Le premier Leoncavallo voyait large et grand: inspiré par le grand oeuvre wagnérien, I Medici devait être l’un des volets de sa trilogie Crepusculum, glorifiant la renaissance italienne… sauf que le triomphe de Paillasse en 1892 allait réviser ses plans; et orienter son écriture dans les champs purement véristes. Les Medicis, créé au Teatro dal Verme de Milan en 1893, offrent donc un éclairage majeur sur la première manière de Leoncavallo: pas encore strictement mélodique; encore pleine de richesse harmonique, celle d’un orchestre plus subtil et flottant que celui de ses oeuvres plus tardives. Tristanesque pourtant, le duo Simonetta (Daniela) Dessi) et Giuliano (Placido Domingo) s’affirme manifestement dans l’art verdien le plus mûr, celui de Rigoletto, d’Otello et de Boccanegra, ultime version, fort d’un romantisme vénéneux.
L’intrigue très dense tourne autour du malheureux Giuliano da Medici, victime de la conjuration des Pazzi (1478), tentative d’assassinat et d’éradication des Medicis en l’église Sainte Réparate de Florence, dont réchappe seul son frère Lorenzo (magnifique rôle de baryton tenu par l’excellent Carlos Alvarez, plein de fougue noble et sanguine, et d’une musicalité nuancée constante), grâce à l’aide de Politien qui le jette hors de portée de ses assassins, dans la sacristie… Autour de Giuliano rivalisent les deux femmes amoureuses (Simonetta et Fioretta dont le fils, Giulio deviendra le pape Clément VII), mais aussi l’esprit lumineux d’Ange Politien, humaniste célèbre qui restitue à l’opéra, sa vocation à illustrer l’histoire italienne la plus édifiante et admirable.
Interprété dans une version critique de 1993, l’ouvrage (ici enregistré en 2007 à Florence, Teatro Communale) affirme d’évidentes réussites, faisant chanter et exalter ce wagnérisme à l’italienne, également présent dans Francesca da Rimini de Zandonai, autre admirateur du maître de Bayreuth. Le duo Dessi/Domingo, malgré l’usure de la voix et des aigus souvent tirés, s’impose par l’ardeur psychologique du jeu; une attention de chaque instant à l’impact du verbe et sa résonance émotionnelle. Le sombre miel de Renata Lamanda (Fioretta) n’est pas sans appeler aux mêmes louanges: soprano dramatique très caractérisé, son engagement fait aussi de cette version, une lecture d’individualités très fortes. Le Lorenzo de Carlos Alvarez est sans fautes; et les conjurés (Pazzi, bandini…), ennemis vibrants des Medici sont portés par la nouvelle génération du chant masculin en Italie. L’orchestre du Mai musical florentin est électrisé et tendu par l’excellent architecte Alberto Veronesi, qui tout en soignant la clarté de la progression, sait aussi rendre transparent le foisonnement des parties mêlées comme le fameux septuor final, apothéose musicale du dernier et quatrième acte, où sur le Credo, les opposants réalisent l’assassinat de Giuliano à défaut de tuer les deux frères Medici. La révélation est totale et l’interprétation de très haut vol.
Ruggero Leoncavallo: I Medici (1893). Livret du compositeur d’après Giuseppe Carducci. Avec Daniela Dessi, Plácido Domingo, Carlos Alvarez, Renata Lamanda. Orchestra E Coro Del Maggio Musicale Fiorentino. Alberto Veronesi, direction.