Par notre envoyé spécial Hubert Stoeklin
Les Grands interprètes qui invite de grands noms n’ont pas failli à leur projet en invitant la très aimée Marie Nicole Lemieux et le si médiatique Philippe Jaroussky. Accompagnés par quelques instrumentistes le concept était celui d’un concert de l’intime afin de mettre en valeur les voix et le texte avec quelques intermèdes purement instrumentaux. Le parti pris n’était ni musicologique, ni philologique, encore moins éducatif mais centré sur la séduction afin de conquérir un public connaissant peu ce répertoire délicat.
Un long fleuve bien trop tranquille
Comment comprendre autrement ce choix de faire suivre sans rupture de la solution de continuité des œuvres aussi diverses, en deux grands blocs ? Quand on sait que l’époque baroque vit de contrastes et d’oppositions celui qui connaît la délicate différence stylistique entre Monteverdi, Cavalli, Caccini, Carissimi, Sances, etc. a pu être lassé par cette absolue homogénéité de ton. C’est comme si le projet artistique manquait de colonne vertébrale reposant sur chaque chanteur qui du coup a plus cherché à convaincre de ses choix que de créer un moment de partage.
C’est dans ses deux longues lamentations que la tragique Marie-Nicole Lemieux a touché son public. Si Ecuba est parfaite d’évanouissement dans la douleur (quelle fin miraculeuse faisant du silence la plus subtile musique) la longue scène de Pénélope a peut-être été un peu extérieure dans son ampleur vocale inhabituelle. Mais quelle admirable musicienne sachant tirer de grandes émotions de sa vaste voix !
Philippe Jaroussky a fait… du Jaroussky! Une ligne de chant admirable, des nuances subtiles, des notes filées et évanescentes du plus bel effet. Ces qualités sont appréciables et le jeune homme bénéficie d’un véritable capital de sympathie, mais comme le timbre émacié s’effiloche à présent ; comme le texte est flou surtout dans les moments intenses ; comme tout est chanté subtilement mais sans incarnation… Seule l’élégie planante lui convient vraiment. Et le Rhône, de Barbara Strozzi est en tout cas son vrai naufrage !
On l’aura deviné les qualités de nos deux chanteurs sont opposées et donc les duos ne fonctionnent pas vraiment. La chair de l’une n’enveloppe pas la fibre de l’autre. Les mimiques sympathiques entre eux se voient, mais il n y a pas de véritable rencontre vocale.
L’orchestre est riche en couleurs et à la viole de Gambe Christine Plubeau est admirable d’engagement. Dans les récitatifs, elle active les propos et souligne l’action. Au clavecin Yoko Nakamura est de la même eau. Angelique Mauillon à la harpe est sensible et stimulante. Les violons sont gracieux sans véritable personnalité et les cornets bouquin paraissent bien modestes en pays des splendides Sacqueboutiers de Toulouse.
Un concert agréable qui n’atteint le haut niveau de l’émotion musicale qu’avec les deux grands airs de Marie-Nicole Lemieux, même si sa vocalité est un peu trop projetée pour être véritablement baroque.
De grands musiciens certes, mais pas à leur zénith ce soir dans ce répertoire.
Toulouse. La Halle-aux-Grains, le 11 juin 2012. Francesco Cavalli : Sinfonia dalla opera L’Orione, instrumental ; Scena Linfea-Sattirino dalla opera La Calisto ; Lamento d’Ecuba dalla opera La Didone ; Lamento d’Idraspe Uscitemi dal cor lagrime amare dalla opera Erismena ; Antonio Sartorio : Duetto Cara e amabile beltà dalla opera Orfeo ; Pandolfi : Sonata per violino La monella romanesca instrumental ; Francesca Caccini : Canzonetta Che desia di saper che cosa è amore ; Claudio Monteverdi : Scena Valetto-Damigella dalla opera L’Incoronazione di Poppea, Lamento di Penelope dalla opera Il Ritorno d’Ulisse in patria ; Giacomo Carissimi : Duetto da camera Vaghi Rai, Duetto da camera rimanti in pace ; Barbara Strozzi : Lamento Sul rodano severo ; Marco Uccellini : Battaglia, instrumental ; Giovanni Legrenzi : sonata a tre la spilimberga, instrumental ; Benedetto Ferrari : Amanti, io vi so dire sopra la ciaccona ; Giovanni Felice Sances : Cantata à due sopra la ciaccona Lagrimosa beltà . Philippe Jaroussky : contre-ténor ; Marie-Nicole Lemieux, contralto ; Ensemble Artaserse.