mardi 22 avril 2025

Anvers. deSingel, le 18 novembre 2006. Artis Quartett Wien, Sharon Kam (clarinette). Concert Mozart, Wellesz, Brahms.

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Passer du XVIIIe siècle mozartien au romantisme déjà teinté de Jugendstil de Brahms, en transitant par le post-expressionisme des années 40, relève du défi – surtout dans le genre réputé difficile du quatuor à cordes. Pari gagné pour le Artis Quartett dans le cycle de musique de chambre axé sur Brahms à deSingel à Anvers.

 
Quelque chose d’universel émane du Artis Quartett Wien, et pourtant on le sent ancré dans la tradition viennoise. Les compositeurs au programme ne sont bien sûr pas étrangers à ce sentiment : Mozart, né Salzbourgeois mais Viennois d’âme et de coeur ; Egon Wellesz, Viennois de souche même s’il dut fuire sa patrie lors de l’Anschluss ; Johannes Brahms, Viennois d’adoption puisqu’il y séjourna fréquemment de 1860 à sa mort. Pour nous présenter ce bel échantillon de musique de chambre de tradition austro-allemande, deSingel, le centre d’art à Anvers, a fait appel au Artis Quartett Wien. Le concert donné le 18 novembre 2006, est le second du cycle construit autour de la musique de chambre de Brahms, le premier ayant eu lieu la veille, avec le Artis Quartett également.
 
Les « Dissonances » avant l’heure.
Le choix du Quatuor en sol majeur K. 387 de Mozart, quatorzième des vingt trois que Wolfgang allait composer, se révèle tout sauf anodin. Premier des six quatuors dédiés à Haydn, il s’agit peut-être du plus travaillé et, en même temps, du plus déroutant. L’héritage des grands maîtres du passé, Bach en tête, a été parfaitement assimilé par Mozart et le Artis Quartett (jouant debout comme il en a l’habitude) n’a aucun mal à mettre en évidence les qualités contrapuntiques de l’oeuvre : la fugue du molto allegro final en étant l’exemple le plus fort. Mais ce qui est plus saisissant encore, ce sont les modulations insolites, les rythmes surprenants qui parcourent l’oeuvre et notamment le menuet – un allegro qu’à l’instar de certains quatuors de Haydn, Mozart a utilisé comme deuxième mouvement. Le Artis Quartett n’hésite pas, dès que l’occasion se présente, à mettre l’accent sur le caractère acide voire rugueux de la composition. On est loin de l’image lisse et policée d’un Mozart qui, à 26 ans, n’a plus rien d’un compositeur de cour.
 
Entre post-expressionisme et néo-classicisme
. Un bond de quelques 150 ans nous mène à l’immédiat après-guerre, 1946, année de composition du 6e quatuor à cordes d’Egon Wellesz. Né à Vienne en 1885 et décédé à Oxford en 1974, Wellesz fait partie de cette génération de compositeurs dont l’oeuvre et souvent la vie seront sacrifiés par la montée des extrémismes. Contrairement à Wellesz qui a pu se mettre à l’abri, beaucoup d’autres artistes, compositeurs et intellectuels n’auront pas cette chance, et périront dans les atrocités des camps nazis. Prometteur élève de Schönberg, la carrière de Wellesz connaîtra une éclipse à la fin des années 30, mais  elle reprendra après que le compositeur ait émigré en Angleterre, où il deviendra un éminent spécialiste de la musique byzantine, tout en continuant à composer une oeuvre imposante qui reste encore à redécouvrir.
 
Son Quatuor à cordes n° 6, en quatre mouvements, n’abandonne à aucun moment le système tonal. La facture est néo-classique, en revanche l’atmosphère est profondément empreinte d’expressionisme. Les trois premiers mouvements sont extrêmement courts : à peine le temps d’une exposition, peu ou pas de développement. Comme si les épreuves de la guerre, tout juste terminée, pesaient d’un poids incommensurable, n’autorisant que la forme la plus stricte, interdisant tout discours ou dialogue qui viendrait contrarier la désolation ambiante. Seul le grazioso final offre quelque épanchement et amène un timide sourire ou une lueur d’espoir. Artis Quartett est à l’aise dans ce répertoire pas forcément très abordable. Un enregistrement intégral des quatuors de Wellesz est annoncé, et les quatuors d’autres compositeurs dits « dégénérés » (« entartet »), oeuvres souvent méconnues ou que les avatars de l’histoire ont fait passer au second rang, tiennent d’ailleurs une place importante dans leur discographie.
 
Vienne, fin de siècle. Un autre monde s’ouvre en seconde partie de concert, avec le Quintette pour clarinette de Johannes Brahms, assurément une des plus belles oeuvres de la littérature pour cordes et vents. C’est à la rencontre de Brahms avec le clarinettiste Richard Mühlfeld, en 1891, que l’on doit l’existence des pièces pour clarinette de Brahms, alors que le compositeur avait peu de temps auparavant, décidé de mettre un point final à sa carrière de compositeur. Sans cette rencontre inespérée, le mélomane aurait sans doute été privé de quelques-uns des plus grands chefs-d’oeuvre de la production brahmsienne. Le Artis Quartett est rejoint par Sharon Kam, jeune clarinettiste israélienne, dont la sonorité de velours et la justesse de ton nous enchante de bout en bout. Atmosphère en demi-teintes, climat intimiste, Sharon Kam et le Artis Quartett nous font osciller en permanence entre le crépuscule et l’aube, dans un subtil jeu d’ombres et de lumières annonciateur de l’art nouveau. La clarinette de Sharon Kam est ronde, profonde, et se fond dans les cordes en un dialogue équilibré. L’entente chambriste entre les cinq musiciens est plurielle, et lorsque s’évanouit la dernière variation du Finale con moto, c’est un sentiment de plénitude qui emplit la Salle Bleue du Singel. La qualité de cette chaleureuse interprétation n’aura pas été très éloignée de la perfection.
 
Anvers. deSingel, le 18 novembre 2006. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) :Quatuor à cordes en sol majeur K. 387.Egon Wellesz (1885-1974) :Quatuor à cordes n° 6 Op. 64.Johannes Brahms (1833-1897) : Quintette pour clarinette et cordes en si mineur Op. 115.Artis Quartett Wien, Sharon Kam, clarinette.
 

Approfondir
Le programme complet du cycle de musique de chambre Brahms à deSingel. Lire notre présentation générale.
Le site du Artis Quartett comprenant une discographie complète : www.artis-quartett.at (en allemand et en anglais)
Le site officiel du Fonds Egon-Wellesz constitué au sein de la Gesellschaft der Musikfreunde de Vienne, qui s’attache à l’étude et la reconnaissance de l’oeuvre d’Egon Wellesz : www.egonwellesz.at (en allemand, la version anglaise étant en préparation)

Illustrations
Le Artis Quartett Wien (copyright MedCommunications / Art Accents)
Gustav Klimt, Allée dans le parc du Schloss Kammer (1912) (Österreichische Galerie, Vienne)

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