Richard Strauss
Les quatre derniers lieder
France Musique
Samedi 25 juillet 2009 à 20h
Waltraud Meier, mezzo-soprano
Orchestre Philharmonique de France
Eliahu Inbal, direction
En 1944, Paul Sacher commande au musicien, l’oeuvre pour 23 cordes, Métamorphoses: image terrifiée et nostalgique d’un monde à jamais perdu, de la perte irrémédiable de la culture germanique brûlée et sacrifiée sur l’autel de la folie nazie, allégorie du crépuscule, celui de l’époque vécue, et du temps présent de l’agonie et de la perte des forces vitales (le compositeur âgé ressent comme plusieurs déchirures le bombardement des opéras de Munich, Dresde, Vienne, comme celui de la maison de Goethe à Franckfort…): il y signe une manière de testament artistique. La partition est écrite en avril 1945, élégie en un seul mouvement, notée adagio ma non troppo, créée à Zürich, le 25 janvier 1946. Strauss y mêle souvenirs de Tristan de Wagner, et marche funèbre de la Symphonie n°4 de Beethoven.
Le dernier Strauss, de Métamorphoses à Eichendorff et Hesse…
Mais dans le mouvement des harmonies mêlées, se glisse en filigrane un secret espoir, une renaissance espérée et possible, l’aube de temps nouveaux pour une nouvelle civilisation… c’est le sens, inspirée par la fin de la Tétralogie de Wagner, dans le Crépuscule des dieux ou de Tristan, où quand tout meurt, tout, ensuite, peut renaître aussi. Il écrira alors un texte pour le futur, une lettre testament adressée du chef Karl Boehm (datée du 27 avril 1944) dans laquelle le vieux compositeur se soucie de la reconstruction des opéras détruits, qui comme les musées, doivent diffuser et préserver les grandes oeuvres lyriques comme un bien pour tous: c’est là que l’on pourrait écouter et réécouter l’enseignement des partitions majeures comme on va au Prado ou au Louvre contempler Velasquez ou Poussin… Strauss y formule quelques réserves cependant, à condition que ne soient pas montées les productions « indignes » à son goût de l’opéra classique (tels les trop critiquables: Otello et Don Carlo de Verdi, Faust de Gounod, Guillaume Tell de Rossini…
Après la guerre, Strauss un temps inquiété et suspecté de collusion indigne avec le régime de la honte, est interdit en Allemagne et en Autriche: il s’installe en Suisse, loin de sa chère villa de Garmisch… qu’il ne pourra rejoindre qu’en mars 1948.
Personnalité encore entachée de nazisme, Strauss qui rêvait d’un voyage aux Etats-Unis ne put réaliser son rêve, en particulier à cause d’un article assassin à son encontre écrit par le fils de Thomas Mann (Los Angeles Times) où il est présenté comme un ex collaborateur du régime hitlérien… Ainsi après les guerres, vont les règlement de compte.
A 83 ans, il prend l’avion (pour la première fois de sa vie!) pour l’Angleterre en octobre 1947, à l’invitation de Sir Thomas Beecham. Il dirigera lui-même le 19 octobre, le Philharmonia Orchestra à l’Albert Hall: Symphonia domestica, Don Juan, Burlesque et les valses du Chevalier à la Rose.
En Suisse, vécu comme un exil hors de sa chère Bavière, Strauss est amer et désespéré: le vieux loup solitaire, comme « banni » malgré le prestige de son oeuvre et sa considération malgré tout pour un art véritable servant les hommes et cet idéal dont il a été le serviteur zélé, se concentre sur une nouvelle oeuvre: un cycle de lieder. Ainsi naissent les derniers Lieder pour soprano et orchestre, sur les poèmes d’Eichendorff et de Hesse.
Quatre « derniers » lieder
Aboutissement de l’écriture post romantique et aussi d’un siècle et demi d’écriture de lieder, les Quatre lieder prennent leur envol final dans l’ultime Im Abendrot (Eichendorff), adieu à la vie. Leur titre a été donné abusivement par l’éditeur britannique Boosey and Hawkes. La ciselure de l’orchestration atteint un sommet poétique irrésistible qui sert d’écrin, tapis instrumental plein de fraîcheur émerveillée et de raffinement- à la voix de soprano qu’il a tant aimé servir elle aussi et qui fut la tessiture de son épouse, la cantatrice Pauline de Anna. C’est la fin d’une vie, celle d’un couple ayant traversé, main dans la main, les épreuves et les vertiges, tempêtes et sommet d’une vie longue. et intense.. Strauss en achève l’orchestration à Montreux en avril 1948.
Le compositeur met aussi en musique 3 poèmes de Hermann Hesse (1877-1962) qui en 1946 recevait le prix Nobel de littérature: c’est son fils qui fit découvrir au vieux compositeur la poésie des trois textes: Frühling (Printemps), Beim Schlafengehen (En s’endormant), September (Septembre); éveil au cycle éternel des saisons, cycle enchantée de la nuit, invitation au repos espéré, il s’agit pour le compositeur d’aborder le plus sereinement possible, et avec une nostalgie déchirante, la mort, comme il l’avait réalisé dans son poème Mort et transfiguration.
Les 4 derniers lieders sont créés au Royal Albert Hall de Londres, le 22 mai 1950 par Kirsten Flagstad, le Philharmonia Orchestra, dirigés par Wilhelm Furtwängler. L’auteur était mort depuis quelques mois, le 8 septembre 1949 à Garmisch. L’humanisme qui se dégage du cycle contemplatif, laisse envisager cette fusion bienheureuse entre l’homme et la nature. La nature nourricière d’où l’on vient et que l’on retrouve au bord du précipice, et dont les images d’un esthétisme miraculeux et salvateur, guérissent de tout, comme dans Haydn et son oratorio La Création, écrit lui aussi, à la fin de sa longue carrière à Vienne (en sa maison de Gumpendorf, en 1798).
A noter que l’appellation par l’éditeur Bossey & Hawkes des « Quatre derniers lieder » est erronée: Strauss composa après eux, un ultime pour la soprano Maria Jeritza qui en conserva la partition secrètement jusqu’à sa mort. Le dernier opus vocal de Strauss « Malven » (Mauves) est créé par Kiri Te Kanawa à New York (dans sa version voix et piano) le 10 janvier 1985.