mercredi 23 avril 2025

Bruxelles. Bozar, le 25 septembre 2009. Beethoven, Nielsen: Göteborgs Symfoniker, Anna Larsson (alto). Gustavo Dudamel, direction

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Difficile d’aller écouter Dudamel … sans en même temps aller écouter l’orchestre qu’il dirige ! – en l’occurence le « Göteborgs Symfoniker », qui n’est autre que la phalange nationale de Suède. Troisième saison déjà pour Gustavo Dudamel à la tête de cet orchestre qui est – quand même – considéré comme l’une des meilleures formations scandinaves, fondée en 1905, forgée par Nielsen, Sibelius … Et, de fait, les musiciens de Göteborg font preuve d’une maîtrise accomplie, bénéficiant de cordes à l’homogénéité infaillible, déployant une pâte sonore dense et riche, que d’aucuns pourraient toutefois considérer comme quelque peu compacte … ce qui n’est peut-être pas sans évoquer certaines « chapelles d’Etat » allemandes, celle de Berlin notamment.
Singulière association d’idées: la Staatskapelle de Berlin n’est-elle pas, précisément, celle où « règne » le maestro Barenboim, lui que l’on évoque volontiers lorsque l’on se met à imaginer les « mentors » de Dudamel tant sur le plan artistique qu’humain et charismatique.

Une première symphonie de Beethoven que l’orchestre semble s’être offert à lui-même, tant ce début de concert a donné l’impression d’être un peu (trop) sobre, contrôlé, rôdé … à tel point qu’en fermant les yeux on aurait aisément pu voir au pupitre un chef autrement moins « sanguin » que le fougueux Gustavo Dudamel. Rien de très pétillamment haydnien ni d’ailleurs d’éminement « viennois » tout court, dans cette première symphonie aux tempi amples, sinon étirés (adagio molto introductif). Rien d’anecdotique dans ce Beethoven-là, mais rien non plus d’anodin dans ce Dudamel-là: car si à Göteborg la « Première » de Beethoven est mûre, adulte, bien assise et bien établie, par moment indéniablement schubertienne (andante), tout dans la direction du chef vénézuélien est précis, net, minutieux et – surtout – juste et justifié. La position adoptée (par l’orchestre ? par Dudamel ?) est parfaitement défendable: la « Première » est conçue par elle-même et pour elle-même, dans tout ce qu’elle a d’abouti, de construit, de définitif, plutôt que comme juvénile annonciatrice des 3e, 5e, … 7e symphonies.


Gustav et Gustavo

Si Mahler en composant ses lieder avait pensé voix de femme plutôt que voix d’homme, il aurait pu penser Anna Larsson dont le magnifique timbre d’alto, à la fois chaleureux et ténébreux, a tout pour mettre en valeur l’ambivalence brumeuse de l’univers mahlérien: angoisse, solitude et mélancolie le plus souvent (Um Mitternacht, Ich bin der Welt abhanden gekommen) mais aussi bonheur, sensualité (Ich atmet’einen Lindenduft), facétie et malice même (Blicke mir nicht in die Lieder !). Anna Larsson est à l’aise dans tous les registres, ciselant l’individualité fugitive de chaque poème tout en maintenant l’unité formelle du cycle. Dans Ich bin der Welt la voix se fait sombre et crépusculaire pour peindre un monde suspendu et en apesanteur qui, s’il n’était celui de Rückert, serait celui de Maeterlinck … Où Mahler rencontre Debussy … On apprécie la beauté plastique et presque palpable de la voix d’Anna Larsson, même si une légère tension est perceptible dans les aigus les plus extrêmes. La diction est – faut-il le dire – d’une perfection qui rend superflue la lecture du texte imprimé dans le programme. Le (grand) succès remporté par la cantatrice est à la hauteur de sa prestation: impeccable.
Que dire du chef, de l’orchestre ? Et bien, sous la baguette de Dudamel, Göteborg peut se faire chambriste, transparent, intime lorsque Mahler le requiert. La partition qui ne manque pas d’interventions solistes, confirme la qualité des instrumentistes. Quant à Dudamel, on le savait déjà mahlérien grâce à son bel enregistrement de la Cinquième Symphonie – avec l’Orchestre des Jeunes Simon Bolivar du Vénézuéla ( Mahler: Symphonie n°5. 1cd Deutsche Grammophon, paru en 2006), il est vrai, au tonus décapant et à la stimulante vitalité !


Pour ou contre Dudamel ?

Alors … après l’avoir entendu dans Beethoven et Mahler, pour ou contre Dudamel ? Pour, assurément, d’autant qu’il ne va cesser de nous surprendre dans la Symphonie « Inextinguible » (composée en 1914-1916) qui clôture la soirée. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes de ce sud-américain, que de dévoiler ses talents dans une musique aussi éloignée que possible de sa terre d’origine, et de ce qui est censé constituer « son » territoire musical. Le choix est-il celui du chef, ou celui de l’orchestre ? Peu importe car l’oeuvre constituée de quatre mouvements enchaînés, convient à merveille tant aux musiciens suédois qu’au chef vénézuélien, qui semblent être plus « d’accord » sur ce qu’ils « font ensemble » dans Nielsen, que dans Beethoven. Inextinguible, touffue, tout l’art des Göteborgs Symfoniker et de son directeur musical a été de rendre compréhensible la structure de cette vaste fresque rhapsodique aux climats contrastés, variés, empreinte de motifs folkloriques et nourrie d’influences expressionnistes. L’aspect un peu « pesant » de l’orchestre – bien que toute relatif – que l’on regrettait peut-être dans Beethoven, se mue ici en qualité presque nécessaire pour interpréter cette musique « du terroir ». L’intensité de l’épisode lyrique du mouvement lent, qui n’utilise que les cordes, évoque un certain Adagietto d’un certain Gustav Mahler; l’urgence du final au caractère euphorique suggère quant à lui la Deuxième Symphonie « Résurrection » du même Gustav Mahler …

Vivement le retour de Dudamel en Belgique, mais cette fois avec l’Orchestre des Jeunes Simon Bolivar ! (Le concert de Dudamel à la tête de cet orchestre, prévu pour le 21 octobre 2009 au Bozar, a malheureusement été annulé).

Bruxelles. Bozar, vendredi 25 septembre 2009. Ludwig van Beethoven (1770-1827): Symphonie n° 1 en ut majeur Op. 21. Gustav Mahler (1860-1911), Rückertlieder. Carl Nielsen (1865-1931): Symphonie n° 4 opus 29, »Inextinguible ».Göteborgs Symfoniker, Anna Larsson (alto). Gustavo Dudamel, direction

Illustrations: Emil Nolde, Mer d’automne IX (1910) (Musée Sprengel, Hanovre) (DR) . Gustavo Dudamel (DR)

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