L’Attaque du Moulin
Créé en 1893 (à l’Opéra-Comique), l’ouvrage prend acte (politique) contre les guerres fratricides et barbares: l’action se déroule pendant la guerre de 1870. Alfred Bruneau né en 1857, violoncelliste (aux Concerts Pasdeloup) et 2è Prix de Rome (1881) a la révélation du théâtre réaliste et poétique en lisant Zola (La Faute de l’abbé Mouret, édité en 1875). Peu à peu, Bruneau développe un style théâtral qui profitant des visions justes et précises de Zola, favorise un nouveau théâtre lyrique français, éloigné du lyrisme purement musical de Massenet, vers cette âpreté plus engagée et écorchée, politique et sociale d’un Charpentier, vers la fantaisie singulière d’un Lalo…
Le jeune compositeur aurait souhaité mettre en musique La Faute de l’abbé Mouret mais Massenet était déjà bien placé auprès de Zola. Finalement celui-ci, convaincu par la passion pour le drame musical de Bruneau, lui propose Le Rêve, nouveau roman paru en feuilleton (dès avril 1888) qui en plus de la poésie réaliste recherchée, offre une autre dimension, celle du mysticisme. L’oeuvre créée à l’Opéra-Comique en 1891 suscite l’enthousiasme à l’échelle européenne: Mahler le dirige à Hambourg dès 1892. Le Rêve paraît ainsi face au vérisme italien, comme une alternative concrète respectant l’exigence de « finesse » et de bon goût, typiquement française.
Léon Carvalho, directeur de l’Opéra Comique, commande un nouveau drame : ce sera la nouvelle des soirées de Médan, organisées en rapport avec les atrocités de 1870, L’Attaque du Moulin. Le nouvel ouvrage en opposant intrigue amoureuse et contexte militaire se souvient dans les climats musicaux et la prosodie conçue d’après le roman originel, des drames « classiques » de l’Opéra Comique à la Grétry ou Dalayrac. Continuité symphonique, rappel des motifs agissant comme des leit-motifs wagnériens (pas moins de 15 airs sont ainsi parfaitement identifiables et attachés à une situation, un sentiment, un personnage), L’Attaque du Moulin se détache cependant du wagnérisme, comme Le Rêve lui était en quelque sorte encore lié.
Mais le souci du texte, le soin ciselé des récitatifs rappellent et affirment la domination de l’opéra de Berlioz plutôt que celui de Wagner. Duo intense entre Françoise et Dominique, prière lacrymale de Marcelline en hommage à ses deux fils tués à la guerre (le personnage est une invention ajoutée par Zola pour souligner l’absurdité tragique des guerres), hymne lyrique de Dominique à la forêt… alors qu’il croit être fusillé… : tout indique un approfondissement sensible des psychologies selon une esthétique que l’on connaissait chez l’auteur de La Damnation de Faust ou des Troyens.
Bruneau ne fait en outre que répondre à l’exigence poétique et dramatique de Zola: dans une lettre manifeste rédigée à la veille de la création de 1893, Zola réclame un bon drame, un texte solide et cohérent qui rendent les personnages vivants et crédibles, en un tout organique fusionnant drame et musique. L’Attaque du Moulin serait-il en définitive, porté par le duo Zola-Bruneau, une réponse pleine de vie, au théâtre total défendu dix années plus tôt par Wagner?
Libre, sur tous les registres (énigmatique, poétique, tendre, fantasque), l’écriture émotionnelle et symphonique de l’opéra français ainsi désiré, ose grâce aux deux hommes, renouveler sans l’écarter, l’exemple et ses avancées, du théâtre wagnérien. Ne pas aller en arrière, mais assimiler voire dépasser Wagner. L’enjeu et l’ambition sont immenses et justifient que l’on se penche aujourd’hui sur l’oeuvre à deux cerveaux de Zola et Bruneau, au début des années 1890. Après L’Attaque du Moulin, Messidor, L’Ouragan, L’Enfant roi, Lazare, disent cette nouvelle épopée de l’opéra français.
Zola, fidèle à son style romanesque préfère le ton franc, les images fortes et directes à l’esprit douceâtre de la romance. Une sécheresse versifiée parfois courte mais toujours expressive (surtout dans le III). A Bruneau, de nourrir et d’amplifier le noeud du texte grâce à une musique foisonnante et lyrique … mais avec mesure. « De la musique, beaucoup de musique! », s’exclame même Zola. Ce souci de la forme et de l’amplification musicale expliquent évidemment la réussite de l’ouvrage qui en découle.
Dans le drame, aux scènes de guerre évoquées, Zola préfère développer de façon souterraine l’esprit de la fraternité des peuple qui se reconnaissent et dissout la stratégie des antagonismes haineux. Cruciale à ce titre la scène où Marcelline et la sentinelle du clan rival se parlent au-delà du conflit… En 1893, L’Attaque semble recueillir les leçons de 1870 et prévenir contre 1914-1918. Prémonition hélas vaine et demeurée sans réelle ni profonde compréhension.
Après la création, Gustave Charpentier dont Louise n’est pas encore créée (en 1900, soit 7 ans plus tard), note non sans pertinence, une « captivante mélancolie » proche du Rêve. Mais aussi, la grandeur touchante du rôle de Marcelline, qui incarne toutes les mères, dont la voix déchirante clame l’humanité contre la barbarie guerrière.
L’Attaque du Moulin
Synopsis
Lorraine, juillet 1870. Le meunier Merlier prépare le mariage de sa fille Françoise avec le belge Dominique. Marcelline, leur servante, participe aux préparatifs de la noce mais frémit quand elle entend l’annonce de la guerre: n’a-t-elle pas perdu ses deux fils sur le front?
Le Moulin est pris d’assaut par les ennemis. L’armée française se réfugie dans les bois mais Dominique refuse de conduire les rivaux jusqu’à leur cachette dans la forêt: il sera fusillé. Chantant l’adieu à la nature (ses chers bois), le prisonnier s’enfuit grâce à la complicité de Françoise.
Dans les champs, les moissonneurs préparent la terre pour des lendemains plus prospères… Zola se souvient ici de Germinal. C’est le dialogue entre la Sentinelle ennemie qui a du vague à l’âme et Marcelline, mère inconsolable et endeuillée qui compatit à sa souffrance.
La Capitaine ennemi découvre l’évasion de Dominique qui a tué la jeune garde qui le tenait captif. S’il ne revient pas, le meunier sera fusillé.
Dominique paraît alors pour sauver Merlier mais celui-ci feint d’avoir été gracié. Dominique repart dans la forêt pour chercher les militaires français. Quand ils reviennent reconquérir le moulin, ils découvrent le cadavre du meunier sacrifié et les ravages de la guerre encore fumante…
Reportage vidéo
Fin janvier 2010, Eric Chevalier, directeur de l’Opéra Théâtre de Metz
Métropole souligne l’unité dramatique et la violence d’un ouvrage
oublié, L’Attaque du Moulin que le compositeur Alfred Bruneau
compose à partir des textes d’Emile Zola, lequel à l’époque de la
conception de l’opéra, achève son roman La Débâcle… Entretiens avec Eric Chevalier qui assure la mise en scène de la production et Jacques Mercier, chef d’orchestre.
Drame lyrique en quatre actes, d’après la nouvelle d’Émile Zola Françoise : Anne-Marguerite Werster
Alfred Bruneau (1857-1934)
L’Attaque du Moulin, 1893
Livret de Louis Gallet
Création à Paris le 23 novembre 1893
Nouvelle production de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole
Direction musicale : Jacques Mercier
Mise en scène et décors : Éric Chevalier
Costumes : Rossana Caringi
Lumières : Patrice Willaume
Chef de chant : Nathalie Marmeuse
Marcelline : Julie Robard-Gendre
Geneviève : Julie Cherrier
Merlier : Jean-Philippe Lafont
Dominique : Gilles Ragon
Le capitaine allemand : Philippe Kahn
La sentinelle allemande : Julien Dran
Le capitaine français : Marc Larcher
Le tambour : Christophe Fel
Chœurs de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole
Orchestre national de Lorraine
Dominique paraît alors pour sauver Merlier mais celui ci feint d’avoir été gracié. Domnique repart dans la forêt pour chercher les militaires français. Quand ils reviennent reconquérir le moulin, ils découvrent le cadavre du meunier sacrifié et les ravages de la guerre encore fumante.
Metz Métropole, Opéra Théâtre
Les 27, 29 et 31 janvier 2010