mercredi 23 avril 2025

Alessandro Stradella: San Giovanni Battista (Rome, 1675) Alessandro de Marchi ( 1 cd Hyperion)

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Alessandro Stradella (1639-1682)
San Giovanni Battista
(Rome, 1675)

De Bologne à Gênes: parcours d’un génie mobile

Mort assassiné à Gênes en férvier 1682 (à l’âge de 43 ans), Stradella laisse une oeuvre comme sa vie: fougueuse, fulgurante, traçant sa course brêve et sans équivalent, passant par Bologne (où il se forme), Rome (où il est l’hôte de la famille mécène Lante, et organise pour une vieille rentière, un mariage forcé avec un cardinal!), Venise où il s’éprend de sa jeune élève noble, Agnese van Ufffele qu’il enlève à Turin… enfin Gênes (en décembre 1677 où notre compositeur est le musicien favori des Doria Pamphilij)… Il y a du Caravage chez ce compositeur passionné et mobile, frénétique et délirant, visionnaire et exalté. Le geste est d’une rare maîtrise, sans râtures ni reprises (les partitions autographes font état d’un génie direct sans grifures de la plume), franc, immédiat, atteignant ses effets (dont des harmonies subtiles autant qu’audacieuses)… on lui doit d’avoir « créer » le premier opéra comique (1679), le premier concerto grosso (1674), de nouveaux effets au théâtre, comme les scène de folies, après lui emblématique du délire baroque… en plus d’oser, d’expérimenter, d’inventer, Stradella écrit lui-même ses textes et ses livrets de cantates et d’opéras. Fugace, sa carrière interrompue trop tôt (mais n’en est-il pas ainsi pour les plus grands génies, de Mozart à Schubert?), laisse cependant une trace indélibile, avec pas moins de 300 oeuvres au catalogue, dont bon nombre attend toujours d’être réhabilitées.

Italianità palpitante
On ne saurait trop saluer l’intuition d’Alessandro de Marchi de déterrer la partition du San Giovanni Battista, composée à Rome en 1675, tenue par son auteur pour sa meilleure oeuvre et estimée ensuite par Haendel. C’est dire assez la qualité de l’oeuvre du compositeur de 36 ans, alors en pleine possession de ses moyens. L’oeuvre est une commande des Florentins de Rome, créée en grande pompe, et certainement estimée comme l’un des points forts des célébrations saintes et musicales de l’année, le 31 mars 1675, dans l’église San Giovanni dei Fiorentini. Saint-Jean Baptiste étant le saint patron de Florence, Stradella se voyait honoré d’une commande particulièrement prestigieuse. Marchi sait exalter ses troupes tout en restituant l’énergique dialogue instrumental: concertino/concerto grosso. La richesse foisonnante des couleurs de l’instrumentarium, pour lequel le chef ajoute au temps fort de l’action une sinfonia de Lelio Colista, accrédite le niveau de l’interprétation. La vision en gagne une vivacité particulièrement convaincante, d’autant que le plateau vocal est lui aussi des plus engagés.

Chaque interprète paraît comme traversé par la palpitation et même la pulsation frénétique de son personnage: en cela les deux sopranos, Herodiade (à laquelle Marchi octroie un air spécifique, le n°9: « Volin pure lontano dal sen« ), et Salomé, sa fille, expriment la passion dévastatrice des séductrices soumettant la basse Hérode (parfait Antonio Abete). D’ailleurs, comme il le précise dans sa note d’interprétation, Marchi accentue chaque intervention de Salomé, par une caractérisation palpitante de l’instrumentarium. De ce point de vue, sa lecture qui traite le San Giovanni de Stradella comme un « opéra de Salomé », s’avère aboutie. La palme revient au belcanto, fluide et rond, parfois en manque d’articulation, du contre-ténor Martin Oro: son incarnation de Saint-Jean est continûment hallucinée, ardente, elle aussi habitée. La fusion idéalement réussie entre texte (du poète juriste florentin Ansaldi) et musique, démontre à l’envi, le génie d’un Stradella, orfèvre des émotions mais aussi peintre du mouvement et de l’exaltation vibrante. Action convulsive voire extrêmiste, le San Giovanni ressuscite grâce à des ambassadeurs stradelliens pleins de ferveur conquérante: l’attention de l’équipe aux moments forts de l’action, en particulier les duos (pas moins de trois) sont à ce titre les plus exaltants. Personnelle, voire arbitraire, la lecture défend avec élégance et conviction l’une des lectures les plus cohérentes de la discographie stradellienne. Son italianità palpitante égale voire surclasse aisément l’ancienne version Minkowski qui paraît en comparaison plus sêche et posée que sa rivale italienne. Marchi déjà remarqué pour de superbes lectures du Jommelli sacré, exprime les fastes de la Rome baroque sans perdre l’expression juste du mot. Il fait de San Giovanni, une exaltation contrastée et vive entre l’appel à lascivité des femmes et l’exhortation aux vertus du renoncement pronocé par le Saint: vertiges caravagesques, entre l’ombre et la lumière! Incontournable.


Alessandro Stradella: San Giovanni Battista
. Anke Herrmann (Salome), Martin Oro (Giovanni), Antonio Abete (Hérode), Frederik Akselberg (Consigliere), Elena Cecchi Fedi (Herodiade). Academia montis regalis. Alessandro de Marchi, direction. (1 cd Hyperion, enregistré à Mondovi, en mars 2007). Oratorio en deux parties. Livret de Ansaldo Ansaldi d’après le Nouveau testament (Marc, 6:17-21). Créé le dimanche des Rameaux, le 31 mars 1675 en l’église San Giovanni dei Fiorentini de Rome.

Illustrations
(1) Caravage: San Giovanni Battista (DR)

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