jeudi 24 avril 2025

Angers. Le Quai, le 16 octobre 2009. Jules Massenet : Manon. Burcu Uyar, Marc Laho, Hugh Russel, Christophe Fel. Cyril Diederich, direction. Renée Auphan, Yves Coudray, mise en scène

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La fine fleur du chant français

L’histoire de la belle Manon Lescaut mise en musique par le génial Massenet, servie par une équipe toute entière rompue à l’élégance et au raffinement du beau chant français, voilà un véritable régal pour les papilles et les oreilles.
Comme une friandise rendue avec son goût et sa gourmandise originels. Car tout dans cette soirée respire l’esprit si particulier qui fait de cette œuvre l’une des pièces maîtresses de l’opéra français.
Saluons la mise en scène imaginée par Renée Auphan et Yves Coudray, au service total de l’œuvre, respectant à la lettre l’imaginaire des auteurs, mais avec une énergie et une finesse qui jamais ne fait tomber l’œuvre dans une imagerie dépassée et poussiéreuse, travers pourtant bien difficile à éviter dès lors qu’on refuse de s’éloigner d’une certaine tradition. Une mise en scène efficace, agréable à regarder (les arbres crayonnés dans la scène du Cours-la-Reine, fort bien imaginés) et qui, comme toute bonne scénographie, se fond dans l’œuvre à tel point qu’on ne la remarque plus.
A la tête d’un Orchestre National des Pays de la Loire pouvant déployer avec force, ses sonorités puissantes dans l’acoustique flatteuse de la grande salle du Quai, Cyril Diederich affirme ses affinités avec le style français, qu’il sert avec passion, déployant avec art les arches musicales qui soutiennent les chanteurs.
Avec une distribution, sinon totalement francophone, du moins résolument francophile, Angers-Nantes Opéra se met au service de la pièce sans jamais trahir l’esprit de Massenet.
Les seconds rôles sont croqués avec humour et jamais ne passent inaperçus, de l’entité tricéphale incarnée par Poussette, Javotte et Rosette, telles les trois Dames dans La Flûte Enchantée, aux voix parfaitement accordées les unes aux autres, à l’harmonie des timbres rare, aux deux comparses, De Brétigny, solidement campé par Marc Scoffoni, et son acolyte Guillot de Morfontaine, servi avec finesse et une vraie drôlerie, jamais vulgaire, par le délicieux Rodolphe Briand, à la présence scénique indéniable.
Le canadien Hugh Russel fait vivre son Lescaut avec crédibilité, mais la voix sonne bien engorgée et l’émission fruste, sans grande noblesse.
Tel Germont père, aimant son fils bien maladroitement mais d’un amour sincère et protecteur, le comte Des Grieux trouve en Christophe Fel un interprète de choix. Si l’aigu semble souvent tendu, la ligne de chant est bien tenue et le timbre fort beau, associé à une grande sincérité dans l’incarnation, achève de rendre très touchant son personnage.

Duo exemplaire

Reste le couple tant attendu : Manon et son Chevalier. Familier du rôle de Des Grieux, le connaissant intimement et s’y reconnaissant lui-même, Marc Laho déploie toute sa science du chant afin de raffiner autant que faire se peut son interprétation. Si dans les forte, il pourrait rechercher encore davantage une émission haute et claire, la voix mixte qu’il déploie dans les passages de grâce laisse… sans voix. D’une facilité absolue, cette émission « de tête » – qu’il avoue posséder de nature – lui permet de ciseler un « Rêve » d’anthologie, murmuré, à fleur de lèvres. Rappelant bien souvent par son timbre Nicolai Gedda – qui fut l’un de ses maîtres –, d’une grande prudence vocale – qui lui permet d’afficher une voix en pleine santé après plus de vingt ans déjà de carrière –, après avoir affronté Hoffmann à Genève, il se prépare à de nouveaux défis, toujours parfaitement adaptés à sa voix de demi-caractère – comme il se définit lui-même –, tels que Faust ou encore Don José. Ajoutons à ce portrait vocal élogieux une grande musicalité, une diction parfaitement claire et une intense sensibilité dans la théâtralité sobre et sans outrance qu’il affiche, pour conclure qu’il est rien moins qu’un des meilleurs ténors de notre époque.
Sa dulcinée, la soprano turque Burcu Uyar, fait de sa prise de rôle une révélation. Nous l’avons remarquée et applaudie au festival de Saint-Céré dans la Reine de la Nuit et Violetta (août 2009), cette Manon prouve une fois de plus l’évolution que suit sa voix, surtout depuis la naissance de son premier enfant il y a plusieurs mois. Soprano léger à ses débuts, son instrument se pare de plus en plus de couleurs sombres et moirées, la dirigeant peu à peu vers un répertoire bien plus lyrique que celui auquel elle semblait destinée. Par chance (ou par travail), le suraigu reste triomphant, plein et sonore, alors que le médium se corse et le grave s’élargit, ce qui lui offre une palette de rôles des plus larges. La fureur de Donna Anna se profile, et si elle prépare La Bohème, ce n’est pas le rôle de Musetta qui lui tend les bras, mais bien celui de Mimi. Bien des consœurs doivent lui envier pareille métamorphose vocale ! La candeur de Manon lui sied à ravir, et les notes de la jeune mondaine s’inscrivent à la perfection dans sa vocalité actuelle. Pas une note, pas une vocalise ne manque à l’appel. C’est plutôt qu’elle en rajoute, avec malice, quelques-unes durant son air du Cours-la-Reine, démontrant, comme un jeu, sa virtuosité sans faille. Sa compréhension de l’esthétique spécifique de l’opéra français est totale, tout comme sa diction, d’une précision et d’un naturel confondants, rendant parfaitement inutiles les surtitres. Elle met en lumière également avec beaucoup de finesse le caractère ambigu de Manon, à la fois sincèrement amoureuse, mais incapable de résister au luxe et aux richesses. Sa mort, d’une grande pudeur, émeut sincèrement.
Triomphe mérité pour cette Manon, vécue avec passion par tous les protagonistes, et révélant, aux côtés d’un ténor au talent confirmé et maintes fois salué, une jeune cantatrice qui s’affirme à chaque représentation un peu plus comme l’une des plus grandes d’un demain très proche.

Angers. Le Quai, 16 octobre 2009. Jules Massenet : Manon. Livret de Henri Meilhac et Philippe Gille d’après Les Aventures du Chevalier Des Grieux et Manon Lescaut d’Antoine François Prévost. Avec Manon : Burcu Uyar ; Le Chevalier Des Grieux : Marc Laho ; Lescaut : Hugh Russel ; Le Comte Des Grieux : Christophe Fel ; Guillot de Morfontaine : Rodolphe Briand ; De Brétigny : Marc Scoffoni ; Poussette : Julie Mossay ; Javotte : Cécile Galois ; Rosette : Sarah Jouffroy. Chœurs d’Angers-Nantes Opéra ; Chef de chœur : Xavier Ribes ; Orchestre National des Pays de la Loire. Direction musicale : Cyril Diederich. Mise en scène : Renée Auphan, Yves Coudray ; Décors : Jacques Gabel ; Costumes : Katia Duflot ; Lumières : Roberto Venturi. Article mis en ligne par Adrien De Vries. Rédigé par Nicolas Grienenberger

Illustration: Manon 2009 © Jef Rebillon

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