Compositrice et soprano, Tatiana Probst incarne l’équation à la source de la magie et de la puissance artistique : verbe et musique, mots et son, chant et poésie. Les 8 « stations » qui composent ce formidable voyage musical qui est aussi parcours personnel, bénéficient ici d’une édition soignée et explicative ; chaque séquence est ainsi présentée avec l’intégralité des textes et poèmes (de la plume de la compositrice) mis en regard avec chaque partition. Le soin apporté à la réalisation s’accorde avec l’intensité des pièces qui profitent de textes aussi contrastés que forts dont on comprend qu’ils suscitent par leurs images irisées, des fulgurances musicales du même calibre : « ventre de la fin », « nuances aveuglantes », … « ma race folle qui se viole et s’affronte »… autant de superbes alliances textuelles qui reflètent une hypersensibilité d’une exceptionnelle justesse poétique, sur l’humanité, le monde, notre actualité.
Le cheminement débute par deux pièces de 2012, l’étrangeté fulgurante, un rien inquiète de « The Matter of time » ; puis la souplesse plus épanouie du piano seul dans « Wotan’s Träumerei » / rêve de Wotan, avec ses références aux vertiges wagnériens (vraies citations du Ring), son héros aussi ambitieux, arrogant que défait et en fin de parcours, anéanti… par cette obligation à perdre sa fille (citation des adieux de Brünnhilde / Wotan, conclusion bouleversante de la Walkyrie, le volet le plus humain des Journées de la Tétralogie ; évidemment le choix de cet extrait du Ring n’est pas anodin).
La matière même du « temps musical » s’exprime ainsi en ombres, songe, texture de l’insondable, particulièrement dans les miroitements et la soie flottante « D’ombre et de lumière »… prélude à un emballement dans un boogie woogy pour une ultime cristallisation.
Se distingue à notre avis l’âpreté et l’étirement presque douloureux (en alarmes crispées), de « Ainsi un nouveau jour » pour quatuor à cordes (2016) ; ses lignes (l’ultime conclusive) suspendues dans l’ombre justement – à la fois marche enchantée, enivrée, proche de l’abîme… c’est le plus long morceau (9 mn) développant une belle collection de phrases éperdues, allongées, d’une volupté inédite, où se dessine en accents nerveux et fugaces, comme la proclamation d’une aube nouvelle pour un monde enfin pacifié. Enivrante utopie.
Chants / champs enivrants, exaltants
TATIANA PROBST
Compositrice, chanteuse, poétesse…
Même enthousiasme pour l’œuvre créée en 2017 par l’Orchestre Pasdeloup, « Les Ans volés », titre facétieux, ambivalent sur le thème « Envolées » proposé alors par l’Orchestre parisien. Guerre et sirène… urgence et suspension, rêve proche du cauchemar, sombre parure orchestrale, crépusculaire et mystérieuse… l’écriture musicale une riche matière voluptueuse qui répond au mezzo onctueux de la compositrice cantatrice ; antagoniste, le propos exprime dans une gradation idéalement canalisée, l’esprit de la faute et du crime, comme une malédiction poisseuse, renouvelée ainsi depuis Wagner. Chant et instruments imposent une indéniable force poétique. La poétesse exhorte au réveil général, après avoir dénoncé : « Ce crime c’est le nôtre! » (cf voir la vidéo ci après).
Le Trio « 3 mots-Songe » (2017), expose d’abord la blessure du violoncelle, avant que les 3 instruments ne tissent un verbe musical qui s’accomplit en série de vagues et de déflagrations somptueusement intimes. Le Serment d’Hippocrène (commande du père Dominique Probst, 2019) s’apparente à une manière de tango argentin, vif emporté fougueux passionné (envol du fils sur Pégase), avec une tendresse nouvelle… Enfin difficile de demeuré insensible à la dernière séquence (texte seul écrit pour sa Symphonie n°1 (2014) ; ses rires intergénérationnels, riches d’espoir et de partage en liberté. L’univers de Tatiana Probst touche et captive. Le cd est un régal, une opportunité idéale pour découvrir ses foisonnantes illuminations.
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CRITIQUE CD événement. Tatiana PROBST : « The Matter of time Project » ( 1 cd Continuo classics) – CLIC de CLASSIQUENEWS hiver 2022.
Photos : © Capucine de Chocqueuse, Maxime Lenik, Barbara Probst
Plus d’infos : https://www.tatianaprobst.com
vidéo
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Tatiana Probst chante les Ans volés / Orchestre Pasdeloup
Les Ans Volés, création pour voix et orchestre de Tatiana Probst, commande de l’Orchestre Pasdeloup, enregistrée en direct le 14 /10/2017 à la Salle Gaveau sous la direction de Julien Masmondet.