mercredi 23 avril 2025

Leonardo Vinci: Artaserse, 1730. Fasolis, Fagioli3 cd Virgin classics (2011)

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A l’affiche de l’Opéra de Nancy (2-10 novembre) puis du TCE à Paris (les 11 et 13 décembre 2012), le plus célèbre des opéras italiens, Artaserse ressuscite grâce à l’engouement que lui réserve aujourd’hui le contre ténor Philippe Jaroussky.
Ce n’est pourtant pas le chanteur français qui embrase la scène mais bien deux contre ténors de la nouvelle génération dont surtout Franco Fagioli.
Mordant et parfois âpre, c’est bien le chant des castrats, divinos divos qui semble renaître ici, porté par la baguette superlative de Diego Fasolis.


L’opéra des contre-ténors

Chant naturel, beau, expressif: Vinci est, selon Charles de Brosses, témoin d’époque particulièrement favorable à l’art italien lyrique, le  » lulli italien « , voire  » le vrai dieu de la musique « . Rien de moins.
Créé à Rome en février 1730, Artaserse, contemporain des premiers grands succès de Rameau et de Haendel, s’impose évidemment par l’urgence électrique de sa vocalità.
C’est un sommet lyrique d’après un livret de Métastase (qui fut son ami) et le dernier opus du compositeur, rival de Porpora, séducteur assez scandaleux qui s’éteint prématurément 3 mois après la création d’Artaserse (à seulement 34 ans).


L’Arbace de Franco Fagioli

Leonardo Vinci comme son homonyme en peinture, incarne un âge d’or: la vocalità napolitaine spécifique qui allait s’imposer, portée par une mécanique musicale virtuosissime de la même eau, dans toutes les cours d’Europe, faisant péricliter les écoles romaines et vénitiennes, se concentre ici non sans génie: que des voix masculines (1 ténor, 5 contre ténors pour l’essentiel); avec avant l’apparition du héros perse Artaserse, un Arbace ardent (chanté par le légendaire Carestini), d’une coupe syncopée, haletante, superbement ciselée par la tenue superlative du contre ténor Franco Fagioli (plage 7 cd 1:

Dévoré de mille tourments…): sens du verbe, ligne polie, intensité claire, absence totale d’affectation comme de tics expressifs: les modulations et les nuances du chanteur, en voix de tête comme de poitrine sont dignes d’une révélation ! Impression confirmée avec son air de triomphe indirect, air traditionnel d’assurance opiniâtre qui clôt le I (Vo solcando… de presque 7 mn!): électrisé par le continuo lui aussi palpitant et d’un souffle raffiné, le contre ténor latin saisit par l’éventail des nuances, le phrasé, la ligne vertigineuse, sa science expressive, une très rare intelligence du texte. Quel aplomb ! Même pris dans un naufrage (selon le texte de cet air mémorable), l’artiste éblouit par sa finesse souveraine, un style d’une impeccable musicalité (d’autant que la séquence fut admirée pour sa perfection prosodique par Grétry). Extase dramatique plus encore relevée au début du III, où l’engagement du chanteur souligne admirablement la fièvre de la situation en enchaînant un arioso déjà préromantique puis un nouvel air étonnant de plus de 5 mn. Quelle classe : voici un chanteur suractif à mille lieues des vocalistes ailleurs, si doucereux ou tièdes. Le vrai héros de l’opéra, c’est lui. Né argentin en 1981, Franco Fagioli a été élu meilleur chanteur en Italie, lauréat du Prix Abbiati 2011. De toute évidence, un immense talent à suivre.

A ses côtés, l’Artaserse de Philippe Jaroussky paraît bien … terne; car il ne dispose pas d’une telle palette d’accents et d’intonations: toujours langoureux et d’un abattage vocalisant moins assuré, le français reste sur la même ligne expressive: on aime ou pas, l’acteur et l’interprète ne varient pas d’un pouce… chantant invariablement comme depuis ses débuts.

Dans ce contexte lisse et parfois fade, les autres jeunes chanteurs également contre ténors, tel Valer Barna-Sabadus tirent leur épingle du jeu ; voici un autre tempérament admirablement varié, sûr, osant la prise de risque: chant âpre, caractérisé, fortement individualisé qui affirme en une clarté trouble, idéalement claire, le profil de la soeur d’Arbace et amante d’Artaserse, Semira (plage 15, cd 1: Bramar di perdere…). Avec son confrère Franco Fagioli, Valer Barna Sabadus représente la nouvelle génération des contre ténors, aussi chanteurs qu’acteurs, au chant constamment expressif.

A Max Emanuel Cencic, revient l’honneur d’ouvrir ce florilège pour voix de contre ténors (il chante le premier air de l’opéra): sa Mandane (soeur d’Artaserse et donc en miroir, amante d’Arbace) bénéficie elle aussi de l’engagement audacieux de l’artiste, très habile dans l’individualisation ardente de son personnage: fougue altière de son air  » Dimmi che un empio sei  » (plage 25, cd1: abattage assuré et aigus claironnants dont aujourd’hui Jaroussky est incapable). Son duo amoureux avec l’Arbace décidément superlatif de Franco Fagioli (cd3, plage 15) est un autre sommet de la partition (presque 7 mn d’extase à deux voix), rehaussé par la couleur associée de leur deux timbres. Un duo que n’aurait certainement pas renié Steffani, récemment ressuscité par Cecilia Bartoli, lui aussi expert dans l’art du duo extatique.

A ce brillant aréopage, soulignons l’implication vocale de Yuriy Mynenkov qui dans le dernier air de Megabise, ose toutes les audaces, autre belle personnalité vocale qui embrase un air d’une rare intensité expressive dont la performance entre voix et instruments est réjouissante (cd3, plage 7:  » Ardito ti renda « ).

Sous la direction fruitée, aérée, inventive de Diego Fasolis, Concerto Köln fait feu de tout bois: crépitant, traversé par l’urgence lui aussi, alliant muscle et chair, tension et flexibilité, le collectif instrumental est un modèle de variété, caractérisation naturelle et fine. Quelle énergie à la fois mordante et tendre, souvent juste, toujours sincère. Le chef nous fait découvrir non sans tendresse voire enchantement, les mille failles émotionnelles qui nourrissent chacun des profils dramatiques. La réussite est donc totale pour cette enregistrement pionnier car si l’on connaissait les oeuvres comiques et sacrées de Vinci, ce dramma per musica de la fin est une éblouissante découverte: sa maîtrise préfigure celle de Piccinni dans la seconde moitié du siècle.

Tout en soulignant l’excellence de trois nouveaux contre-ténors (Yuriy Mynenko, Valer Barna-Sabadus, Franco Fagioli) à suivre absolument, l’enregistrement dévoile l’admirable écriture d’une sensualité épanouie et exaltante de Leonardo Vinci. Né vers 1696 en Calabre (Strongoli), le musicien baroque ne pouvait espérer meilleur hommage. Après avoir acheté ce coffret superlatif, courrez écoutez le spectacle sur scène à Nancy puis Paris. La fine fleur du chant baroque, côté contre ténors s’y trouve miraculeusement réunie.

vidéo de Franco Fagioli: l’art du chanteur acteur, interprète montéverdien et haendélien déjà reconnu.

Illustration: le contre ténor argentin, Franco Fagioli, vrai héros vocal de cet Artaserse de Vinci et révélation du plateau vocal réuni pour cet enregistrement de 2011.
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