jeudi 24 avril 2025

Ambronay (01). Abbatiale, samedi 12 septembre 2009. 30ème festival d’Ambronay. Haendel: Susanna. Les Arts Florissants. William Christie, direction

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Opéra sacré

Haendel connaît bien son affaire: en dramaturge génial qui a triomphé
sur la scène lyrique à Londres, il sait ménager ses coups expressifs
dans l’oratorio. D’autant que nous voici avec Susanna,
(HWV 66, oratorio créé à Covent Garden, le 10 février 1749) face à l’un
de ses drames sacrés les plus opératiques. Il est vrai que la partition
a été l’objet de maintes reprises, coupures, renforcement de son unité
dramatique… jusqu’en 1759.
Si dans Theodora (1750), le compositeur invente la lenteur et le silence en musique (voir notre reportage vidéo de Theodora
par Christoph Spering
également à Ambronay, édition 2008
), insistant
sur l’intensité et la signification du sacrifice de l’héroïne, Susanna
rayonne par son action incessante, ses confrontations de caractères,
ses situations qui appellent une mise en scène, en particulier quand
paraissent les deux vieillards lubriques, prêts à tout pour se rincer
l’oeil, puis accabler par une indigne accusation, la vertueuse épouse
de Joachim.
L’arche de la partition édifie une fresque sublime par ses effusions
tendres et amoureuses (duos des époux Joachim et Susanna), ses accents
pervers et barbares dans le portrait très finement ciselé par Haendel
des deux vieillards, ténor et baryton: associant à leur silhouette
vénéneuse, le hautbois retors et le basson lugubre et grimaçant.

Haendel
prend soin pour aiguiser l’écoute du spectateur, de faire souffrir les
vertueux, trop tendres victimes sur l’autel de la bassesse, incarnée
par les vieillards concupiscents, libidineux. La succession des
tableaux est claire, fondée sur l’opposition des personnages: lumineux
et suaves, ténébreux et jaloux. Au choeur, de splendides interventions:
choeur des israéliens compatissants, appelant à la vérité et à la
justice; choeur des babyloniens haineux, déjà impatients à tuer par
lapidation la chaste mais trop belle Susanna…
La lecture musicale que nous offre Haendel du sujet biblique égale les
meilleures toiles des peintres antérieurs, de Véronèse et Tintoret à
Artemisia Gentileschi: foisonnement de couleurs et d’effets
dramatiques, architecturés cependant dans le respect de
l’intelligibilité du propos et de son écoulement dramatique.

Elégance et nuances de Christie

William Christie
suit l’efficacité et la sensualité expressive d’une écriture
continûment remarquable: à tous les moments de la partition, le triomphateur à
l’opéra se démasque. Cette Susanna déborde de son cadre
oratorio et glisse constamment vers le théâtre, mais avec quel style et
quelle élégance! Deux valeurs que portent à leur plus haute expression,
le chef d’origine américaine, celui des grands soirs dont les affinités
haendéliennes, s’imposent à mesure que s’écoule l’action musicale.
Geste aristocratique, retenue, mesure, nuances et contrastes, avec une
palette dynamique exemplaire font miracle dans un Haendel caractérisé
et dramatiquement fort. A la tête de ses Arts Florissants, – les bien
nommés-, qui fêtent comme Ambronay, leur 30 ans en 2009, William Christie,
fidèle parmi les fidèles à Ambronay, touche au coeur de l’ouvrage:
choeur impétueux ou admiratifs, orchestre éclatant et intérieur,
offrant aux solistes, un somptueux tapis instrumental, de couleurs,
d’ivresse, de noblesse et d’élégance… qualités de rigueur chez
Haendel.

Le chef est porté par les nombreux épisodes dramatiques de la partition
dont les points forts demeurent le trio composé des deux vieillards et
de Suzanne, l’apparition de Daniel (défenseur de Suzanne), l’air de
triomphe de la jeune femme, enfin son duo amoureux avec Joachim en
conclusion…

A
ce titre, l’air où Suzanne réhabilitée -après que Daniel ait mis en
défaut ses deux accusateurs abusifs-, est un véritable feu d’artifice
vocal pour lequel la cantatrice doit faire valoir une agilité
colorature, éclatante autant que dramatique: tout l’oratorio tend et
prépare à cet air vertigineux. Suzanne n’y chante pas seulement sa
victoire, elle jette le masque de la fadeur et de la dignité blessée et
passive. Haendel nous dévoile alors la force des justes, une énergie
léonine que nous ne soupçonnions pas de la part du personnage: Sophie Karthäuser
déploie tout au long du drame, une justesse de ton admirable (souplesse
vocale, nuances et vrai tempérament dramatique), dommage cependant que
son air si capital n’atteigne pas à cet embrasement victorieux dont
nous parlons (la voix reste serrée et la projection vocale bien sage).
Le Daniel du contre ténor David Dq Lee, après un effet marquant
lié à son apparition soudaine, finit par agacer par ses manières
outrées, surexpressives. Heureusement, le niveau se relève grâce au
tempérament de Max Emanuel Cencic (Joachim) jamais mis à mal
dans une tessiture qui lui va comme un gant (élégance et humanité,
justesse et intériorité: le personnage tendre correspond au miel de sa
voix); même enthousiasme pour le ténor William Burden qui
grimace et se convulse, artisan d’un jeu expressif parfait dans le rôle
du premier vieillard, rongé par le désir, assoiffé de caresses et de
possession charnelle…

Les habitués le savent désormais: les grandes soirées qui ont fait le festival se passe en l’abbatiale d’Ambronay. Après Theodora qui nous avait de la même façon marqué et convaincu, cette Susanna engagée, noble et tendre s’inscrit au nombre des plus belles réalisations écoutées à Ambronay.

Haendel: Susanna (HWV 66, 1749-1759). Sophie Karthäuser
(Susanna), Max Emanuel Cencic (Joachim), William Burden (1er
vieillard), (2è vieillard), David Dq Lee (Daniel), Emmanuelle de Negri
(suivante de Susanna)… Choeur et orchestre Les Arts Florissants. William Christie, direction.

agenda
Ne manquez pas les reprises de cette production superlative dans sa globalité, d’autant que la tenue des solistes devrait encore se bonifier au fur et à mesure des concerts: les 20 octobre 2009 à Paris (Salle Pleyel), puis 22 à Caen (Théâtre), à 20h pour les deux dates. Incontournable.

Illustrations: William Christie dirige Susanna à Ambronay © B.Pichère. Susanne et les vieillards par Artemisia Gentilieschi, Guido Reni, Véronèse (DR). Sophie Karthäuser
(Susanna) et William Christie à Ambronay © B.Pichère

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