Actualités cd
Violoncelle, Violon
Jamie Walton, violoncelle
Edward Elgar, Myaskowski: Concertos pour violoncelle et piano (1 cd Signum Classics)
En apparence distincts voire lointains, les deux Concertos pour violoncelle d’Elgar (1919) et Nikolai Myaskovsky (1945) trouvent d’évidentes affinités grâce au jeu intérieur et remarquablement habité du violoncelliste britannique Jamie Walton. Le caractère sombre, introverti des deux cycles se trouve renforcé grâce à l’engagement du soliste. L’approche est ténue, sur le souffle de l’instrument, jamais appuyé mais épuré, sans raideur. La plénitude de sa sonorité, qui recherche la vérité et la pureté de l’émission rappelle qu’il fut un élève de William Pleeth (comme Jacqueline Dupré): l’élégance post-romantique du Concerto d’Elgar semble vivre d’une très belle tenue intérieure (avec une énonciation des thèmes en particulier dès l’introduction, totalement assumée, de très belle carrure), quant au Concerto de Myaskowski (composé pour Knoutchevitski en 1944), ses folklorismes parfois explicites gagnent sous les doigts murmurés du musicien, en grandeur émotionnelle. La fusion du soliste et de l’orchestre, dirigé par Alexander Briger est un autre argument pour cette excellente lecture, en particulier pour le Concerto de Niolai Myaskowski dans lequel Jamie Walton se montre digne du sillon précédemment tracé dans cette oeuvre par Truls Mørk (Virgin) et Mstislav Rostropovich (Brilliant).
Elgar, Myaskowsky: Concerto pour violoncelle et orchestre. Jamie Walton, violoncelle. Philharmonia Orchestra. Alexander Briger, direction
Hilary Hahn, violon
Concertos pour violon de Schoenberg et Sibelius (1 cd Deutsche Grammophon)
Nouvellement installé aux Etats-Unis, en 1936, Schoenberg, préservé des attaques hitlériennes, compose son Concerto pour violon au dodécaphoisme lumineux. Jugé injouable par Jascha Heifetz, l’oeuvre ne fut créée qu’en 1940 à Philadelphie par Louis Krasner, créateur en 1936, du Concerto « à la mémoire d’un ange ». Sous une partition lunaire et solitaire, se cache la dédicace à un compagnon « de lutte », Anton von Webern. Hilary Hahn étonne par son discours limpide, articulé, jouant chaque note avec une énergie convaincue mais jamais narcissique. La légèreté digitale brosse cette brume onirique et fantastique qui en résonance, et en fusion avec l’orchestre de Salonen, d’une précision vaporeuse, esquisse avec une étonnante sensibilité, les paysages dévastés, sans paix, d’un Schoenberg resté en lien avec le pays qu’il a dû quitter et qui demeure présent à sa mémoire. Même tenue arachnéenne et ciselée, comme suggestive dans le Concerto pour violon de Sibelius dont chef et soliste s’entendent à exprimer le souffle intérieur, avec pudeur et recueillement. La lecture tend vers un classicisme ténu, filigrané (mouvement central: adagio di molto), parfois très distancié, en particulier dans le finale d’une fluidité à peine appuyée. Là encore, l’orchestre sait insuffler des cabrures aigres et amères avec un panache très mesuré (et quel poli!) qui fait ressortir davantage la ciselure cristaline et les blessures de l’instrument soliste. Remarquable.
Arnold Schoenberg (1874-1951), Jean Sibelius (1865-1957): Concertos pour violon et orchestre. Swedish Radio Symphony Orchestra. Hilary Hahn, violon. Esa-Pekka Salonen, direction
Sergey Khachatryan, violon
Sonates de Franck et Chostakovitch (1 cd Naïve)
Nerveux, parfois emportés mais de bien juvénile façon, c’est à dire avec une éloquence curieuse et sensible, les deux interprètes Serguey et Lusine Khachatryan, frère et soeur dont chacun n’a pas la trentaine, relèvent le défi du programme marqué par des oeuvres uniques dédicacées en leur temps à deux interprètes eux aussi singuliers. César Franck offre à Eugène Ysaÿe, jeune marié, sa seule Sonate pour violon et piano de 1886. Fidèle à son Concerto pour violon de Sibelius (également sous étiquette Naïve), comme en cohérence avec les postures des deux musiciens en couverture du disque, Serguey Khachatryan (23 ans, né en 1985) aime sculpter les arêtes vives de la mélancolie quitte parfois à rompre les vertiges contrastés du deuxième mouvement, comme l’allant du Finale. Les Khachatryan, frère et soeur, préfèrent aux lectures plus lumineuses et « romantiques », une vision expressionniste, âpre qui surtout dans le mouvement central résonne comme une énigme irrésolue, un trouble frappant par son alliance entre élégance et exacerbation. La Sonate de Chostakovitch quant à elle fut dédiée par l’auteur au grand prodige russe de l’époque David Oïstrakh et créé en 1969: journal intime de ses propres terreurs, Chostakovitch livre en trois épisodes, une leçon d’une blanche torpeur, hantée par le sarcasme, l’ironie, la mort. Khachatryan se montre clair et limpide dans une partition qui ne s’autorise aucune complaisance, aucun plan apriori, sinon un jeu formel tendu entre dodécaphonisme et variations des tonalités. Jamais au dessus du mezzo forte, le chant se fait moqueur contre lui-même, en perte définitive d’une insouciance souhaitée ardemment, mais à jamais perdue. Les interprètes soulignent le climat d’étrangeté, de flottement émotionnel, mêlé d’inquiétude et d’élan. La succession du mouvement central (Allegretto), ivresse hallucinée, martelée, aigre, en panique et désarticulée, avec ce finale qui voisine avec la folie et le rêve ensorcelant, est une réussite. Récital très convaincant.
César Franck (1822-1890), Dmitri Chostakovitch (1906-1975): Sonates pour violon et piano. Serguey Khachatryan, violon. Lusine Khachatryan, piano.