jeudi 24 avril 2025

Reims. Opéra, le 12 juin 2011. Bizet : Carmen. Julie Robard-Gendre, Jean-Pierre Furlan,… Dominique Trottein, direction. Nadine Duffaut, mise en scène

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Après Avignon, cette production de Carmen fait halte à Reims pour deux représentations.
Remaniée, la mise en scène de Nadine Duffaut plonge les spectateurs dans une Espagne de violence, de peur et de vengeance, d’un réalisme cru et sans concession qui prend aux tripes. Elle donne toujours, en filigrane, une grande importance au personnage de la mère de Don José. Durant l’ouverture, au moment du motif de la Fleur, on la voit écrivant sa lettre et la tendant à une Micaëla d’une innocence désarmante. On entend également sa voix déclamant la lettre que José est en train de lire. On la voit déambuler, comme en songe, au milieu de l’univers dangereux que José s’apprête à rejoindre. Et, durant l’introduction du quatrième acte, son portrait est projeté sur le mur du fond, au-dessus du graffiti portant le nom de Carmen, portrait qui voit un José en larmes tenter de l’enlacer, comme le dernier signe de la protection qu’elle aura essayé d’étendre au-dessus de son fils. Surprise de taille, achevant le duo final, c’est Micaëla qui poignarde Carmen, dernière étape de la déchéance dans laquelle la jeune femme a été entraînée, bien malgré lui, par José. Quittant la demeure de sa mère adoptive, elle a pris conscience de la dureté du monde, et n’en est pas sortie indemne. Une scénographie forte, aux résonances éminemment actuelles, d’une grande force dramatique.
Débutant dans le rôle-titre, Julie Robard-Gendre impose sa sensualité troublante et son physique grave, à l’aura sombre, mais semble devoir encore peaufiner la partie vocale du rôle. Si le timbre est beau et la voix puissante, elle semble, ainsi que nous l’avions déjà remarqué, souvent grossir son émission et l’alourdir, alors que lorsqu’elle se rapproche de la voix parlée, son geste vocal devient naturel et simple, clair et bien placé. De plus, son soutien semble insuffisant pour l’ampleur de l’instrument, ce qui rend le vibrato parfois trop marqué. Si son passage grave apparaît très bas dans sa tessiture, ce qui permet un air des Cartes aux graves jamais pesants, les résonances de poitrine sonnent encore fragiles, sinon absentes, rendant le duo final quelque peu périlleux. Des moyens vocaux conséquents et de toute beauté pour cette jeune mezzo, qui se déploieraient dans toute leur splendeur avec une technique vocale plus naturelle, davantage de clarté et plus de soutien.
Son José, incarné par Jean-Pierre Furlan, d’une vaillance rare, tout de jalousie et de rage, s’accorde parfaitement à la vision de Nadine Duffaut. Ce José-là vit à travers sa mère et se voit abandonné par Carmen comme un enfant, déchiré au plus profond de lui-même. Cependant, ce portrait vocal, tout en puissance et en décibels, révèle ses limites dans les moments plus intimes, comme le duo avec Micaëla, où le ténor français semble peiner à alléger son émission pour réaliser les piani écrits par le compositeur. L’air de la Fleur est donné à pleins poumons, avec franchise et sincérité, mais là aussi on aurait aimé davantage de finesse.
En revanche, le duo final est impressionnant d’éclat et d’aigus dardés, donnés sans fatigue, là où on a trop souvent vus des José épuisés se servir de l’animalité contenue dans la musique pour camoufler, sinon justifier, leur état. Jean-Pierre Furlan se donne dans ce duo avec force et aisance, à la fois bête féroce et parfaitement maître de son instrument. Un José comme on n’en voit plus beaucoup aujourd’hui, pas toujours très subtil, mais d’une grande efficacité dramatique.
Il rend d’autant plus fragile la Micaëla timide, presque effacée, de Ludivine Gombert. La voix est charmante et toutes les notes sont là, mais la voix passe difficilement l’orchestre et l’actrice manque parfois de charisme, jusqu’au moment où elle poignarde Carmen et fixe la salle d’un regard perdu, d’une grande force tragique.
Remarqué en Schlemil dans Les Contes d’Hoffmann à Massy, Pierre Doyen confirme à travers son Escamillo les espoirs qu’il avait suscités. Le timbre est beau, l’émission remarquable, haute, mordante et incisive, l’aigu parfaitement placé et timbré, la diction à saluer par sa précision et son élégance, et le personnage se révèle superbement vécu, notamment dans sa scène du troisième acte et durant le duel avec José, donné dans son intégralité. Un baryton à suivre de près, qu’on a hâte de revoir.
On remarque également une excellente équipe de contrebandiers, avec la Frasquita rouée de Hadhoum Tunc, la Mercédès à la voix de velours et aux graves superbement sonores de Marie Karall, le Dancaïre épatant d’autorité scénique de Lionel Peintre et le Remendado hilarant de Pierre Espiaut.
Très réussis également, le Zuniga de Christian Helmer et le Moralès de Christophe Gay. Mention spéciale pour la magnifique prestation de Catherine Alcover en mère de Don José, dotée d’un vrai magnétisme et d’une présence envoûtante.
Créé l’an dernier, le Chœur de Garçons du Conservatoire de Reims assure vaillamment sa partie, tous les enfants semblant prendre plaisir à fouler les planches. Très belle participation également du chœur, formé par l’Atelier lyrique de l’Opéra de Reims et l’Orcca, notamment dans un superbe ensemble des cigarières. A la tête d’un bon Orchestre de l’Opéra de Reims, Dominique Trottein fait montre des qualités qu’on lui connaît : un excellent équilibre entre la fosse et le plateau et une vraie attention aux chanteurs.
Beau succès pour cette production qui a ravi le public de Reims par sa qualité musicale et dramatique.

Reims. Opéra, 12 juin 2011. Georges Bizet : Carmen. Livret de Henry Meilhac et Ludovic Halévy, d’après la nouvelle de Prosper Mérimée. Avec Carmen : Julie Robard-Gendre ; Don José : Jean-Pierre Furlan ; Micaëla : Ludivine Gombert ; Escamillo : Pierre Doyen ; Frasquita : Hadhoum Tunc ; Mercédès : Marie Karall ; Le Dancaïre : Lionel Peintre ; Le Remendado : Pierre Espiaut ; Zuniga : Christian Helmer ; Moralès : Christophe Gay ; La mère de Don José : Catherine Alcover ; Lillas Pastia : Jean-Claude Calon. Chœur de Garçons du Conservatoire de Reims. Chœur : Atelier Lyrique de l’Opéra de Reims / Orcca. Orchestre de l’Opéra de Reims. Dominique Trottein, direction musicale ; Mise en scène : Nadine Duffaut. Assistante : Irène Fridrici ; Décors : Emmanuel Favre ; Costumes : Katia Duflot ; Lumières : Marc Delamézière ; Chorégraphie / Soliste : José-Manuel Huertas ; Chef de chant : Hélène Blanic

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