Perfection française
A la justesse de l’intonation et du style, la diseuse hors pair ne lâche jamais l’exquise précision du mot; quel abattage, quel maîtrise de notre langue: justesse, clarté, finesse et qualité du timbre serrée, intense aux aigus littéralement illuminés, étincelants (un pur diamant), le programme retenu montre combien il s’agit de passer, pour la soprano, à de nouvelles perspectives : il faut tourner la page des éternels « seconds » rôles (Despina dans Cosi de Mozart, Clémence dans Mireille de Gounod)… Certes, il y a eu la récente Micaela (Carmen de Bizet sous la direction de Gardiner) mais la diva dépasse ici nos attentes; elle réalise au moment juste de sa carrière, une libération passionnée du texte, se dépassant donc chez Britten et dévoilant une nature souvent foudroyante qui trouve ses prodigieuses marques dans le symbolisme expressionniste des poèmes rimbaldiens; le travail prosodique est remarquable: et même si les aigus perdent la perception des voyelles (VI et VII: interlude, puis Un être de beauté), on reste d’un bout à l’autre stupéfaits par l’intensité et l’incandescence vocale atteintes.
Demain Gilda peut-être, et plus grande encore Mélisande, Juliette chez Gounod, ou Aricie pour Rameau, et puisque les Bellini et autres belcantistes italiens ne sont plus guère éligibles, ennui avoué oblige-, la soprano francophone pourrait bientôt nous surprendre et nous convaincre encore dans des rôles (romantiques français?) qui exigent de la pureté mais aussi un tempérament volcanique. Quant à ses Nuits d’été berlioziennes, elles atteignent la vérité ciselée d’une Crespin, cette couleur angélique et cristalline en plus; c’est dire si sa lecture bouleverse la discographie actuelle : réussite superlative qui est surtout un joyau d’élocution en français.
Le Barber n’est pas une moindre réussite, bien au contraire; à la pureté incandescente du verbe, la diva ajoute en anglais une autre couleur: celle de la tragédie amère voire désespérée (qui transfigure aussi Au Cimetière de Berlioz); mais, réécouter et Berlioz et Britten en français avec une tel éclat intelligible, sobre et si intelligemment musical, offre la rare impression d’écouter les partitions comme s’il s’agissait de premières. Quelle autre cantatrice peut aujourd’hui dispenser un tel plaisir?
Rien à dire de l’orchestre liégeois: son souci des couleurs et sa finesse dans l’expression des climats émotionnels de chaque cycle musical est au diapason du raffinement intimiste et fulgurant de la diva magnifique. Album événement du mois de novembre 2011.
Anne Catherine Gillet, soprano. Récital Barber, Berlioz, Britten. Orchestre Philharmonique royal de Liège. Paul Daniel, direction. 3 760058 360132 1 cd æon. Enregistrement réalisé en septembre 2011 à la Philharmonie de Liège.