jeudi 24 avril 2025

Audrey Roncigli: Le cas Furtwängler. Un chef d’orchestre sous le IIIè Reich Editions Imago. 294 pages

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Audrey Roncigli

Le cas Furtwängler

Ce livre pose un nouveau jalon dans la juste compréhension du « cas » Furtwängler au coeur des années les plus noires de l’histoire européenne. Celui qui ne souhaita jamais mêler explicitement musique et politique, ne cessa jamais de facto, de s’opposer au pouvoir hitlérien. Resté en Allemagne, à la différence des autres musiciens allemands  » de souche » tels Erich Kleiber ou Fritz Busch qui eux font le choix de s’expatrier en signe de résistance, Furtwängler, adulé par Goebbels, exerce dans l’acte symphonique et lyrique, un front spécifique qui se moque de l’emprise du diable.
Le livre d’Audrey Roncigli, riche en faits reportés, avérés, confirmés, réalise une photographie éblouissante sur l’esprit de l’époque, la noirceur trouble où règnent terreur, manipulation, instrumentalisation de la culture par le politique: la guerre ouverte exercée entre Göring et Goebbels, chacun mettant en avant son « champion » (Karajan, jeune ambitieux fringuant et opportuniste qui a sa carte du parti nazi; Furtwängler, l’aigle impérial à l’aura indiscutable mais l’autorité incontrôlable), les péripéties d’une vie entièrement dédiée à la musique sont restitués. En trois premiers chapitres biographiques: « Le conquérant (1906-1933) », « Le tragique (1933-1945) », « Vers la sérénité (1946-1954) », l’auteur analyse en détail toutes les facettes d’un tempérament musical hors du commun qui en dépit de sa posture apolitique, impose la musique comme un fait indépendant, l’exercice pleinement assumé et dépositaire d’une conscience qui échappe aux calculs d’intérêt et de profit immédiat.
La seconde partie « Pour une histoire du cas Furtwängler » répertorie les étapes de la réception après guerre de son oeuvre « militante »: « nazi ou pas? », « 1945 et l’après-guerre », « après 1954 »... Objet de vénération y compris d’Hitler, fort clairvoyant sur l’inestimable valeur du chef, vis à vis de jeune Karajan par exemple, « Furt » est le sujet d’une observation permanente des services de police et de renseignements du Fürher, SS et Gestapo. Le visuel de couverture dit assez la fascination exercée par le maestro auprès de l’élite hitlérienne et du Fürher en particulier (concert en présence d’Hitler, le 25 avril 1935).


Répertoire engagé ?




Soulignons le chapitre passionnant dédié au « répertoire de Furtwängler face au répertoire officiel »: car là est bien le véritable combat du chef au coeur du régime barbare. Dans le choix particulier des oeuvres jouées, Furtwängler a laissé en héritage un corps musical indiscutable que les nazis n’ont cessé d’instrumentaliser pour édifier la grandeur du IIIè Reich. 24 pages capitales où l’on comprend comment s’est construit la résistance musicale et esthétique d’un militant atypique (enregistrements pendant la période nazie, enregistrements de Furtwängler, concerts et opéras durant période nazie, le répertoire du Philharmonique de Berlin dont Furtwängler est chef depuis 1922, Furtwängler au concert et à l’opéra). Il reste fascinant que c’est en s’engageant pour la défense des compositeurs que Furtwängler coûte que coûte a fait acte de rébellion vis à vis de la censure culturelle d’Hitler… Sa carrière ne nous laisse-t-elle pas en définitive une figure libre de l’indépendance permise par l’excellence artistique?

Toutes périodes confondues (avant 1933, période nazie, après la guerre), le panthéon des compositeurs les plus joués par le chef demeurent Beethoven, Brahms, Wagner et Richard Strauss…puis Mozart et Schubert. L’analyse et les commentaires offrent une lecture passionnante: tout en servant son idéal esthétique, aujourd’hui reconnu comme légendaire, Furtwängler lègue un cycle d’enregistrements et de lectures remarquables qui impose de facto, le génie des compositeurs germaniques. Autant de réalisations qui s’inscrivent aussi à l’époque, dans la propagande développée par les cadres hitlériens. Telle n’est pas la moindre ambiguïté d’une oeuvre musicale parmi les plus essentielles de l’histoire musicale et de l’enregistrement. L’auteur en démêle la signification intrinsèque tout en la dissociant, vrai travail d’historien critique, de sa récupération et de son interprétation immédiate. Lecture capitale

Audrey Roncigli: Le cas Furtwängler. Un chef d’orchestre sous le IIIè Reich. Editions Imago. ISBN: 978-2-84952-069-7. 294 pages. Parution: février 2009

Lire notre entretien avec Audrey Roncigli à propos de Wilhelm Furtwängler

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