jeudi 24 avril 2025

Benjamin Britten, Owen Windgrave (1971)

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D’après Henri James, l’opéra illustre l’engagement du compositeur antimilitariste. Mais le sujet assemble aussi plusieurs idées centrales du
théâtre de Britten : la mort de l’adolescent et le soupçon de la
fascination homosexuelle que le jeune héros suscite chez son maître
Coyle. Britten est fidèle à la qualité d’attraction virile qui unit
dans le roman de James, le maître à son élève. Il y a peut-être aussi
dans cette affection réciproque, le souvenir du premier amour de James
comme en témoignent les lettres que l’écrivain adressa au jeune
sculpteur américain, Henrik Andersen. Sur le thème d’une admiration
partagée, James écrit aussi « L’élève », nouvelle qui décrit sur le mode
contemplatif l’affinité qui unit le précepteur et son protégé.
Mais
chez Melville comme chez James, le poison du meurtre est absent : il
n’apparaît que chez Britten. Toute attraction homosexuelle semble
inéluctablement tourner au meurtre ou au suicide. La quête de l’absolu et de la beauté doivent-elles inéluctablement mener au chaos? Cette question récurrente sera autrement posée avec plus de noirceur et de poison, dans « Mort à Venise » (1973).

A l’écran comme au théâtre
En 1968, Britten travaille à son nouvel opéra, aidé pour le livret, de Myfanwy Piper. Le sujet, inspiré du roman éponyme d’Henry James, et publié en 1892, lui permet d’aborder un sujet cher, qu’il a vécu lui-même au moment de la Seconde Guerre mondiale : la dénonciation du non fondé de la violence et de la guerre, d’autant plus critiquées pour les victimes qui en payent le prix fort et que le compositeur s’est révélé un anti-militariste convaincu. En novembre 1970, selon ce qui était prévu, l’opéra fut d’abord réalisé pour la télévision, à l’initiative du commanditaire, la chaîne BBC : scénario, montage, distribution, tout fut validé par le compositeur. L’ouvrage fut ainsi créé en mai 1971, puis représenté sur la scène, en 1973 à Covent Garden. Au final, l’ouvrage devait autant se prêter à l’écran qu’au théâtre.

Après avoir adapté The Turn of the screw, (Le tour d’écrou) également d’Henri James, Britten découvre la nouvelle de l’écrivain qui correspond exactement à ses engagements pacifistes. Owen Windgrave, héritier d’une famille prestigieuse d’illustres guerriers, refuse de poursuivre son éducation militaire et décide, contre les plans du clan familial, y compris sa fiancée, de cesser ses études. Mais comment montrer son courage dans un combat très difficile où les tenants de l’ordre et de la tradition n’aiment ni les tire au flanc, ni les lâches? Il y a autant de force d’âme à combattre qu’à refuser de tuer son ennemi, et Owen Windgrave le prouvera en payant cependant le prix fort, lui aussi.

Sur le plan musical, le compositeur aborde la gamme dodécaphonique, en concevant un opéra de chambre qui exige cependant 46 musiciens. La violence et l’efficacité de l’écriture traite avec grandeur un thème d’autant plus délicat et sensible qu’il engage l’identité virile et l’une des valeurs essentielles qui a fait la gloire de l’empire britannique, l’héroïsme patriotique. Mais au prix de combien de vies humaines ? proclame Britten par la voix de son héros, Owen Windgrave.

Solitaire mais entouré, rebelle et différent, Britten est célébré de son vivant comme le plus grand compositeur britannique après Purcell. Il est vrai que son génie qui s’exprime essentiellement au théâtre, atteint l’universel grâce à la force de ses évocations poétiques. A ce titre, il sera anobli par la Reine en 1953, et fait « Lord », en 1967.

Illustrations
Bronzino, portrait d’un jeune collectionneur (Florence, musée des Offices)

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