jeudi 24 avril 2025

Salzbourg. Manège aux rochers, le 30 juillet 2012. Mozart: La Flûte enchantée. Nikolaus Harnoncourt, direction. Jens-Daniel Herzog, mise en scène

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Opéra vu à la télé
Chaque été, Arte diffuse un temps fort de la programmation lyrique du festival de Salzbourg: ainsi, cette Flûte Enchantée de Mozart depuis le Manège aux rochers…

Dès l’ouverture, l’urgence et l’incisivité du Concentus Musicus dirigé par Nikolaus Harnoncourt font mouche à chaque mesure. Aspérités et expressivité des instruments anciens, vivante et ardente déclaration humaine, pleine d’ivre juvénilité et d’espérance, la direction du chef, auquel nous devons tant de réussites musicales portées par la finesse nouvelle des instruments d’époque, confirme évidemment ses affinités avec Mozart. On se souvient de sa Clémence de Titus, ici même (et disponible en dvd), d’un cynisme parfois rageur et toujours tendu et dense, jamais décoratif ni dilué.

Heureusement il y a la musique et l’engagement acéré et vif du chef, car sur la scène… cette Flûte qu’on nous avait tant « vendue » pour ses options scéniques rafraîchissantes, voire oniriques, n’a ni l’enchantement du film de Bergman ni ce réalisme théâtral d’une vraie regietheater… dans le Manège aux rochers (Felsenreitschule), anecdotique, pleine de mouvements et de changements de décors (des boîtes qui s’écartent et se rejoignent selon les épisodes), au final confuse et sans souffle, la réalisation n’a rien d’exceptionnel.. constat assez indigne pour le festival mozartien par excellence.
Le temple de la sagesse qu’investissent Tamino et Papageno pour en délivrer l’aimable Pamina est un collège où l’armée des professeurs, docteurs en blouses blanches, semblent les gardiens d’une fausse tyrannie qui conduisent les 3 candidats (Tamino, Papageno, Pamina) dans le cycle des épreuves.


Orchestre jaillissant, scintillant

Les voix sont honnêtes sans plus. Et quand paraît à coups de tonnerre dans la coulisse, la Reine de la nuit (Mandy Fredrich), on bascule dans la tragédie lyrique ample et épique: la soprano s’impose vis à vis de ses partenaires déjà exposés, entendus (Tamino, Papageno, les trois dames…) ; faisant valoir sa peine maternelle après la perte de sa fille… puissance plutôt que finesse (vocalises empâtées): la prestance au diapason de l’orchestre taillé au scalpel, se détache cependant. Son second air, déluge de haine barbare et criminelle ressuscite les héroïnes possédées par le diable vengeur, une Médée avant l’heure (celle de Vogel ou de Cherubini) dont on comprend qu’elle traumatise totalement sa fille en lui demandant d’assassiner de sa main l’infâme Sarastro… Ce second air de la soprano suscite de beaux applaudissements, légitimes. Si là encore les aigus déraillent et la ligne s’effiloche, l’expressivité et l’intonation sont prenantes: du vrai théâtre et une belle incarnation. Quel génie que celui de Mozart: cet air à lui seul par un sublime effet de contraste convoque en pleine féerie symbolique, un monstre féminin comme il en existe peu sur les planches: divinité et furie, égarée dans l’opéra de Mozart, surgissant directement d’une tragédie antique la plus terrifiante.

Autre réussite, le tableau des esclaves de Monostatos: des élèves chahuteurs dans une classe d’école dont le jeu souligne la place du délire bouffon: La Flûte est aussi, surtout, un drame populaire qui séduit immédiatement par sa franchise, ses effets purement dramatiques: trouvailles et pulsions d’acteurs plutot que poses de chanteurs; le duo faisant l’apologie du mariage entre mari et femme, par Papageno venu délivrer Pamina est particulièrement juste: il dévoile le chant suave de la soprano Julia Kleiter dans le rôle de la fille de la Reine de la nuit. Avouons qu’en cours de soirée, le timbre au début âpre et sans legato du Tamino de Bernard Richter se bonifie réellement: insigne de sa transformation/initiation, le parcours moral du jeune homme, son éducation de l’état d’innocent à celui d’homme, maître de son destin, y gagnent en relief, en vérité: pari réussi pour le chanteur.

La vrai réussite demeure ici la direction et un orchestre constellé de milles nuances, comme d’accents hyperactifs: le flot musical s’écoule tel une source jaillissante. Harnoncourt n’est pas l’auteur du Discours musical ni le dernier fondateur vivant de la révolution baroqueuse… pour rien. Avec ses instrumentistes du Musicus, le chef s’alanguit, s’attarde parfois, mais la tension qu’il sait calibrer du début à la fin, assure le lien dramatique du spectacle. Peu à peu, le sens se révèle; l’illusoire et le trompeur se délitent pour que surgisse par le prisme du rituel maçonnique, le chant de la vérité. Tout est juste et parfaitement agencé: quand chaque personnage sombre dans le doute, submergé par un mystère qui le dépasse (air à la mort de Pamina qui se croit abandonnée donc perdue): la musique trouve les couleurs idoines. Et c’est toute la sagesse et la grâce d’un Mozart si tendrement fraternel, si essentiellement humain, qui surgissent de la fosse. Pour le plus grand bonheur des auditeurs. Merci maestro Harnoncourt. L’Octogénaire sait toujours nous convaincre par sa sincérité, sa modestie, sa faculté à s’émerveiller: il y a dans ses yeux écarquillés et sa direction toujours si inventive, jamais systématique, la simplicité captivante d’un musicien qui a su préserver son coeur et son âme d ‘enfant. Quelle leçon !

La Flûte Enchantée au festival de Salzbourg 2012:

Georg Zeppenfeld, Sarastro

Bernard Richter, Tamino

Mandy Fredrich, The Queen of Night

Julia Kleiter, Pamina, her daughter

Sandra Trattnigg, First Lady

Anja Schlosser, Second Lady

Wiebke Lehmkuhl, Third Lady

Tölzer Knaben, Three Boys

Markus Werba, Papageno

Elisabeth Schwarz, Papagena

Rudolf Schasching, Monostatos, a Moor

Martin Gantner, Speaker

Lucian Krasznec, First Man in Armour/First Priest

Andreas Hörl, Second Man in Armour

Concentus Musicus Wien
Nikolaus Harnoncourt
, direction
Jens-Daniel Herzog, mise en scène

Illustrations: © M.Riitershaus 2012

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