A propos de votre nouveau film sur Glenn Gould, qu’avez-vous souhaitez mettre en avant ?
J’ai souhaité sortir du cadre conventionnel. Faire appel à un genre qui n’existait pas. C’est un documentaire, et cela n’en est pas un. C’est une fiction, et cela n’en est pas une. Je voulais donner une dimension réelle au personnage de Glenn Gould. Il y a le mythe, la figure légendaire. Mais il y a aussi, surtout, l’homme. Un être à part qui n’a pas de prédécesseur et qui n’aura probablement pas de successeur. A ce propos, nous avions comme projet de titre, « Glenn Gould, le mutant ». C’est vous dire la singularité qui est la sienne. Pour cette raison, j’ai voulu que l’homme prenne la parole, et raconte sa propre histoire. C’est lui notre narrateur. En polyphonie à sa parole, j’ai fait appel à des personnages, ceux-là réels, qui l’ont connu, et qui sont ses interlocuteurs.
Quelle est votre perception de l’homme ? Pensez vous que sa perception auprès du public a évolué ?
Pour ma part, la présence de l’artiste et de l’homme m’accompagne en permanence. Comme réalisateur et comme musicien, il m’a énormément apporté, et continue d’inspirer ma relation à la musique. J’ai découvert de nombreuses facettes de sa personnalité, en particulier au travers de son importante discographie, de sa filmographie, de ses écrits également.
Dès le début de notre relation, avant de mieux le connaître, j’ai deviné derrière le pianiste, cet être exceptionnel, remarquable par sa conception de la musique, et au-delà, dans sa relation à l’existence. Je l’ai surtout connu personnellement à partir de 1972 ,jusqu’à sa mort en 1982, soit au cours de ses dix dernières années. Au total, nous avons réalisé sept films.
Pour ce qui est de sa perception auprès du public, le choc de la découverte du personnage Gould a été simultané dans tous les pays. Je crois expliquer le phénomène dans le sens où pour tous ses admirateurs, il ne s’agit pas d’une seule admiration, mais d’une adhésion à un système de pensée. Je crois de ce point de vue, que mon film devrait ébranler nombre d’idées reçues et de convictions établies. L’hostilité à ce qu’il a réalisé et écrit ou dit, vient en majorité du milieu musical. Ce qu’il est important d’exprimer, c’est de dépasser la question purement musicale et de reconnaître la grandeur de l’homme, ses qualités humaines. Il nous offre une perception particulière de la musique dans cette manière de placer l’évaluation de la musique hors de son époque, hors du temps, hors des contingences de goût et de mode. A ce titre, dans le film, il parle de Bach comme du plus grand non-conformiste de tous les temps, qui ne se plie ni ne se réfère aux repères ni à l’esprit de son temps. C’est un autoportrait de lui-même. Glenn Gould ne souhaitait pas appartenir à une tendance de son époque. Il a préféré se retirer pour mieux se rapprocher de l’auditeur dans un rapport de un à un.
Comment filmer la musique ? Quelles sont vos clés d’approche dans l’écriture filmique ? Qu’est ce que l’œil de la caméra peut apporter à la compréhension de la musique ?
Vastes questions ! L’on pourrait écrire un traité de réalisation sur tous ces sujets. Si l’on se réfère aux genres identifiables, il y a d’un côté le documentaire, et de l’autre, la fiction. Je mets de côté, la captation de concerts qui se justifie dans l’instant et répond à un besoin de consommation, au demeurant très compréhensible. Mon travail se situe à cheval entre la première et la deuxième catégorie.
Je crois que l’objectif est de susciter une émotion d’ordre musical par le biais de la caméra. Le plus souvent, dans le cadre d’une captation par exemple, il est facile de multiplier les caméras ; or je crois que la difficulté et la nécessité justement, est de transcrire l’émotion à une caméra. Bien sûr, il est possible de doubler la caméra principale, par une seconde. Le travail du réalisateur se concentre sur l’écriture qui naît de ce rapport à une caméra ; ce qui n’empêche pas de varier les plans, bien sûr. Mais cela suppose un travail d’écriture et de conception, une préparation aux œuvres et un long moment de gestation. Soigner la lumière, le cadrage, l’enchaînement et le sens de chaque plan. Ce qui est primordial aussi, c’est filmer les rapports et la connivence entre les interprètes quand ils jouent ensemble.
Quels sont les réalisateurs ou les films qui ont retenu votre attention ?
Il y a le film réalisé par Alexandre Sokourov sur Chostakovitch. Certains films réalisés par Herbert Von Karajan sont également de vraies réussites. Ce que je regrette beaucoup, c’est la tendance actuelle à vouloir tout expliquer, à saturer l’image de commentaires parfois insistants et inutiles. Il faudrait laisser l’image s’exprimer seule. Je vous dis cela avec d’autant plus de conviction que pour la diffusion de mon film vers les marchés anglo-saxons, pour la BBC et les Etats-Unis, nous avons été contraints de couper certaines scènes jugées inutiles, et ajouter des commentaires continus. Evidemment je peux comprendre ce besoin excessif d’explicitations mais cela va à l’encontre de l’écriture dramaturgique.
Quels sont vos projets ?
En jetant un regard sur ce que j’ai réalisé, il y a certains films qui ne sont plus accessibles, voire des masters ou des originaux introuvables. Je voudrais défendre ce patrimoine qui doit être à disposition du plus grand nombre, en veillant à sa conservation et aux conditions de sa diffusion.
J’ai aussi le souci de continuer ce que j’ai amorcé, dans l’esprit de mes films consacrés à Yehudi Menuhin, par exemple. Il s’agit d’accompagner sur la durée, la démarche d’un artiste, de suivre sa carrière, les évolutions de son jeu, ses choix musicaux.
Dans ce sens, je souhaite poursuivre mon travail avec le pianiste Piotr Anderszewski, initié avec notre film consacré aux Variations Diabelli de Beethoven. Je suis heureux qu’entre nous, se soit instaurée une relation de confiance. Il y a également, mon envie de prolonger ma rencontre avec le jeune violoniste, Valery Sokolov. D’autant qu’il a encore évolué après notre premier film dans lequel il était encore très jeune. Je le considère comme l’un des futurs grands violonistes. Et puis, j’aimerais enregistrer les cours de chant de Julia Varady. Nous avons déjà travaillé ensemble. Je dispose de nombreux documents d’archives sur la cantatrice. Mon idée est de réaliser un film sur son activité de pédagogue et sur l’immense chanteuse qu’elle fut sur la scène.
Dans l’immédiat, après ce film sur Glenn Gould, je m’apprête à partir en tournée où je donnerai plusieurs concerts (*).
(*) outre ses activités comme réalisateur, Bruno Monsaingeon est ausi violoniste.
Propos recueillis par Alexandre Pham