleur est ici tout autre: le thème choral chante avec gravité, et annonce le climat très particulier des cinq variations, d’une grande densité d’expression. Le goût de Schumann pour une certaine forme de spiritualité, qu’il relie au spiritisme, et dont l’auteur du texte du livret fait état, trouve dans ces variations, et par l’interprétation d’Elisabeth Leonskaja sa plus évidente traduction, quand bien même les ultimes « Geistervariationen » (Variations sur le thème des Esprits) sont explicites à ce sujet. Sur sa puissante ligne de basse, le bouillonnement de la première variation ouvre sur l’étrangeté surnaturelle de la seconde, aux harmonies d’un autre monde. La pianiste nous y tient comme dans un rêve éveillé, sa main gauche dans son ondoiement sonore offrant d’indéfinissables visions. E. Léonskaja déploie tout un art du dialogue dans les deux variations qui suivent, empreints de tendre passion, de soupirs, sans jamais d’excès. Si son jeu possède au fil des plages du disque une clarté polyphonique, avantagée par la qualité de prise de son, il est d’une ineffable beauté dans les mouvements lents. En témoigne la cinquième variation, rêveuse, aux délicates suspensions, d’une touchante pudeur. Les douze variations n’en sont pas moins attachantes. Ce que Schumann explore dans ces études qui n’étaient pas selon lui destinées à être jouées en public, E. Leonskaja le transcende, en extrait l’essence profonde, l’énergie intrinsèque, dans le tragique de la deuxième variation notamment, la course palpitante de la septième et la triomphale douzième, les secrètes confidences échangées dans le merveilleux legato de la onzième. Schumann ne composera plus rien après les Geistervariationen, écrites en 1854 sur une mélodie qu’il aurait reçu des esprits de Schubert et Mendelssohn. Ce bouleversant témoignage apparaît après l’opulence des variations, dans son émouvant dépouillement, si loin de la fantaisie de l’opus 1.

Les Sonates n°1 et n°2 composées, comme les Études symphoniques, en 1837-1838 sont elles aussi tenues de main ferme, reposant sur une assise rythmique inébranlable, la caractérisation des voix, et une lecture d’une netteté impeccable. Mais un peu trop. La passion est tenue en bride, dans le finale de la sonate n°1, mais surtout dans la sonate n°2, dont le tempo indiqué par Schumann « So rasch wie möglich » (aussi vite que possible) trop retenu fait entendre une main gauche très articulée. On aurait aimé entendre chant plus enflammé. La fougue est absente du scherzo, sans grain de folie, et la fin du Rondo pourrait être davantage tempétueuse. L’andantino, assez allant, est le mouvement le plus réussi: écoutez sa voix intérieure, magnifiquement timbrée et chantante! La sonate n°1 convainc davantage. Comme la pianiste fait respirer la musique dans son premier mouvement, et quelle vision orchestrale! La pédale est soigneusement dosée, les timbres et les attaques finement étudiés. Le deuxième mouvement est pure rêverie, tendrement coloré par la main gauche. Le scherzo, théâtral, est un mini carnaval à lui tout seul, avec ses accentuations à contrepied. Le dernier mouvement, quoique dépourvu du vertige de la passion, touche par l’intériorité de ses passages recueillis.

Elisabeth Leonskaja signe ici un somptueux album, dont les Études symphoniques forment la clé de voûte. Il vient apporter une pierre nouvelle et essentielle à l‘édifice d’une discographie  déjà riche, qui compte parmi ses plus emblématiques personnalités Nat, Arrau et Richter pour, par exemple, ce qui est du passé, Pollini et Argerich (sonate en sol mineur d’une impudique et incandescente passion! – aux antipodes de cette version), et plus récemment Bianconi (Papillons, et Études symphoniques au complet, d’une grande poésie et à la beauté racée).

 

 

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CD, critique. Album Schumann, par Élisabeth Leonskaja, piano (2 cd, label eaSonus 2020)

 

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