Mezzo
Le 11 septembre 2009 à 20h30
Le 19 septembre 2009 à 16h
Facéties opératiques
Joseph Haydn, à l’occasion du bicentenaire de sa mort le 31 mai 2009, Mezzo, après Arte, nous offre un très beau cadeau, d’autant opportun qu’il éclaire un
pan méconnu, mésestimé de son écriture : la veine opératique.
Jérémie Rhorer nous avait dévoilé la truculence pétillante et subtile de l’Infedelta Delusa
: une farce comique et sentimentale portée par l’ingéniosité d’une
maîtresse femme (Festival d’Aix 2008 avec l’excellente et truculente
Claire Debono percutante à souhait dans le rôle axial de Vespina!).
Création proche du Cosi mozartien, tant Vespina fait penser à Despina).
Au début de cette année, autre révélation qui en fait était une reprise
mais d’autant mieux comprise en cette année commémorative : Jean-Claude Malgoire
remontait à Tourcoing en mars 2009, avec son atelier Lyrique, le
dernier opus du maître d’Eisenstadt, jamais représenté pour des raisons
de censure probablement, Orfeo ed Euridice (L’Anima del Filosofo),
relecture personnelle, très originale et surtout désespérément sombre
du mythe orphique. Haydn semble y signer une manière de testament
artistique, philosophique, musical, poétique, humaniste d’une rare
singularité de ton, étonnante de la part de celui qui aima toute sa vie
servir et flatter le goût des princes. En fait pas tant que cela, du
moins en s’autorisant une liberté de ton propre et indépendante.
Orlando déjanté
Autre découverte que celle de l’opéra Orlando Paladino,
en vérité déjà relu et porté à la scène avec entre autres, Patricia
Petibon et Christian Gerhaher, par Nikolaus Harnoncourt (Festival de
Graz 2005, DHM). Voici une autre perle du compositeur, sa vision
personnelle et bouffone, tout aussi raffinée, du mythe chevaleresque
inspiré de L’Arioste : Roland. Ici Haydn redouble de facétie
succulente. Le compositeur aime mêler les genres comique et bouffon
(Pasquale),
tragique et délirant (Orlando), incantatoire (Alcina), tendre et
palpitant (Angélique), amoureux et contemplatif (Medoro),
héroïco-comique (Le Roi de Barbarie): chacun y trouvera son compte.
Mais tant de jubilante santé poétique fait penser bien souvent la
liberté de l’opéra vénitien du 17è (Cavalli).
Au I, acte d’exposition plus que d’action – Orlando
n’apparaît qu’après 48 minutes-, il s’agit de montrer le couple
amoureux Angelica/Medoro, fragilisé et apeuré même, à l’idée de
retrouver leur ancien compagnon, ce Roland devenu fou après qu’il ait
perdu son aimée Angelica, laquelle lui a préféré Medoro. Amants mais
coupables, fou en délire, auxquels Haydn ajoute une galerie de
personnages loufoques et parodiques : la suivante d’Angélique qui se
transforme en… fée Alcina (laquelle est sensée protéger les deux
amoureux), Pasquale, véritable basse bouffonne et double du héros
déconstruit, comme le sont Pancha pour Don Quichotte et aussi,
Leporello pour Don Giovanni…) On pense aussi au Don Juam de Mozart face
à l’écriture des airs de Medoro, ténor languissant, passif et
contemplatif, qui prélude au Don Ottavio du chef d’œuvre de Mozart.
La
mise en scène d’Amir Hosseinpour fait danser les sapins sous les
murailles du château de la Reine Angélique, et le pauvre Orlando, proie
de ses vertiges délirants, fou solitaire finalement impuissant, peine à
retrouver la raison: c’est pourquoi par exemple dans cette mise en
sècne assez déjantée et quelques peu anecdotique, le final du I
s’achève dans un bazar d’asiles psychiatrique où chacun palpite au
diapason de la folie qui diffuse… Nonobstant, voici une production
qui rend justice à l’oeuvre trop écartée de Haydn: la direction
engagée, rythmiquement affûtée (comme toujours) de Jacobs, la
distribution homogène, le spectacle vif sans rupture de mouvement
réalisent une lecture enjouée, séduisante, mordante… tout le visage de Haydn, moins bon « papa » que vrai défricheur espiègle des formes et des effets de théâtre lyrique.
Ici la verve facétieuse et expérimentale de Haydn s’en donne à coeur joie, illustrant avec une liberté inventive inouïe le mythe du paladin fou, qui aime sans retour la reine de Cathay, Angelica (laquelle lui préfère donc Medoro le chevalier sarrasin).
Du bocage des I et II aux Enfers qui ouvrent le III (chanson de la basse incarnant Charon endormi), le compositeur créée de multiples situations comiques et héroïques, fantastiques et poétiques, variant les climats et les confrontations scéniques : le duo Eurilla et Pasquale, le valet de Roland, usé par la folie aveugle de son maître et les privations de leur quête impossible, compose un couple secondaire à la fois humoristique mais d’une tendresse sincère; la lâcheté de Medoro, l’aimé indigne d’Angelica qui se cache sans cesse puis est blessé en voulant sauver la Reine des animeaux de la forêt (III); Orlando lui-même qui à force de ronger sa folie, affronter le labyrinthe amoureux pour lui, sans issue pacifiée, s’opposer à la magie protectrice d’Alcina qui veille sur Angelica… ; sans omettre l’intervention de Rodomonte, roi de Barbarie venu pourchasser Orlando puis pactiser avec lui… l’imbrication des personnages et des registres créée une scène au ressort dramatique constant.
Haydn fait même de la légende amoureuse et féerique de L’Arioste un conte bouffon, perle napolitaine qui annonce par ses rythmes frénétiques Rossini, et dans ses airs qui révèlent les gouffres émotionnels des personnages, – leur blessure et leur désarroi-, le théâtre du coeur de son contemporain Mozart. Car, certes, il est question de comédie mais l’amertume et la grâce du déchirement amoureux (air troublant de profondeur tendre de Orlando au III) sont aussi de la partie. Le théâtre de Haydn est complet: et les chefs seraient inspirés, dans le sillon tracé par le visionnaire Antal Dorati (qui enregistre 8 opéras chez Decca dans la charnière 1970/1980) -coffret heureusement réédité en septembre 2009 pour le bicentenaire Haydn 2010, de veiller à dévoiler la double lecture du théâtre de Haydn: élégance et facétie, sincérité et profondeur. René Jacobs détaille et se révèle d’une finesse psycologique grâce surtout à la cohérence de la distribution vocale.
Joseph Haydn: Orlando Paladino
Opéra en 3 actes de Joseph Haydn
Direction musicale : René Jacobs
Mise en scène Nigel Lowery, Amir Hosseinpour. Avec : Marlis Petersen. (Angelica), Pietro Spagnoli (Rodomonte), Tom
Randle (Orlando), Magnus Staveland (Medoro), Sunhae Im (Eurilla),
Victor Torres (Pasquale), Alexandrina Pendatchanska. (Alcina), Arttu Kataja (Caronte / Licone). Réalisation : Andreas
Morell. Coproduction : ARTE, Opéra de Berlin Unter den Linden, Festival
de musique ancienne d’Innsbruck. Opéra enregistré le 8 mai 2009 à l’Opéra de Berlin
Lire aussi notre dossier spécial bicentenaire de la mort de Joseph Haydn
Le « Roland paladin » de Joseph Haydn doit son
existence à un événement qui n’a pas eu lieu : le grand-duc Paul de
Russie et son épouse avaient annoncé leur venue au château Esterháza où
travaillait Haydn comme maître de musique. On attendait même la visite
de Joseph II pour l’occasion. Souhaitant accueillir avec un faste
inégalé ces illustres hôtes, le prince Esterházy demanda à Joseph Haydn
de composer un opéra. Le couple princier changea de route. Mais Haydn
avait achevé son « Orlando ». L’opéra, créé en décembre 1782 au
château, allait bientôt être joué sur toutes les scènes d’Europe, et
fut à l’époque déjà, accueilli comme le meilleur ouvrage lyrique du
compositeur.
Orlando Paladino est un drame à la fois tragique, héroïque et comique,
où se mêlent l’aventure et les sentiments sur une scène où les machines
métamorphosent les décors.
Le compositeur a su mettre en perspective des univers qui s’opposent,
illustrant avec brio le contraste entre les aspects héroïque, comique
et sentimental de l’action.
En mai 2009, le monde musical commémore le 200 ème anniversaire de la
disparition de Joseph Haydn. Arte lui rend hommage avec une
programmation exceptionnelle. Au programme, deux documentaires, un
concert dirigé par Mariss Jansons et Orlando Paladino dirigé par René Jacobs.