Symphonie Fantastique, 1830
France Musique
Dimanche 31 janvier 2010 à 10h
La tribune des critiques de disques
C’est le manifeste de tout un courant d’idées, un premier aboutissement de la révolution romantique en France: la Symphonie fantastique rétablit sur le genre orchestral, la prééminence de la France dans l’écriture musicale, majoritairement dominée par les compositeurs germaniques, dans le sillon des Viennois, Mozart, Haydn, Beethoven, Schubert. Et si la Fantastique était outre cet ovni symphonique inclassable dans l’histoire de la musique européenne, la preuve qu’il existe bien une tradition symphonique en France jamais éteinte depuis… Rameau?
Symphonie visionnaire
A 27 ans, Berlioz (né en 1803) s’impose par sa ténacité créative (son père le voyait plutôt médecin comme lui), un sens nouveau du rythme, des mélodies puissantes où tout est chant (comme chez Chopin). Surtout, le compositeur porte très loin le relief caractérisé des instruments, la place du timbre, et les ressources des alliances entre pupitres. C’est un orchestrateur qui après Rameau, incarne cette exigence française de l’écriture et des combinaisons d’instruments, variant jusqu’à l’infini le chromatisme du paysage sonore. Créateur de l’orchestre moderne, Berlioz s’intéresse aussi, en expérimentateur audacieux, à la forme: il nous laisse 4 cycles symphoniques d’envergure, aussi libres et inventifs que les meilleurs symphonistes ultra-rhénans: la Fantastique, Harold en Italie, Roméo et Juliette, la Symphonie funèbre et triomphale, sans omettre Lelio ou le retour à la vie…
Il faudra d’ailleurs restituer le contexte de l’écriture française pour orchestre dont Berlioz porte très haut la tradition qui ne s’est jamais éteinte en réalité. Prenez par exemple l’oeuvre de George Onslow récemment réhabilité par le Centre de musique romantique française (Quatuors édité par Naïve par les Diotima), Symphonies redécouvertes lors du premier festival du Palazzetto Bru Zane à Venise, « aux origines du romantisme français »... en octobre 2009, restituant l’écriture de Jadin, Onslow, Hérold).
Episode symphonique
Berlioz en 1830 bouscule les habitudes. Le moins intégré des compositeurs parisiens interroge, surprend, dérange. Fortement autobiographique, la Fantastique devait à l’origine s’inscrire dans un ensemble en diptyque plus vaste, constituant avec Lelio ou le retour à la vie… , Episode de la vie d’un artiste (créé en 1832).
La Fantastique ne peut se comprendre sans la violente action dramatique que sous-tend son développement. Le fantastique dont il s’agit est le fruit des visions, délires, vertiges d’un homme amoureux malheureux, éconduit, suicidaire, sous l’action des drogues hallucinogènes. Si la Fantastique stigmatise l’asservissement de toute force psychique aux pulsions souterraines et noires, le second épisode s’élève vers la lumière, un retour à la vie où l’âme épuisée mais quasi intacte du jeune homme peut à nouveau espérer …
Le 5 décembre 1830, la même année que la révolution théâtrale d’Hernani, le public parisien découvre la Fantastique, saisi par la violence, la sauvagerie voire l’impudeur du propos.
1. Rêveries et passions. Enivré par l’opium, le poète-musicien rêve de la femme idéale. A chaque évocation de l’élue, le héros s’abandonne à une vision extatique: c’est l’idée fixe, aussi irrésistible qu’obsessionnelle.
2. Au bal, la figure aimée, présente mais inaccessible prend davantage d’importance.
3. Scène aux champs: probablement inspiré par la découverte récente de la Symphonie n°6 « Pastorale » de Beethoven, Berlioz développe pour son mouvement lent, une évocation pastorale (chant et duo du cor anglais et du hautbois), pause bucolique dont le plein air coloré et palpitant voire menaçant (grondements de l’orage sur les pas de la 6è de Beethoven) coupe avec l’introspection des scènes préalables;
4. Marche au supplice: le lugubre surgit dans une vision sanguinaire et fantastique où le poète pense avoir tué sa bien-aimée, comme proie angoissée et trop soumise aux drogues dont il est la victime. L’évocation devient aigre et hideuse, objet d’un traitement orchestral d’une exceptionnelle orchestration. Dès sa création, ce morceau fut bissé par l’auditoire, effrayé par tant de justes secousses.
5. Songe d’une nuit de Sabbat: le poète assiste à ses propres funérailles. L’idée fixe refait surface mais dénaturée sous le prisme d’une sensibilité grimaçante, tel un air trivial désormais dissout dans une orgie satirique.
Atypique, porteuse d’avenir, la Symphonie Fantastique ouvre la musique vers son futur, dans l’audace et l’expérimentation: ce qu’a immédiatement reconnu Robert Schumann. Tous les grands romantiques, de Wagner à Liszt et jusqu’à Ricahrd Strauss ont une dette envers la modernité sans égale de Berlioz.