L’écriture de Preljocaj qui signe à partir de 1991, ce nouveau ballet pour l’Opéra de Lyon, alors dirigé par Louis Erlo, s’affirme poétique et imaginative. Il assimile les corps à des pantins, soumis malgré eux à un ordre qui les dépasse ou muselle toute émancipation, de sorte que dès le départ, il s’agit bien d’une humanité soumise.
Les propos du chorégraphe d’origine albanaise, Angelin Preljocaj sur son ballet Roméo et Juliette soulignent la tragédie d’une histoire qui met en relief la volonté de soumettre et d’inféoder ce qui ne peut l’être par essence : la liberté d’aimer.
«Dans une improbable Vérone, non pas futuriste mais fictive, passablement délabrée, abritant une classe favorisée et dirigeante (la famille de Juliette) et une population misérable et exploitée (celle de Roméo), la rencontre des amants est proscrite et hors la loi ; la milice omniprésente et musclée chargée par la famille de Juliette de contrôler l’ordre social n’est pas seulement l’image shakespearienne de la fatalité, c’est aussi l’emprise effective du pouvoir sur une des libertés essentielles de l’individu : celle d’aimer. » écrit-il au moment de la conception du ballet.
Doit-on y voir une critique indirecte aux totalitarismes? Quoiqu’il en soit, voici une vision quasi politique et noire puisque les deux amants meurent en s’opposant à la loi du système.
L’écriture de Preljocaj qui signe en 1991 ce nouveau ballet pour l’Opéra de Lyon, alors dirigé par Louis Erlo, s’affirme poétique et imaginative. Il assimile les corps à des pantins, soumis malgré eux à un ordre qui les dépasse ou muselle toute émancipation, de sorte que dès le départ, il s’agit bien d’une humanité soumise et contrainte.
La participation du dessinateur de bandes-dessinées, Enki Bilal, ajoute à la « fantaisie » futuriste et pessimiste du drame. D’autant que Bilal a confirmé s’être librement inspiré de « 1984 » de Georges Orwel pour concevoir décors et costumes.Décors oppressants, dévastés, dont l’architecture massive indique un système militaire et industriel, lumière de pénombre, et d’étuve : tout indique la lente mise à mort des amants. Chacune de leurs étreintes, scènes dans lesquelles le lyrisme animal du chorégraphe se dévoile véritablement, ne sont que des pauses qui préparent la tempête finale, celle des deux corps suicidés, l’un après l’autre.
Le romantisme shakespearien cède la place au sentiment d’une mise à mort préparée, concertée.
La caméra d’Alexandre Tarta qui évite souvent les plans rapprochés insiste davantage sur cette vision effrayante où c’est le mouvement collectif qui prime sur l’hédonisme individuel ou l’effusion de deux êtres.
L’étreinte amoureuse où les deux adolescents s’épuisent pieds nus sur une dalle de pierre, à la fois lit nuptial et marbre froid de la tombe, à laquelle répond en miroir, l’image démultipliée du couple en amour (quatre couples de danseurs nus autour d’eux, sous un faisceau de lumière), est l’un des plus beaux tableaux de ce ballet, conçu il y a déjà quatorze ans.
La réalisation du film est d’autant plus intéressante qu’il ne s’agit pas d’une représentation filmée, mais d’une conception chorégraphique écrite et réalisée pour la caméra. Les mouvements de celle-ci, d’un étage à l’autre de la scène, confèrent au spectacle sa fluidité et son onirisme.
Roméo et Juliette de Prokofiev (1938)
Chorégraphie : Angelin Preljocaj (1991)
Ballet de l’Opéra de Lyon Ballet
Juliette : Pascale Doye
Roméo : Nicolas Dufloux
Réalisation : Alexandre Tarta (1992, 2h26)
Diffusions
Première diffusion : le dimanche 11 juin à 20h50.
Puis, les 12 à 13h45, le 22 à 16h05 et le 24 à 2h55
Illustrations
Angelin Preljocaj (DR)
Dessin d’Enki Bilal pour le ballet Roméo et Juliette (DR)