Dimanche 13 avril 2025, dans la grande Sala Simón Bolívar du Centro Nacional de Acción Social por la Música (Boulevard Amador Bendayán), siège principal du Sistema à Caracas, place aux effectifs maison, et en nombre : Coral Nacional Simón Bolívar, Orquesta barroca Simón Bolívar, sous la direction d’un chef invité, familier à présent du Sistema : Bruno Procopio… Le maestro franco brésilien dirige les effectifs venezueliens depuis 2012, c’était avec l’Orchestre Symphonique Simon Bolivar dans un programme demeuré aussi emblématique que convaincant : « Rameau in Caracas », édité par le label Paraty ; l’approche historiquement informée permettait alors aux instrumentistes venezueliens de découvrir et de jouer le répertoire baroque français à travers une sélection de pièces orchestrales issus des opéras de JEAN-PHILIPPE Rameau. Rien de moins.
Depuis cet enregistrement qui vaut acte fondateur, Bruno Procopio apporte cet éclairage spécifique dont il a le secret et la maîtrise s’agissant de l’ornementation, de la tenue d’archet, de l’articulation et de l’équilibre sonore propre au Baroque européen. Tout élément du langage instrumental permettant l’interprétation la plus intense et la plus subtile possible, au service de l’énergie et du sens profond des œuvres choisies.
Concert MOZART pour les 10 ans de
l’ORQUESTA BAROCCA SIMON BOLIVAR
Bruno Procopio dirige les musiciens de l’ORQUESTA BAROCCA SIMON BOLIVAR, à Caracas, le 13 avril 2025 dans la Symphonie n°41 de Mozart © classiquenews
Ce concert Mozart est particulièrement attendu et emblématique, quand l’Orquesta Barocca Simon Bolivar, – créé depuis 2015, remarquablement fédéré par son directeur musical le violoniste (et supersoliste Boris Paredes) fête cette année ses déjà 10 ans ; en tant que chef invité, Bruno Procopio retrouve les instrumentistes vénézuéliens dans un programme emblématique à plus d’un titre. Ambitieux du fait des effectifs concernés ; mais aussi exigeant : Mozart représente plusieurs défis, dont l’articulation, l’élégance du son, la clarté et la précision, surtout la profondeur et la sincérité ; aucune musique autant que celle de Wolfgang, ne supporte l’artifice. Outre la finesse requise et la haute tenue technique, l’écriture de Wolfgang exige une justesse de ton particulièrement subtile.
Une Jupiter, ciselée, irradiante…
Pour preuve l’ultime symphonie n°41, dite « Jupiter » (titre posthume), achevée à l’été 1788. L’architecture de la partition suscite le vertige: Bruno Procopio l’a bien compris et en a mesuré tous les enjeux : le premier Allegro (vivace) a l’entrain irrépressible d’une arche lumineuse dont l’énergie première prolonge en vérité le finale de la 39ème ; sur le tapis acéré et souple des cordes, d’une formidable agilité, le chef sait trouver le juste tempo, ciselant cette inflexion subtile, menant l’esprit de conquête et de victoire collective vers ce jaillissement scintillant qui devient pure jubilation (fanfare finale).
Belle audace pour le mouvement suivant, indiqué « Andante cantabile » (à 3/4) et que tous les chefs pensent réussir en l’abordant lentement, quitte à (trop) ralentir (et se diluer)… Rien de tel pour Bruno Procopio dont la vision cultive plutôt un allant au flux léger, ininterrompu grâce entre autres à cette dextérité continue des violons dont les courbes et les contre courbes dessinent une base souterraine telle les eaux vives et sereines d’un ruisseau à la grâce primitive, intacte, d’une fluidité hyperactive réellement superlative. Cette élégance à la fois claire et transparente n’empêche pas l’angoisse ni l’inéluctable colorer l’émergence et le développement furtif du 2ème sujet ; sa profondeur et sa gravité d’une ineffable sincérité : la direction est à la fois claire et d’une justesse impériale ; saisissante dans ce jeu d’équilibre aux registres habilement mêlés.
Même réussite dans le « Menuetto » qui suit dont le chef cultive une même élégance, à la fois vive, trépidante, d’une articulation fluide et noble ; à nouveau c’est cette équation réussie entre expressivité ciselée et flexibilité constante, équilibre et complexité formelle, qui rayonne d’un bout à l’autre.
La cohésion de la vision globale s’impose dans un geste qui dès le départ, a semblé couler de source, son point d’arrivée et d’accomplissement se réalisant pleinement dans l’ultime mouvement : le plus vertigineux, le dernier Allegro (noté « molto allegro ») ; soit le triomphe des forces de l’esprit sur la matière à maîtriser, et sur l’énergie, à canaliser. En réalité, dans la succession des 3 mouvements précédents, tout prépare à cette apothéose finale ; la forme magistralement maîtrisée du fugato élabore une architecture puissante et spectaculaire dont le chef, orfèvre en matière d’articulation, clarifie l’apparente complexité ; la direction reste continûment claire, très aérée ; d’une impérieuse et inéluctable clarification ; en portant et stimulant l‘étonnante volubilité des instrumentistes, en particulier des cordes, précisément des violons, menés, pilotés par leur leader Boris Paredes, le maestro conduit l’orchestre dans une trépidation déjà beethovénienne, une énergie qui se fait exaltation dansante et qui traversant la grille harmonique mozartienne, ses vertigineuses autant que très justes modulations en sol et la mineurs, puis si majeur, culmine en un flux ascendant, lumineux, d’une aspiration irrépressible vers l’ut majeur.
A la fois course victorieuse et affirmation éloquente de son propre génie musical, l’Allegro final exprime au plus près, la pensée d’un Mozart maître absolu de son art, son écriture préparant directement à l’ambition et la volonté du Beethoven à venir.
En seconde partie, rien de moins que l’un des messes brèves de Mozart, parmi les plus inspirées de son catalogue, la fameuse Messe du couronnement propre à la fin des années 1770, et tout comme la Jupiter, en ut majeur… En chef sachant diriger et canaliser les masses – le chœur ici rassemble plus de 80 chanteurs et occupe l’ensemble du fond de la scène de la vaste salle, Bruno Procopio veille au relief de chaque élément de cette grande fresque chorale où se joint aussi l’orgue de la salle : l’équilibre sonore ainsi calibré permet d’écouter chaque séquence, rétablie dans ses justes proportions, celles de la partition créée pour la Pâques 1779 à Salzbourg. Kyrie, Gloria, Credo sont réalisés avec précision et intensité ; le Benedictus met en avant le quatuor vocal, composé de chanteurs tous formés comme les choristes et les instrumentistes, au sein du Sistema. Avant qu’au début de l’Agnus Dei, la soprano requise soignant son legato entonne son air fameux dont la tendresse habitée par la grâce préfigure le « Dove sono » de la Comtesse dans les Noces de Figaro ; séquence suspendue qui est immédiatement enchaînée avec le final où choeur, orgue, solistes et orchestre réalisent cet esprit de majesté fervente que Mozart sait tempérer à l’aulne de la douceur et de la tendresse humaine. Pour ses 10 ans, l’Orquesta Barocca Simon Bolivar ne pouvait réaliser meilleur programme, célébrant avec autant de généreuse énergie l’alliance typiquement mozartienne du faste et de la ferveur, de la majesté et du sentiment.
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CRITIQUE CONCERT. CARACAS, Centro pour la musica, le 13 avril 2025. MOZART : Symphonie n°40, Messe du Couronnement. Coro nacional Simon Bolivar, Orquesta Barocca Simon Bolivar, Bruno Procopio (direction)
LIRE aussi notre présentation du concert MOZART à CARACAS par BRUNO PROCOPIO, ORQUESTA SIMON BOLIVAR, dim 13 avril 2025. MOZART : Messe du couronnement, Symphonie n°41 JUPITER : https://www.classiquenews.com/caracas-bruno-procopio-orquesta-simon-bolivar-dim-13-avril-2025-mozart-messe-du-couronnement-symphonie-n41-jupiter/
LIRE aussi notre critique du CD RAMEAU IN CARACAS par Bruno Procopio et le Simon Bolivar symphony Orchestra of Venezuela (enregistré en 2012) : https://www.classiquenews.com/cd-bruno-procopio-rameau-in-caracas/
Ce disque est étonnant, tant Rameau n’avait pas été ressuscité avec autant de vérité ni de saine justesse. Sans le fruité des instruments d’époque (parfois à défaut d’une baguette convaincante, rien que séducteurs), l’oreille se concentre sur le geste, la conception de l’architecture, la carrure et l’allant des rythmes, la richesse des dynamiques, c’est à dire l’émergence et l’essor d’une vision musicale. Tout cela, Bruno Procopio le maîtrise absolument…
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