de Donizetti et vingt ans que le public de la Capitale n’avait pu
applaudir cet opéra. C’est donc au Théâtre des Champs-Elysées qu’incombe
la lourde mission de servir cet ouvrage , sorte de Grand Opéra à la
française teinté de couleurs italiennes.
Le livret narre une intrigue typique de cette esthétique : Fernand
renonce à entrer dans les ordres par amour pour une belle inconnue, dont
il ignore qu’elle est la favorite d’Alphonse XI, roi de Castille.
Devenu officier dans l’armée du roi et vainqueur des Maures, il est uni
par le souverain à Leonor, avant d’apprendre son passé de maîtresse à la
cour et de renier sa passion. Alors qu’il prononce ses vœux au
monastère, Leonor le rejoint et obtient son pardon avant de rendre
l’âme.
Le traitement orchestral est d’une grande richesse, aux atmosphères
sombres et aux mélodies d’une grande noblesse, ainsi que savait les
écrire le cygne de Bergame.
Le TCE a joué de malchance dans cette production, perdant successivement
sa metteuse en scène, sa basse, finalement son ténor. C’est donc
presque un miracle que cette production ait pu finalement se monter à
temps.
Retour de La Favorite à Paris
Passons rapidement sur la mise en scène de Valérie Nègre, tant elle
n’exprime rien sinon vide et laideur involontaires, laissant les
chanteurs livrés à eux-mêmes. Les décors et les costumes se révèlent
sans beauté, des murs en tôle préfabriquée aux lumignons pendant des
cintres ; ils font regretter une simple mise en espace. En outre, les
chorégraphies des chœurs dès que la musique prend des airs de fête
laissent pantois par leur ridicule, indignes même d’une opérette.
La partie musicale offre heureusement d’autres satisfactions.
Loïc Félix incarne un Don Gaspar bien chantant, aux interventions
courtes mais toujours efficaces dans leur persiflage percutant. Inès
trop effacée, Judith Gauthier inquiète, notamment après sa Cendrillon à
l’Opéra Comique, la voix semblant ce soir privée de soutien comme
d’impact, et affligée d’un grelot incontrôlé sur l’ensemble de la
tessiture. On espère un moment de méforme.
Balthazar imposant par ses graves sonores et profonds, Carlo Colombara
semble toutefois étranger au style français et à la prononciation de
notre langue, exposant en outre une fâcheuse tendance à assombrir
l’émission, et des aigus souvent difficiles.
Prise de rôle attendue que celle de Ludovic Tézier en Alphonse XI.
Déployant son timbre toujours superbe et une grande élégance en scène,
le baryton français étonne dès son entrée au deuxième acte par l’ampleur
nouvelle de sa voix, qu’on ne lui connaissait pas. Néanmoins, ses
premières phrases perdent toute simplicité, trop emphatiques, trop
chantées, là où on aimerait seulement des mots posés sur des notes ;
comme s’il cherchait à élargir son émission, notamment dans le médium.
Si cette recherche de volume et de dramatisme sonore peut, dans une
certaine limite, se comprendre dans une volonté d’aborder des rôles plus
larges – mais peut se révéler dangereuse à long terme –, elle se
traduit également instantanément par un aigu manquant de clarté et de
rayonnement – sinon au vibrato un rien déjà trop prononcé –, comme
bouché à force de couverture brutale dès le passage, par une difficulté à
nuancer et à alléger la voix ainsi qu’une perte de précision dans la
diction par manque de netteté des voyelles. Dans la seconde partie,
heureusement, avec « Pour tant d’amour », le chanteur retrouve une
émission plus naturelle, plus haute et plus claire, plus concentrée
aussi, semblant simplement dérouler sa ligne de chant et ciseler son
texte – malgré, avouons-le, une absence de fa dièse aigu un peu
frustrante–.
Appelé à la rescousse quelques semaines avant la première, Marc Laho
sert le chant français avec les honneurs. Il ravit l’oreille grâce à un
placement remarquable de la voix et une diction parfaite, cette dernière
qualité devenue rare. Dès « Un ange, une femme » et durant toute la
soirée, on comprend chacune de ses syllabes, et il fait admirer en outre
un excellent sens du phrasé. Seul l’aigu déconcerte, comme un
« falsetto accomodato », malgré tout bien timbré et qui passe
l’orchestre, mais qui sonne comme manquant d’appui. Parfait dans les
passages élégiaques, il tinte étrangement dans les moments de vaillance,
là où on attendrait davantage une pleine voix. Mais l’efficacité du
ténor belge et son endurance tout au long de la représentation, où il se
donne sans compter, sont à saluer bien bas.
Reste la Favorite, la belle Leonor qui donne son titre à l’ouvrage. Le
théâtre a eu la main heureuse en confiant le rôle à la mezzo anglaise
Alice Coote.
Alors que nous imaginions une voix de gabarit plus modeste et craignions
sa prise de rôle, force est de constater que l’instrument de la
chanteuse embrasse sans faillir toute la longue tessiture et l’ampleur
vocale qu’elle réclame. Elle se révèle notamment en deuxième partie,
avec un « Ô mon Fernand » de belle facture, même si le langage
belcantiste lui échappe encore par certains aspects et qu’elle teinte
son incarnation d’inflexions presque véristes à force de réalisme. Le
grave, généreusement poitriné mais sans vulgarité, sonne avec puissance –
quoiqu’un peu abrupt parfois, comme sans transition réelle avec le
reste de la voix –, et l’aigu apparaît facile et riche, presque celui
d’un soprano lirico-spinto, notamment dans sa cabalette. Sa scène
finale, d’une belle émotion, la voit également capable de superbes
piani, et son implication scénique est sans faille. Une belle
découverte.
Malgré des pas de danse ne leur facilitant pas la tâche, les chœurs offrent une excellente prestation, homogène et musicale.
A la tête d’un très bon Orchestre National de France, Paolo Arrivabeni
sait diriger ce répertoire sans sombrer dans l’effet facile. Après une
première partie aux tempi parfois trop précipités et aux couleurs trop
clinquantes, le maestro trouve dans la seconde les teintes adéquates et
les rythmes justes, laissant enfin la tension dramatique prendre sa
place et les chanteurs s’exprimer librement.
Un beau succès pour ce retour de La Favorite à Paris, malgré une mise en
scène à oublier, les bonheurs s’avérant surtout d’ordres musicaux.
Paris. Théâtre des Champs-Elysées, 9 février 2013. Gaetano Donizetti :
La Favorite. Livret d’Alphonse Royer et Gustave Vaëz. Avec Leonor di
Gusmán : Alice Coote ; Fernand : Marc Laho ; Alphonse XI : Ludovic
Tézier ; Balthazar : Carlo Colombara ; Inès : Judith Gauthier ; Don
Gaspar : Loïc Félix. Chœur de Radio-France et Chœur du Théâtre des
Champs-Elysées. Chef de chœur : Lucie Deroïan. Orchestre National de
France. Paolo Arrivabeni, direction musicale ; Mise en scène : Valérie
Nègre. Scénographie : Andrea Blum ; Dramaturgie : Guillaume Poix ;
Costumes : Aurore Popineau ; Chorégraphie : Sophie Tellier ; Lumières :
Bertrand Couderc