mardi 22 avril 2025

B. Dermoncourt: Igor StravinskyEditions Actes Sud

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B. Dermoncourt
Igor Stravinsky
Editions Actes Sud

Opportunité volontaire: au moment où Paris (et le monde) s’apprêtent à célébrer le centenaire du Sacre du Printemps de Stravinsky (créé sur la scène du Théâtre des Champs Elysées flambant neuf, un certain 29 mai 1913), Actes Sud publie une nouvelle biographie du génial autant que déconcertant Igor Stravinsky (1882-1971).
Il n’est pas créateur plus éclectique ni déroutant voire énigmatique que l’auteur du Sacre : la diversité de ses écritures d’une œuvre à l’autre ; la direction versatile de son profil esthétique (russe postromantique avec L’Oiseau de feu, puis symboliste expressif et fauve voire cubiste avec le Sacre ; néo classique avec Apollon musagète ou The Rake’s progress et Pulcinella ou Oedipus Rex; et encore en fin de carrière et de parcours musical, atonal et dodécaphoniste dans Agon (ballet de 1957 conçu avec Balanchine), puis surtout Threni… ! L’esprit de surprise ou la géniale diversité de Stravinsky laisse pantois. Mais à chaque fois, une volonté de faire table rase du passé pour se réinventer constamment ! Un magistral pied de nez à la routine et aux partisans des systèmes répétitifs… Ses ballets ou ses formes indéfinissables entre théâtre, opéra, danse (Oedipus, Mavra, Noces …) indiquent clairement l’activité d’une pensée critique qui semble faire feu de tout bois pour toujours oser, brûler, reformuler. Un tel tempérament rénovateur ne pouvait que trouver sa place au sein de la fabrique artistique expérimentale et pluridisciplinaire de Diaghilev…


moderne éclectique

Le texte biographique envisage le cas Stravinsky sous tous les angles de sa profonde et essentielle contradiction. Naturalisé française en 1934, Igor devient américain en 1945 : il était installé à Hollywood dès 1939.
Voici donc le grand Stravinsky, tsar incontesté de l’avant garde, d’abord parisienne ensuite américaine dont la sensibilité aussi délicate et millimétrée qu’un oscilloscope, exprime toutes les variations d’un temps historique tourmenté : il a vécu les deux guerres européennes et même anticipé la première avec le génie que l’on sait : Le Sacre du printemps de 1913 augure les déflagrations apocalytpiques de l’année suivante. Au delà d’une approche toujours nouvelle (parfois au bord du pastiche et du cliché), le compositeur révolutionne la question de la temporalité en musique : non pas développer pour l’équilibre, mais précipiter et synthétiser pour l’expressivité. Stravinsky aime tout rassembler et concentrer son style souvent en moins d’une heure de temps. Déjà le Sacre, en 1913, marque la conception séquentielle et pourtant fédératrice où la structure organique de la cellule ou séquence réalise l’unité  » dramatique de l’œuvre ». C’est comme il l’a dit lui-même, le bourgeon d’un arbre qui croit et participe à son échelle de la cohérence globale.

Contemporain de Ravel dont la mort en 1937 le couronne définitivement roi de la modernité absolue, Stravinsky domine incontestablement l’écriture musicale américano-européenne jusqu’à sa mort en 1971.
Tout en suivant le parcours chronologique de l’œuvre, le texte met en lumière les rapports toujours ambigus cultivés au cours de ses coopérations artistiques: tel Diaghilev avec lequel se construit l’épopée exceptionnelle des ballets Russes… Stravinsky livre pour le directeur artistique et imprésario, plusieurs musiques éblouissantes (L’Oiseau de feu, Petrouchka, évidemment le Sacre, mais encore Apollon musagète et Le Baiser de la Fée…) avant de le lâcher pour Balanchine, et Cocteau… Le talent du compositeur est stupéfiant et magnétique ; le profil de l’homme plus complexe et irréductible. C’est un éclectique affûté, capable de comprendre avant les autres et synthétiser les courants contemporains simultanés. Le regard du maître (si perçant dans toutes les photos qui le représentent toujours habillé avec raffinement) ne cesse de scruter à l’horizon de la musique de façon permanente, dynamique et critique : les ferments de son futur : le compositeur voit non pas grand… mais loin. En semblant questionner toujours l’acte musical avant de choisir sa mise en forme, Stravinsky tire l’exercice de son art tel un cheminement sans fin riche d’une modernité aiguë dont il renouvelle sans cesse les manifestations. C’est finalement un réformateur infatigable. Le comble du moderne. Voyez ainsi la fascination intacte du Sacre, 100 ans après sa création parisienne. Aucune œuvre du XXème ne suscite un tel enthousiasme partagé et unanime (à part le Boléro de … Ravel, son contemporain justement).

B. Dermoncourt: Igor Stravinsky. Editions Actes Sud. Prix indicatif: 18,50 euros. ISBN: 978-2-330-01619-7. Parution : mai 2013.

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