Hector Berlioz
Symphonie Fantastique
Arte,
Dimanche 15 janvier 2012
à 15h30, Gustavo Dudamel, direction
(octobre 2009)
à 00h15, Jos Van Immerseel, direction
(la Folle Journée 2010)
2 chefs pour la Fantastique
Prouesse philharmonique pour le jeune Gustavo Dudamel, prodige vénézuélien de la baguette, enfant du Sistema (comme son confrère cadet Diego Matheuz), qui choisit de diriger près de 160 instrumentistes soit deux orchestres: le Philharmonique de Radio France et « son » orchestre vénézuélien, le Simon Bolivar Youth Orchestra of Venezuela. Puis c’est le même jour, la version plus allégée sur orchestre d’instruments d’époque, le geste de Jos Van Immerseel à la tête d’Anima Eterna Brugge. 2 lectures, 2 tempéraments, 2 esthétiques pour une partition au magnétisme inusable…
rétablit sur le genre orchestral, la prééminence de la France dans
l’écriture musicale, majoritairement dominée par les compositeurs
germaniques, dans le sillon des Viennois, Mozart, Haydn, Beethoven,
Schubert. Et si la Fantastique était outre cet ovni symphonique
inclassable dans l’histoire de la musique européenne, la preuve qu’il
existe bien une tradition symphonique en France jamais éteinte depuis…
Rameau?
Symphonie visionnaire
A 27 ans, Berlioz (né en 1803) s’impose par sa ténacité
créative (son père le voyait plutôt médecin comme lui), un sens nouveau
du rythme, des mélodies puissantes où tout est chant (comme chez
Chopin). Surtout, le compositeur porte très loin le relief caractérisé
des instruments, la place du timbre, et les ressources des alliances
entre pupitres. C’est un orchestrateur qui après Rameau, incarne cette
exigence française de l’écriture et des combinaisons d’instruments,
variant jusqu’à l’infini le chromatisme du paysage sonore. Créateur de
l’orchestre moderne, Berlioz s’intéresse aussi, en expérimentateur
audacieux, à la forme: il nous laisse 4 cycles symphoniques d’envergure,
aussi libres et inventifs que les meilleurs symphonistes ultra-rhénans:
la Fantastique, Harold en Italie, Roméo et Juliette, la Symphonie funèbre et triomphale, sans omettre Lelio ou le retour à la vie…
Il faudra d’ailleurs restituer le contexte de l’écriture française pour
orchestre dont Berlioz porte très haut la tradition qui ne s’est jamais
éteinte en réalité. Prenez par exemple l’oeuvre de George Onslow récemment réhabilité par le Centre de musique romantique française (Quatuors édité par Naïve par les Diotima), Symphonies redécouvertes lors du premier festival du Palazzetto Bru Zane à Venise, « aux origines du romantisme français »... en octobre 2009, restituant l’écriture de Jadin, Onslow, Hérold).
Episode symphonique
Berlioz en 1830 bouscule les habitudes. Le moins intégré des
compositeurs parisiens interroge, surprend, dérange. Fortement
autobiographique, la Fantastique devait à l’origine s’inscrire dans un ensemble en diptyque plus vaste, constituant avec Lelio ou le retour à la vie… , Episode de la vie d’un artiste (créé en 1832).
La Fantastique ne peut se comprendre sans la violente action
dramatique que sous-tend son développement. Le fantastique dont il
s’agit est le fruit des visions, délires, vertiges d’un homme amoureux
malheureux, éconduit, suicidaire, sous l’action des drogues
hallucinogènes. Si la Fantastique stigmatise l’asservissement
de toute force psychique aux pulsions souterraines et noires, le second
épisode s’élève vers la lumière, un retour à la vie où l’âme épuisée
mais quasi intacte du jeune homme peut à nouveau espérer …
Le 5 décembre 1830, la même année que la révolution théâtrale d’Hernani, le public parisien découvre la Fantastique, saisi par la violence, la sauvagerie voire l’impudeur du propos.
1. Rêveries et passions. Enivré par l’opium, le poète-musicien
rêve de la femme idéale. A chaque évocation de l’élue, le héros
s’abandonne à une vision extatique: c’est l’idée fixe, aussi
irrésistible qu’obsessionnelle.
2. Au bal, la figure aimée, présente mais inaccessible prend davantage d’importance.
3. Scène aux champs: probablement inspiré par la
découverte récente de la Symphonie n°6 « Pastorale » de Beethoven, Berlioz
développe pour son mouvement lent, une évocation pastorale (chant et
duo du cor anglais et du hautbois), pause bucolique dont le plein air
coloré et palpitant voire menaçant (grondements de l’orage sur les pas
de la 6è de Beethoven) coupe avec l’introspection des scènes préalables;
4. Marche au supplice: le lugubre surgit dans une
vision sanguinaire et fantastique où le poète pense avoir tué sa
bien-aimée, comme proie angoissée et trop soumise aux drogues dont il
est la victime. L’évocation devient aigre et hideuse, objet d’un
traitement orchestral d’une exceptionnelle orchestration. Dès sa
création, ce morceau fut bissé par l’auditoire, effrayé par tant de
justes secousses.
5. Songe d’une nuit de Sabbat: le poète assiste à ses
propres funérailles. L’idée fixe refait surface mais dénaturée sous le
prisme d’une sensibilité grimaçante, tel un air trivial désormais
dissout dans une orgie satirique.
Atypique, porteuse d’avenir, la Symphonie Fantastique ouvre la
musique vers son futur, dans l’audace et l’expérimentation: ce qu’a
immédiatement reconnu Robert Schumann. Tous les grands romantiques, de
Wagner à Liszt et jusqu’à Ricahrd Strauss ont une dette envers la
modernité sans égale de Berlioz.