Symphonie n°3
Eté 1895, Mahler retrouve son ermitage au bord du lac d’Attersee. La
solitude recherchée, le désir de faire communion avec l’élément
naturel, la contemplation de la nature lui inspirent l’une de ses
partitions les plus démesurées et les plus inspirées. La contemplation
lui ouvre un univers de sensations inédites, en particulier le
sentiment d’une pure jubilation suscitée par le motif naturel. Claudio
Abbado à Lucerne poursuit son cycle Mahler et aborde en août 2007, la
Symphonie n°3. Choc de titans
Radio Classique
Mercredi 16 septembre 2008 à 20h
Orchestre de Paris
Christophe Eschenbach, direction
Concert en direct de la Salle Pleyel
Après avoir atteint le
sentiment d’éternité et l’expérience de la résurrection, ni plus ni
moins, dans l’ultime mouvement de sa deuxième symphonie, Mahler pour sa
Troisième symphonie, conservant la nostalgie des hauteurs célestes,
compose un partition qui logiquement se place à l’échelle du cosmos.
L’exaltation spirituelle et mystique développée dans la Deuxième symphonie, « Résurrection »,
le laisse à la même altitude, un état d’ascension vertigineux, cultivée
ici avec une plénitude exceptionnelle (en particulier dans le Minuetto)
A
34 ans, l’homme qui se sent asphyxié par son activité comme directeur
d’opéra, – à Hambourg-, ne disposant que d’un temps trop compté pour
composer, la seule activité qui compte réellement, veut en se mesurant
à l’échelle universelle, démontrer sa pleine maturité de compositeur.
Avec lui, le cadre symphonique gagne de nouveaux horizons, des
perspectives jusque là inconnues. Affirmation d’un démiurge
symphonique, la Troisième approfondit davantage le rapport unissant l’homme et la nature.
Pour mieux comprendre l’enjeu et le sens de la partition, évoquons tout d’abord sa genèse.
A
l’été 1895, Mahler retrouve son ermitage au bord du lac d’Attersee. La
solitude recherchée, le désir de faire communion avec l’élément
naturel, la contemplation de la nature lui inspire l’une des partitions
les plus démesurées. La proche végétation entourant sa cabane de
compositeur lui inspire le menuet Blumenstück (morceau de
fleurs), déjà cité. La contemplation lui ouvre un univers de sensations
inédites, en particulier le sentiment d’une pure jubilation suscitée
sur le motif naturel. A la manière des impressionnistes qui ont
renouvellé la perception du plein air et transformé radicalement les
modes et règles du paysages, en recherchant toujours plus loin et plus
intensément la véritable perception rétinienne sur le motif naturel,
Mahler emprunte des chemins similaires. Rien ne compte davantage que
cette retraite au sein du cœur végétal, dans la captation directe des
éléments.
Conscient de l’immensité de la tâche à venir, il couche d’abord le déroulement d’un programme : le titre en est : « songe d’un Matin d’été ». C’est l’époque où il lit Nietzsche (le Gai savoir). Ses lectures lui donne des pistes formulées dans de nouveaux titres : « l’arrivée de l’été » ou « l’éveil de Pan » (dont le sujet annonce la trame de sa future 7ème symphonie, la plus personnelle de ses œuvres et intimement liée à sa propre expérience de la Nature). Finalement son premier mouvement, s’intitulera « le Cortège de Bacchus » :
l’aspect dyonisiaque de l’élément naturel le touche infinement plus que
la vision ordonnée d’une nature maîtrisée, à l’échelle humaine.
L’univers mahlérien plonge dans le mystère et l’équilibre éternelement
recommencé des forces en présence.
Au final, Mahler compose à l’été
1895, son premier mouvement ou partie I, de loin le plus ample et long
prélude symphonique jamais écrit (plus de trente minutes), poussant
plus loin le gigantisme de la Deuxième Symphonie, déjà
fortement décriée. C’est que le point de vue des deux symphonies
précédentes, est totalement différent : Mahler semble se placer à la
droite de Dieu, contempler, embrasser, exprimer la grandeur indicible
de la Création. Il compose ensuite les quatre mouvement qui suivent et
qui constituent les trois quart de la Seconde partie.
A l’été 1896, Mahler affine les ébauches de 1895. Le premier mouvement
précisera l’aspect de la nature comme assommée de Soleil, gavée et même
emplombée de l’énergie de l’astre vital : c’est le temps où « toute vie est retenue et qu’aucun souffle n’agite l’air qui vibre et flamboie, ivre de soleil ».
Bacchus paraît : pour incarner son essence orgiaque, libératrice des
énergies fécondantes et primordiales de la nature, Mahler pense par
référence à une harmonie, et cette musique de marche militaire,- tant
entendue pendant sa jeunesse à Iglau-, pleine d’un panache dérisoire,
désormais caractéristique de son écriture.
Sa correspondance avec
son amie Nathalie Baueer-Lechner, et aussi les lettres adressées à son
aventure du moment, la cantatrice Anna von Mildenburg, témoigne de
l’extase créatrice qui l’habite alors : « Ma Symphonie sera quelque
chose que le monde n’a encore jamais entendu! Toute la nature y trouve
une voix pour narrer quelque chose de profondément mystérieux, quelque
chose que l’on ne pressent peut-être qu’en rêve! Je te le dis, certains
passages m’effrayent presque. Il m’arrive de me demander si réellement
cela devait être écrit. »
En juillet 1896, la matrice du premier
mouvement est achevée et Mahler éclaire son disciple Bruno Walter de
l’importance de qe qui a été réalisé : un accomplissement qui
« dépassera toutes les limites admises ».
Sans être encore pleinement croyant au sens chrétien du terme, même si l’élévation et l’aspiration dont témoigne la Deuxième symphonie,
nous laisse du compositeur, un témoignage bouleversant qui pourrait
être celui d’un être traversé par le sentiment christique de la
compassion et du pardon, Mahler affirme dans la Troisième symphonie,
son culte viscéral pour l’élément naturel, un panthéisme primitif dont
les fulgurances et les déflagrations salutaires, outre l’effet
cathartique qu’ils ont du produire sur le compositeur qui souffrait de
devoir travailler pour vivre et « jouer » le directeur de théâtre,
indiquent que le lien qu’il cultive avec les forces de la nature,
embrassées dans leur sauvageries régénératrices, sont l’aliment
indispensable à son identité propre, comme l’est le lien qui unit
l’enfant à la mère.

joués par les mêmes musiciens de la Philharmonie de Berlin sous la
baguette de Félix Weingartner-, suscite une horde de critiques
néfastes, absolument opposées à la vulgarité de son style, à ses
outrances banales. La reconnaissance se précisera six ans après sa
création, le 9 juin 1902 par l’orchestre de Cologne sous la direction
du compositeur, au festival de Crefed en Rhénanie. En présence de
Richard Strauss, Humperdinck, Willem Mengelberg, Max Von Schillings,
Mahler connut son premier véritable grand triomphe publique comme
compositeur.