jeudi 24 avril 2025

Wilhelm Furtwängler: entretien avec Audrey Roncigli L’auteur du « Cas Furtwangler » (éditions Imago) précise les apports de son texte biographique

A lire aussi
Auteur d’un livre remarqué sur le chef allemand Wilhelm Furtwängler (Le cas Furtwangler, éditions Imago), Audrey Roncigli répond aux questions de la rédaction Livres de classiquenews.com. Précisions sur les apports de son texte éclairant… qui s’appuie sur les nouvelles perspectives permises par « l’histoire culturelle »…

Qu’apporte de neuf précisément votre texte dans la compréhension de Furtwängler?

Cet ouvrage a été voulu loin de toute volonté de rouvrir un procès ou de réhabiliter sans condition un personnage : il m’a cependant semblé important et intéressant d’utiliser les nouvelles perspectives de recherche posées par l’Histoire Culturelle.
Ainsi, l’utilisation des sources musicales comme documents historiques à part entière permet de mettre en comparaison le répertoire de Furtwängler avec celui, plus officiel, dicté par la politique culturelle du IIIe Reich, instillée par Joseph Goebbels. Si l’on va plus loin, les sources musicales peuvent être utilisées également dans leur plus forte expression, à savoir les enregistrements : une démarche d’écoute comparée peut, de fait, permettre de considérer des interprétations politiques dans l’œuvre d’un chef d’orchestre.
Enfin, il m’a paru nécessaire de compléter l’utilisation et l’interprétation faites de certaines sources historiques plus « traditionnelles », notamment concernant les rapports de Furtwängler à la Résistance, et la relation d’Albert Speer, Ministre de l’Armement, avec le Maestro.
Je dirais également qu’une des nouveautés de cette étude réside dans le passage d’une Histoire de Furtwängler à une Histoire des « Cas Furtwängler », et je pèse le pluriel dans cette expression : nous sommes en effet en présence d’un musicien qui a traversé et divisé son siècle, mais de façons différentes, que l’on soit dans l’Europe résistante à Hitler, aux États-Unis, dans le IIIe Reich, ou encore en Guerre Froide. Prendre en considération la pluralité des « cas Furtwängler » permet, sans volonté académique cependant, un nouveau jalon dans la compréhension du musicien.

Peut-on parler s’agissant de Furtwängler d’une “pensée politique”?

Ne s’engageant jamais au sein du NSDAP, Furtwängler a pris position très tôt, dès 1933, face à la politique culturelle et musicale du régime : contre l’éviction de musiciens influents, considérés indésirables, comme Klemperer, et pour la musique contemporaine jugée « entartete » (dégénérée) par les dignitaires nazis (Hindemith). Face à un Führer qu’il surnommait « camelot chuintant », le chef s’est opposé, autant que possible, à l’application de la politique raciale dans ses orchestres, à Vienne et à Berlin ; il a entre autres refusé de jouer en pays conquis. Certes, il fut nommé par les dirigeants nazis Staatsrat et vice-président de la Reichsmusikkamer, mais démissionna de tous ses postes en 1936. De plus, près de 80 personnes ont témoigné, après guerre, avoir été sauvées ou aidées dans leur émigration par Furtwängler, dont Flesch, Hindemith, Knappertsbusch, Pfitzner et même Bruno Walter !
J’ai mis en valeur la place de Furtwängler au sein de la Résistance allemande : sans y avoir une action prépondérante, il était au courant des diverses opérations et fréquentait les grands Résistants Stauffenberg, Adam von Trott zu Solz, Ulrich von Hassel ou Gottfried von Bismarck. Il est ainsi important de souligner qu’après la tentative d’assassinat contre Hitler, le 20 juillet 1944, Furtwängler figure sur la liste des Allemands suspectés par Himmler et fera dès lors l’objet d’une surveillance rapprochée par la Gestapo…
Goebbels l’affirme dès 1945 : « Furtwängler n’a jamais été nazi et il n’a jamais fait de mystère là-dessus ». Pour Schönberg, il est un « vieil esprit national démodé », mais n’a « jamais été antisémite ». Cependant, par le poids de l’image et en raison d’une représentativité culturelle certaine, il est soumis à deux dénazifications. Par la suite, il devient un enjeu de la Guerre Froide entre les puissances occupantes, une Allemagne qui cherche à se reconstruire, et les Soviétiques.
Faisant preuve d’un engagement politique certain, il me semble finalement que Furtwängler ait cru à l’illusion d’un art apolitique, et à celle de la victoire de la musique sur la barbarie et la violence. Et qu’il ait fait les frais de la question de la « représentativité » de l’artiste : qui d’autres était en effet plus présent (et même contre sa volonté) sur le plan musical, dans les médias et la propagande au cœur de la Seconde Guerre Mondiale ? Pour les Alliés, les groupes de pressions anti-nazis, puis les forces d’occupation de l’Allemagne, il était un symbole parfait de l’esthétisation du nazisme…

Si vous deviez à nouveau écrire un livre sur le chef légendaire, quels aspects de sa vie ou de son oeuvre aimeriez vous mettre en lumière et pourquoi?

Je pense que pour écrire un livre, il faut avoir des choses intéressantes à montrer, à expliciter ! Pour l’instant, je pense être arrivée au bout de mes possibilités de recherche concernant Furtwängler.
Je prépare un Doctorat à Nancy Université, toujours en Histoire Culturelle, sur un autre titan de la direction d’orchestre, Leonard Bernstein, mais dans l’optique du « médiateur culturel » qu’il était. C’est également, dans les limites de la sacro-sainte objectivité historique, un musicien qui me fascine, un personnage pleinement marqué par son siècle, et marquant pour son siècle. Que l’on songe à l’œuvre du compositeur, aux réalisations du pédagogue, aux interprétations du chef, à l’engagement de l’homme, …

Concernant le compositeur et l’interprète, quelles sont les oeuvres et les interprétations que vous aimez particulièrement?

J’aime beaucoup la Deuxième Symphonie et les Sonates pour Violon du compositeur. Je pense que Furtwängler mérite d’être redécouvert dans ses compositions, malheureusement peu interprétées. Concernant le chef d’orchestre, j’avoue un intérêt particulier pour les interprétations de la période de guerre, empreinte de tension, mais aussi de réflexion. Que dire des Symphonies de Beethoven et de Bruckner enregistrées dans les années 1940 : ce sens de la phrase, de la structure, la maîtrise de tous les moyens orchestraux, le jeu brillant de nuances, de couleurs, … Ce que j’aime chez Furtwängler, c’est qu’il est au sens propre du terme un interprète du compositeur, mais aussi un interprète de l’instant et des circonstances qui l’entourent, au sein de la musique.

Propos recueillis en mai 2009

Audrey Roncigli: Le cas Furtwängler. Un chef engagé, légendaire et pourtant décrié…
Voici l’un des portraits parmi les plus convaincants dédiés au chef
d’orchestre allemand Wilhelm Furtwängler (né à Berlin en 1886); décédé
le 30 novembre 1954). L’ouvrage d’Audrey Roncigli est élu « coup de
coeur » de la Rédaction Livres
de classiquenews.com. Ce texte d’une historienne mélomane, pose un nouveau jalon dans la juste compréhension du « cas »
Furtwängler au coeur des années les plus noires de l’histoire
européenne. Celui qui ne souhaita jamais mêler explicitement musique et
politique, ne cessa jamais de facto, de s’opposer au pouvoir hitlérien…. (Editions Imago)

Derniers articles

CRITIQUE livre. Jean-François Phelizon : Wolfgang Amadeus Mozart [2 volumes, E & N édition]

Plus de 1300 pages (en deux volumes), dédiées à la vie et l'œuvre de Mozart le fils composent une...

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img