Un sourire lumineux, empreint de simplicité et d’un brin de malice, celui d’Elisabeth Leonskaya, accueillant le public du Conservatoire royal de Bruxelles dans l’intimité d’un salon où l’art de la musique est pratiqué avec convivialité et distinction. Dans les Sonnets de Pétrarque n° 104 et 123 de Liszt, le chant est respiré, déclamé, presqu’étiré. Elisabeth Leonskaya prend le temps de réciter ces poèmes, qui se languissent d’amours inaccessibles et de guerres que l’on se résigne à ne pas mener : « Pace non trovo, e non ho da far guerra« . Sous les doigts d’Elisabeth Leonskaya, Liszt chante autant que Pétrarque, exprimant l’exaltation du poète, et l’admiration tout aussi exaltée du musicien pour le poète.
Avec la Grande Sonate de Tchaikovsky, Elisabeth Leonskaya se fait l’ambassadrice engagée d’une oeuvre peu fréquentée du répertoire. Le dynamisme et le tonus de cette partition méconnue ont tout pour mettre en valeur l’ample sonorité et l’endurance technique d’Elisabeth Leonskaya, sa virtuosité, son style étant intacts depuis la seconde moitié des années 60, où elle remportait coup sur coup les concours Enesco, Long-Thibaud et Reine Elisabeth. La Grande Sonate est une oeuvre foisonnante, parcourue d’une multitude d’idées et de climats, indubitablement marqués du sceau de Tchaikovsky. Leonskaya défend avec conviction les presque quarante minutes de la partition, s’attachant à y déceler tendresse et nostalgie, humour et finesse, grandeur et sensibilité, dans un jeu tour à tour perlé et impétueux. Les thèmes principaux des premier et quatrième mouvements, conquérants, éminemment schumanniens, sont magnifiques : à notre sens, ils justifient à eux seuls la programmation de cette oeuvre à redécouvrir.
La deuxième partie de la soirée est entièrement consacrée à Chopin, avec l’intégrale des Scherzos, couplés deux par deux, et entrecoupés d’un moment de rêverie avec le Nocturne n°8. Voilà un Chopin au lyrisme haletant, faits de contrastes violents plus que de continuité mélodique, et très loin de toute mièvrerie romantisante. Leonskaya aborde ses partitions avec une énergie proprement épique, sans le moindre maniérisme, donnant raison à Cortot qui disait que les Scherzos de Chopin « sont des jeux, mais terrifiants; des danses, mais enfiévrées, hallucinantes, qui ne semblent rythmer que l’âpre ronde des tourments humains« . Elisabeth Leonskaya se joue de tous les écueils techniques, dompte avec maîtrise les flux vertigineux de l’âme chopinienne, met en place les couleurs et les plans sonores avec une stupéfiante efficacité.
Le public, conquis, acclame longuement la noblesse toute naturelle et la vivifiante musicalité d’Elisabeth Leonskaya. A noter dès à présent qu’Elisabeth Leonskaya sera à nouveau l’invitée de Bozar Music les 13 et 15 mai 2007, pour interpréter le Concerto n° 2 de Prokofiev avec l’Orchestre National de Belgique sous la baguette de son nouveau directeur musical Walter Weller.
Bruxelles. Conservatoire, le 20 janvier 2007. Franz Liszt (1811-1886) : Sonetto del Petrarca n° 104, Sonetto del Petrarca n° 123. Piotr Ilitch Tchaikovsky (1840-1893) : Sonate n° 2 Op. 37. Frédéric Chopin (1810-1849) : Scherzo n° 1 Op. 20, Scherzo n° 2 Op. 31, Nocturne n° 8 Op. 27/2, Scherzo n° 3 Op. 39, Scherzo n° 4 Op. 54. Elisabeth Leonskaya, piano.
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Jean Mayerat