Patrie ! Duos d’opéras de Halévy, Saint-Saëns, Massenet, Paladilhe, Gounod, Thomas (Thébault,Pruvot,Talpin, 2010)
Voici un aperçu de la vitalité des sensibilités lyriques à Paris au XIXè, diversemment accueillies à l’Opéra, Opéra-Comique, Théâtre Lyrique, Théâtre Italien. Tous les auteurs réunis dans ce florilège sont passés par le Conservatoire, comme élèves et comme professeurs. Il y a bien une manière parisienne romantique dont témoigne ainsi la filiation qui relit chaque compositeur aux autres: Halévy est le maître de Saint-Saëns et Gounod (qui seront les mentors de Paladilhe); Thomas, celui de Massenet… voilà qui rétablit un certain esprit de finesse et de grandeur dont le duo de chanteurs expriment avec engagement chaque exigence artistique.
Dans le premier extrait, on ne sait guère se défaire du style ampoulé et solennel du choeur martial à deux voix (Charles VI de Halévy, 1843); si l’orchestre sonne pâteux et bien peu affiné, les solistes se distinguent très nettement par leur à propos, leur engagement expressif et … linguistique; en un jeu de cartes qui permet aux deux amants de refaire la bataille d’Azincourt, Odette (Hjördis Thébault) mène les troupes vers la victoire contre les anglais; dans un abattage très articulé, qualité d’intelligibilité partagée avec son époux à la ville, le baryton Pierre-Yves Pruvot: le sens du texte, la caractérisation des personnages restituent dans une écriture assez convenue, le profil des deux personnages, leurs pensées militaires. L’orchestre n’est guère aussi subtile en revanche: battue sans finesse dans un volume trop souvent épais et vindicatif; Théophile Gautier témoin de la création avait relever le déballage des cuirasses et des décors de guerre… on en déduit tout ce que des orchestres sur instruments d’époque auraient pu différemment en exprimer.
Prélude instrumentalement plus ciselé (harmonie des vents et des bois), pour la scène entre Catherine et Le Roi du Henry VIII de Saint-Saëns (1883): finesse des couleurs, orchestration plus affûtée (flûte, hautbois… puis cor accompagnant les récits)… le timbre cinglant et tranchant de Hjördis Thébault colore l’ardeur ivre de la très chrétienne Catherine d’un relief prenant, saisie par le doute et l’inquiétude.
Très construite et dramatiquement unitaire, la scène d’Eve de Massenet (1875) évoque la création d’Eve auprès de l’Adam primordial; la séduction mélodique de la partition trahit immédiatement la sensualité presque tapageuse du compositeur français, le plus joué à son époque; dommage là encore que l’orchestre manque de finesse comme de suggestion…
La scène et son rythme enivré et tendre de Polyeucte (1878) de Gounod (Pauline et Sévère: « fallait-il bannir jusqu’au souvenir de notre tendresse… ») dévoile servi par deux chanteurs articulés, le naturel et la précision prosodique d’un Gounod proche du texte, grave et allusif, toujours très élégant. Belle révélation s’il n’était là encore le manque de nuances de l’orchestre… (le cor pas toujours très juste). L’orchestration de Polyeucte est superbe: il est incompréhensible que l’on ne joue pas l’opéra plus souvent même en version de concert tant la partition retient l’attention par son intelligence dramaturgique.
Autre choix heureux et inspiré quant à son interprétation, – et qui donne le titre du présent album-, Patrie ! (1885) d’Emile Paladilhe (1844-1926): dans le duo Dolorès et Rysoor, l’éclat d’un style sans fioriture, volontiers carré, aux formes rythmiques très construites, assurant ainsi une gradation efficace du drame, affirme un tempérament indiscutable pour le théâtre (rappelant par bien des traits, l’urgence et les formules du Bizet de Carmen). Voici donc une scène spectaculaire d’un opéra dans le style grande forme (5 actes dans le style aussi de Halévy et Meyerbeer): Patrie! reste l’opéra le plus applaudi en son heure: grandeur héroïque, ardeur tragique: le flamand Rysoor exige de la femme qui les a dénoncés, lui et ses camarades, le nom de son amant… Pierre-Yves Pruvot se distingue particulièrement par sa diction et son engagement… sans dilution, ni écart outré: un modèle vocal.
Toutes les facéties légères et fantaisistes pastichant non sans élégance les meilleures comédies buffa italienne du Caïd de Thomas (1849) portent les deux acteurs chanteurs, traversés par la finesse de l’écriture: un pur chef d’oeuvre dramatique et oriental (l’action se passe en Algérie) que Reynlado Hahn saura reconnaître à sa très juste valeur et dont Offenbach se souviendra à l’extrémité du siècle. Subtilité, sens du texte, ambivalence des intonations (sincérité, comédie), le duo vocal se montre d’une délectable fantaisie.
L’interprétation gagne davantage de dramatisme et de profondeur sincère dans l’extrait du Mage de Massenet (1891) dont la très belle première scène de Varedha, scène d’impuissance amoureuse, permet à Hjördis Thébault de faire valoir son timbre cuivré qui tient la tessiture large d’un air puissant et fin à la fois (superbes couleurs des cuivres entre autres): quand la jeune femme aspire à la mort par dépit, son père Amrou, grand prêtre, la réveille à la vie et suscitant son esprit de vengeance…
L’interprétation gagne davantage de dramatisme et de profondeur sincère dans l’extrait du Mage de Massenet (1891) dont la très belle première scène de Varedha, scène d’impuissance amoureuse, permet à Hjördis Thébault de faire valoir son timbre cuivré qui tient la tessiture large d’un air puissant et fin à la fois (superbes couleurs des cuivres entre autres): quand la jeune femme aspire à la mort par dépit, son père Amrou, grand prêtre, la réveille à la vie et suscitant son esprit de vengeance…
Mettons de côté, le pathos sirupeux de l’orchestre (quoique plus mesuré dans ce dernier Massenet en particulier dans la première scène de Varedha seule): les chanteurs rendent ici le plus bel hommage au style lyrique romantique français: la justesse des intonations, le souci constant de l’articulation et de la projection naturelle sont d’évidents arguments auxquels il est difficile de demeurer indifférent.
Patrie ! Duos d’opéras de Halévy, Saint-Saëns, Massenet, Paladilhe, Gounod, Thomas. Hjördis Thébault, soprano. Pierre-Yves Pruvot, baryton. Kosice Phil. Orchestra. Didier Talpin, direction. Enregistré en 2010. 1h06mn. 1 cd Brilliant classics réf.: 94321.