The Sony Opera House
Après Philips, aujourd’hui Decca, ou DG, Sony music, très inspiré réédite ses joyaux de famille, dévoilant plusieurs enregistrements entre 1958, et 1995… Un cycle de rééditions dont quelques pures merveilles lyriques. Ce premier corpus intitulé « The Sony Opera House », créé l’événement de juin. Voyez plutôt.
En version économique, chaque coffret de 2 cd comprend le synopsis et la distribution. Partie des livrets peuvent être téléchargés à partir du site officiel de la collection The Sony Opera House
D’emblée nous débutons avec le meilleur. Cette Adriana (Renata Scotto) ne manque ni de noblesse ni de tension tragique comme de tendresse délicate. Autour de la diva italienne, un collectif en tout point épatant: Sherril Milnes des grands soirs (Michonnet), et surtout le Maurizio, ardent, lumineux et solaire de Placido Domingo (quel abattage et quelle intensité!). Dans cette intrigue parisienne sous l’Ancien Régime, à l’époque du pur rocaille, (circa 1730), les femmes de pouvoirs (terrible Obraztsova en princesse de Bouillon, vorace, fulminant, au début du II, ayant des accents léonins à la Baltsa) sont de sévères rivales: elles se disputent le beau militaire qui est aussi le Comte de Saxe. L’activité de l’orchestre (superbe Philharmonia Orchestra) est permanente et démontre à nouveau le sens dramatique sans faille d’un Levine chauffé à bloc. En août 1977, dans les studios d’Abbey Road, chef, solistes offrent de l’opéra vériste, une lecture très caractérisée et fluide, sans lourdeur. La dernière scène où Adrienne qui a quitté le théâtre, croit mourir dans l’un de ses grands rôles (empoisonnée à son insu par l’intraitable Princesse de Bouillon) impose le style de « la Scotto »: la voix est idéale de tenue, de souffle, de style, de ligne. Ce qui est prodigieux dans ce répertoire et se révèle captivant. 2 cd Sony Music
Richard Wagner: Der Fliegende Holländer
En 1994, enregistré au Manhattan center de New York, nous retrouvons Levine, un soupçon assagi par rapport à son Cilea frémissant et oxygéné de 1977. Ce Hollandais volant est pris sur des tempi ralentis, comme si le chef souhaitait prendre son temps et méditer sur le sens profond de la fable maritime et tragique, en particulier pour le grand air (Ballade) de Senta au II: même à ce rythme, Deborah Voigt sait maîtriser son souffle: la voix est rayonnante bien que question de style, assombrie, défaite; Mais elle incarne à dessein la silhouette de la jeune femme habitée, énigmatique, déjà promise à l’élu qui saura la ravir. Son timbre a cette tendresse triste d’une indiscutable intensité. Assurément ce n’est pas le cas d’Erik pourtant ardent (halluciné Ben Heppner). James Morris campe un sombre et vibrant Hollandais, dépassé humainement par la tragédie d’une vie errante et maudite: le style est captivant avec un sens de la ligne sinueux, engagé, juste, toujours brûlé, sur un fil incertain, comme prêt à chaque mesure à se rompre (scène où le Voyageur se retrouve seul avec Senta au II). Sa silhouette s’avère chant d’infortune et de désespoir: un cri déchirant. L’unité et la cohérence emporte cette lecture très engageante. Le duo que les deux amants magnifiques composent est mémorable et ajoute à la valeur de cette lecture plus que convaincante. 2 cd Sony Music.

Barber: Vanessa
Superbe lecture, « historique » même. Dimitri Mitropoulos cultive un rire sardonique et grimaçant en articulant et soignant constamment la rondeur tragique de l’opéra souvent tendu et ironique de Barber… Incroyable prise de son de 1958 (réalisée au Manhattan Center de New York, en février et avril 1958 précisément): le chant glaçant des cordes, la vitalité des cuivres éclairent une partition captivante qui met en avant la saveur douce amère de la comédie, la solitude et l’hypocrisie familières, le relief des voix. Au sommet de ses possibilités, Eleanor Steber (Vanessa) incarne le personnage titre écrit pour elle: chant sensible et brûlé, d’une expressivité délirante, imprévisible, schizophrène et volcanique. La prouesse est grandiose. Le drame sentimental, entre Vanesa, sa nièce Erika et Anatol II, se change en conflit émotionnel semé d’angoisse et de malaise. Où la femme soumise, romantique amoureuse doit attendre toujours l’amour véritable qui ne vient jamais… La rivalité courte entre Erika et Vanessa souligne un contraste entre deux femmes éperdues, fragiles, vulnérables, inquiètes: face à elle l’Anatol de Nicolai Gedda déploie une subtilité captivante qui fait comprendre comment les deux femmes ont pu se laisser conquérir: Erika qui attend un enfant et Vanessa que la différence d’âge soumet aux vertiges d’un mariage de la dernière heure. Mitropoulos navigue à vue dans une mer d’émotions, de sentiments fugaces et souterrains, parvenant à réussir l’unité du drame. Noire et ironique, tendu et glaçant. Sublime (2 cd Rca Red Seal).
Massenet: Le Cid, Herodiade
Au Carnegie Hall en mars 1976, Eve Queller, à la tête des équipes de l’orchestre de l’Opéra de New York, aborde Le Cid avec une distribution luxueuse: Placido Domingo (Rodrigue), Grace Bumbry (Chimène)… La direction est souvent pâteuse, claironnante… dommage car le tempérament des deux protagonistes est défendu par deux chanteurs aguerris et les choses deviennent vraiment intéressantes au III dans l’air tragico-désespéré de Chimène (« De cet affreux combat, je sors l’âme brisée« , préparé en une longue introduction à la clarinette… cd2, plage 6): Bumbry colore sa voix puissante et sombre dans une soie vocale superbe et articulée, donc intelligible. Domingo s’en sort lui aussi avec les honneurs tant la force convaincue qu’il apporte au personnage de Rodrigue, a d’impact. (2 cd Sony Classical).
Plus récent, l’enregistrement d’Hérodiade avec la « Reine » Fleming, en 1995, captive tout autant. Valery Gergiev, dramaturge né, relit la partition avec une passion indiscutable, laissant à la soprano vedette, au timbre somptueusement voluptueux, la liberté d’approfondir son personnage (Salomé). La langue suave et lyrique de Massenet lui va comme un gant… ce qu’elle nous montre aujourd’hui dans Thaïs ou depuis quelques années dans Manon. Le Jean de Placido Domingo résiste lui aussi, grâce à l’ardeur vaillante du Prophète ivre de justice et d’élévation morale. Certes les mauvaises langues crieront à l’exotisme d’une langue souvent déformée, « américanisée »: or l’engagement et la musicalité de chacun (le Juan Pons d’Hérode) classent cette version sur le plan de l’expression, parmi les plus intéressantes. La production de San Francisco de 1995 n’est pas si hors sujet que cela! (2 cd Sony Classical).