Un musicien dans son temps
Élève de Vincent d’ Indy, Charles Bordes et Isaac Albéniz, secrétaire de la Schola Cantorum, René de Castéra fut aussi fondateur de l’Édition Mutuelle et critique musical: il a connu et été proche de la plupart des compositeurs, des artistes et des intellectuels de son temps. Excellent pianiste, il a composé des oeuvres élégantes (Serenata, mélodies, harmonisation de chansons populaires, Sonate pour violon et piano, Trio avec piano, Concert, Jour de fête au Pays basque, poème symphonique, et son chef-d’oeuvre, Nausicaa, ballet avec choeurs, entre autres), interprétées en première audition à la Société nationale de musique (à Paris) et à la Libre Esthétique (à Bruxelles), autant de partitions estimées de son vivant qui méritent d’être absolument redécouvertes.
Maurice Denis, est un autre de ses amis artistes, (cette fois un peintre non pas un musicien, dévoilant la diversité interdisciplinaire des amitiés de Castéra), l’a représenté (en un médaillon toujours en place) dans le programme décoratif pour le plafond du théâtre des Champs-Élysées à Paris… Castéra, silhouette élégante et longiligne, paraît debout, en tourneur de pages, assistant une autre interprète de génie, la légendaire Blanche Selva (cf. le visuel de couverture du livre. Blanche Selva est le sujet d’une récente parution discographique, édité par le label du Festival international Albert Roussel).
Voici dans une langue riche en anecdotes, révélatrice du climat d’échanges et d’amitiés entre les créateurs et leurs interprètes, René de Castéra dans son époque, dans le bain fécond des dialogues culturels, figure désormais révélée dans l’histoire de la « nouvelle École française de musique ». C’est aussi une chronique familiale, rurale et locale : le Sud-Ouest y est omniprésent, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe.
Les trois auteurs (Anne de Beaupuy qui est la petite-fille du compositeur René de Castéra ; Claude Gay et Damien Top, musicologue, auteur d’une biographie fondamentale sur Albert Roussel (Séguier, Carré Musique, 2000), évoque avec vivacité et précision, les filiations, admirations, réactions d’un milieu artistique passionnant. En son centre, comme l’axe d’une constellation de personnalités riches et singulières, René de Castéra, la belle demeure d’Angoumé et le piano Steinway.
Un cahier central de 16 pages regroupe de nombreuses photographies rares voire inédites, prises pour la plupart par Carlos de Castéra, le frère aîné, dont on saura tout sur le voyage aux Indes effectué avec Albert Roussel et son épouse!
L’apport documentaire qui fouille au delà des attentes du lecteur, le fond social, politique, et même économique (car les Castéra sont des propriétaires terriens, véritables gestionnaires patrimoniaux, comme le fut D’Indy…), aux côtés des nombreuses révélations musicales, du livre, est indiscutable. Lecture incontournable pour qui veut comprendre la musique au tournant du siècle et dans la première moitié du XXème siècle.
Annie de Beaupuy, Claude Gay, Damien Top: René de Castéra (1873-1955) : Un compositeur landais, au cœur de la Musique française. «Atlantica» (Éditions Séguier. Paris, décembre 2004. 496 pages).
Illustration: René de Castéra par Maurice Denis (crayon, 1912), esquisse pour le médaillon au plafond du TCE à Paris (DR)