jeudi 24 avril 2025

Versailles. Bassin de Neptune, le 9 juillet 2009. Récital Roberto Alagna. Un siècle d’opéra français. Orchestre de Paris. Michel Plasson, direction

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Leçon de beau chant français

Soirée de prestige dans le cadre splendide du bassin de Neptune, dans les jardins du château de Versailles. Près de 7000 spectateurs rassemblés pour l’occasion, et une scène érigée en plein milieu de l’eau, une atmosphère de fête s’élève pendant que tombe la nuit. Roberto Alagna, peu de temps après son hommage à Caruso, dresse le tableau d’un siècle de chant français, un répertoire pour lequel il possède toutes les qualités, soutenu par l’amoureux le plus fervent de cette esthétique particulière, Michel Plasson. Le programme est passionnant, riche de raretés.
Le concert s’ouvre avec L’Arlésienne de Bizet, superbement colorée par un Orchestre de Paris en grande forme. La sonorisation, quelque peu hasardeuse au début, tend à doter les cordes d’une sonorité métallique et semble peiner à rendre palpable tout l’éclat de cette musique. Elle s’améliore grandement une fois le ténor entré en scène.
Le célèbre air d’Orphée de Gluck prend des airs d’échauffement, mais reste interprété avec élégance et finesse, ainsi que de l’air de Pylade, extrait de l’Iphigénie en Tauride. Au fur et à mesure que la musique avance, l’éclat vocal du chanteur s’affute, comme s’il cherchait à retrouver ses repères vocaux dans un cadre à l’acoustique difficile, obstacle rendu plus ardu encore à franchir avec la sonorisation, qui nimbe sa voix d’une réverbération importante.
Le raffinement tendre de Grétry sied merveilleusement bien à son timbre et son geste vocal, loin de l’éclat trompettant de certaines œuvres italiennes.
La romance tirée de Zémir et Azor constitue un véritable petit chef-d’œuvre de pudeur musicale et vocale, couronnée de délicats aigus en voix mixte.
Avec les Abencérages de Cherubini, Roberto Alagna renoue avec une certaine vaillance, lançant ses aigus à pleine voix, dans une couleur solaire et héroïque des plus appréciables. Sa parfaite diction, ciselée avec art, fait merveille dans cette scène dramatique.
La grande scène de Joseph, composée par Méhul, lui donne une nouvelle fois l’occasion de prouver combien ce répertoire, à la texture unique, coule dans sa voix. Le programme se clôt avec La Marseillaise, au début de laquelle le public se lève comme un seul homme, dont le second couplet est entonné a cappella, suivi par l’orchestre et qui s’achève comme un coup de tonnerre.

Généreux en bis, notre ténor se lance sans attendre dans la romance de Nadir. Après l’héroïsme de la pièce de Rouget de Lisle, c’est pour le moins un écart surprenant et ardu. Pourtant, il se tire de l’écriture très tendue de Bizet, osant des falsetti qui se prêtent aux couleurs de cet air.
Toujours en grande voix, il enchaîne avec l’air de la fleur de Don José, qu’il maîtrise et dessine comme peu. Tout en délicatesse, à fleur de lèvres, loin des furies d’autres ténors dans cet air, son chant est une imploration, couronnée par un aigu en voix de tête, tel que l’a voulu Bizet, d’une touchante émotion.
Eléazar, le rôle serait sans doute lourd pour lui, mais que l’air lui va bien ! Il semble avoir saisi déjà toutes les facettes du personnage, et sait en traduire les craintes avec force et conviction. La ligne vocale, extrêmement détaillée, il n’en fait qu’une bouchée, avec une évidence musicale digne des plus grands.
Pour achever cette soirée exceptionnelle, il s’offre (et offre) un ultime rappel : la cavatine de Roméo, un rôle qui, au début des années 90, a fait de lui le successeur de Georges Thill et Alain Vanzo dans l’opéra français. Il sait toujours, tel un peintre, varier les couleurs et les nuances, pour faire de cet air la plus vibrante des déclarations d’amour. La ligne vocale est superbe, la diction raffinée à l’extrême. Seul l’aigu final sonne un rien fatigué.
Pourtant, le chanteur n’a pas dit son dernier mot. Alors que l’assistance l’ovationne, à l’instar des grands ténors du passé, il reprend, seul, la fin de l’air, bien vite rattrapé par le chef et l’orchestre, et lance avec assurance cet aigu dont il n’était pas satisfait, prouvant à tous qu’il reste le maître incontesté de ce répertoire.
Quel meilleur chef pouvait-on rêver pour diriger cette soirée que Michel Plasson ? Il aime visiblement toutes ces œuvres et les conduit avec une précision perceptible, déployant à l’orchestre un immense legato jamais pris en défaut. Les tempi, souvent lents, rendent la tâche difficile à Roberto Alagna, notamment pour la tenue du souffle, mais donnent à toutes les pièces une noblesse délectable.
Voici deux des plus grands serviteurs du style français, pour une soirée d’un raffinement et d’une élégance rares.

Versailles. Bassin de Neptune, 9 juillet 2009. Un siècle d’opéra français. Georges Bizet : L’Arlésienne, suite n°1, Prélude, adagietto et farandole. Christoph Willibad Gluck : Orphée et Eurydice, « J’ai perdu mon Eurydice » ; Iphigénie en Tauride, « Unis dès la plus tendre enfance ». Charles Gounod : Mireille, Ouverture. André-Ernest Modest Grétry : L’Amant jaloux, « Tandis que tout sommeille » ; Zémir et Azor, « Du moment qu’on aime ». Luigi Cherubini : Les Abencérages, « Suspendez à ces murs… J’ai vu disparaître ». Etienne Nicolas Méhul : Le jeune Henri, « La chasse du jeune Henri », ouverture ; Joseph en Egypte, « Vainement Pharaon ». Hector Berlioz : Le Corsaire, ouverture n°21 ; La Damnation de Faust, Invocation à la nature, Marche hongroise ; La Marseillaise. Roberto Alagna. Orchestre de Paris. Michel Plasson, direction

Compte rendu mis en ligne par Alexandre Pham. Rédaction: Nicolas Grienenberger

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