Après un disque hommage à Violeta Parra, Violeta y el jazz, qui lui tenait particulièrement à cœur, le ténor Emiliano Gonzalez Toro se lance dans un nouveau défi musical audacieux : habiller d’une parure de salsa et jazz la « Misa Criolla » de l’argentin Ariel Ramirez. Et pour ce faire, il a embarqué des comparses de longue date sur ce projet, en premier lieu le musicien cubain Alain Pérez, bassiste, chanteur, haute figure de la timba, et de la salsa cubaine contemporaine. Avec la pugnacité qu’on lui connait, Emiliano Gonzalez Toro a également convaincu du bien fondé de cette aventure le pianiste Thomas Enhco, qui face à tant d’arguments passionnés, s’est attelé, in fine, à la délicate mission de transformer la messe Créole en musique cubaine de braise, et ce en mettant à contribution les cuivres de The Amazing Keystone Big Band.
Emiliano Gonzalez Toro n’a jamais caché sa grande passion pour le jazz. Il nous avait par ailleurs confié, lors d’une interview, que la musique du XVIIe, qu’il habite avec talent, « était comparable au jazz, en ce qu’elle permet de librement improviser, à condition évidemment que l’on maîtrise les codes de l’harmonie et du rythme de ce répertoire ». Du Baroque au jazz cubain mâtiné de salsa, il n’y aurait donc qu’un pas que l’artiste a franchi avec aisance mercredi soir au Bataclan.
A la « Misa Criolla » dans ses habits jazzy, telle que présentée en cette soirée, a été adjoint fort pertinemment la « Navidad Nuestra », série de tableaux célébrant La Nativité sur des textes de l’auteur argentin Felix Luna qui nous plonge dès les premières notes dans une allégresse revigorante. En l’espace de quelques secondes, on est transportés en plein cœur palpitant de Cuba. Le résultat est bluffant comme si ces deux œuvres avaient été créées pour se côtoyer. Les arrangements de Thomas Enhco insufflent un groove irrésistible pétri de swing, de salsa et de timba, et portent également les ondes aussi émouvantes qu’exaltantes du gospel, restituant ainsi toute la dimension spirituelle de la « Misa Criolla ». L’Amazing Keystone Big Band qui remplace ici le chœur original, fait feu de tout bois, les cuivres sonnant comme mille voix à l’unisson. Sur le plan vocal, Emiliano Gonzalez Toro et Alain Perez ont rivalisé de talent dans une fluidité confondante où les voix se mêlent dans une alchimie de timbres.
Mais cette messe revisitée n’est pas que dansante, elle se veut également intimiste comme ce superbe « Agnus Dei » en mode piano/voix, sublimée par le touché caressant de Thomas Enhco et le velours de la voix lyrique de Gonzalez Toro. Une parenthèse à pas feutré sur laquelle se terminera d’ailleurs le concert, avant que les artistes ne se relancent de plus belle dans une démonstration de rythmes endiablés pour des Encore survitaminés. En ces temps tissés sur le fil de nos inquiétudes, ce concert revitalisant donné mercredi soir au Bataclan tombe à point nommé comme une parenthèse de répit salvateur. Il nous tarde maintenant donc de pouvoir savourer l’album à paraître le 18 avril prochain !
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CRITIQUE, concert. PARIS, Le Bataclan, le 5 mars 2025. Concert Misa Criolla – El Latin Jazz Project. Emiliano Gonzalez Toro (ténor), Alain Pérez (voix), Thomas Enhco (piano et arrangements), The Amazing Keystone Big Band (orchestre). Crédit photo © Brigitte Maroillat