mercredi 23 avril 2025

Bruxelles. Théatre royal de la Monnaie, vendredi 22 janvier 2010. Richard Strauss, Elektra (1909). Avec Evelyn Herlitzius (Elektra), Doris Soffel (Klytemnestra), Eva-Maria Westbroek (Chrysothemis), Gerd Grochowski (Orest) Guy Joosten (mise en

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Qui louer, complimenter, encenser à l’occasion de cette magistrale
production d’Elektra de Richard Strauss au Théatre Royal de la Monnaie
de Bruxelles ? Le metteur en scène Guy Joosten ? Assurément, pour
l’intuition, le discernement dont fait montre son approche de cet
épisode, plutôt tumultueux (!), de la saga des Atrides. Lothar Koenigs,
directeur musical du Welsh National Opera, qui faisait ses débuts à
Bruxelles après avoir excellé dans Salomé à Cardiff ? Sans nul doute,
pour ses évidentes affinités straussiennes qui ont mené l’Orchestre
symphonique de la Monnaie vers un triomphe bien mérité. Les solistes vocaux ou, en l’occurrence, vocales tant il est vrai qu’abstraction faite du personnage d’Oreste – et de celui, somme toute mineur dans la partition, d’Egisthe – Elektra est essentiellement un opéra de femmes ?

Incontestablement, car l’oeuvre de Strauss ne peut se « réaliser » sans l’engagement et même l’endurance des chanteurs (-euses), dont le compositeur exige sans discontinuer le « maximum », pendant les quelques 100 minutes que dure l’acte unique. N’oublions pas Strauss lui-même, génie de l’opéra du XXe siècle, personnalité complexe dont tant le parcours de vie que l’oeuvre suscite la controverse. Vénéré par les uns, vilipendé par d’autres reprochant à sa musique un certain « kitsch » teuton, voire une manière d' »insincérité » (Gide !), alors que son langage atteste en réalité d’une redoutable efficacité musicale, tout entière au service d’une intelligence de la scène et d’un sens de la dramaturgie que peu, hormis Mozart et Verdi, avaient atteint avant lui.

L’explosion introductive du leitmotiv d’Agamemnon fait … imploser la traditionnelle ouverture, réduite ici à sa plus simple expression, âpre, violente, et convulsive déjà. Immédiatement, le décor, tant sonore que visuel, est planté: mélange d’obscurité et d’éclat, selon l’indication du librettiste Hofmannsthal, la cour du palais de Mycènes revisitée par Patrick Kimmonth a rarement été moins accueillante, hautes murailles décrépies, monotone grisaille perçée de rares ouvertures aveugles, qui figure à la fois la prison (celle où végète Electre) et la résidence royale déchue. La désolation architecturée par le metteur en scène est encore accentuée par l’éclairage blafard de réverbères aux allures staliniennes. C’est là que crèche la princesse Electre, au milieu d’un amoncellement de vieux fûts, échouée sous un mirador évocateur de l’univers concentrationnaire où « la femelle » (« das Weib », comme Elektra qualifie sa mère) l’a parquée, sous la surveillance 24 heures sur 24 d’une des servantes, reconvertie pour l’occasion en sinistre sergeante affublée d’un uniforme kaki qui la fait sortir tout droit d’Abou Ghraïb ou de Guantanamo … Ni Strauss et Hoffmansthal en 1909, ni Joosten et Kimmonth en 2010 ne font dans la dentelle …

Et pourtant la mise en scène et les décors s’efforcent d’arrondir les angles, de rendre « plaisante » la lourdeur de l’atmosphère et « raffinée » la basse-cour où Electre croupit, par quelques idées propices, telle la couche d’Electre qui lors de la « psychanalyse » de Clytemnestre se transforme en luxueux « divan » surmonté d’une jolie ombrelle (destinée, sans doute, à protéger la reine contre les cauchemars que lui inspirent le retour pressenti d’Oreste …). Réussie, également, quoique moins originale, l’idée de rassembler les servantes, lors de la première scène, « joyeuses commères de Mycènes », jacassant à tort et à travers, se moquant d’Electre (sauf l’une d’elles, restée fidèle à la fille du roi assassiné), dans ce qui leur tient lieu de vestiaire, meublé d’armoires métalliques dignes d’une caserne. Efficace aussi pour rendre l’air plus respirable, le chassé-croisé d’éclats de rires mordants et abrupts d’Electre et Clytemnestre, la première énivrée à l’idée de la vengeance prochaine, la seconde exultante lorsque sa confidente vient lui rapporter la mort d’Oreste … Belle, inattendue et au puissant effet de surprise, la scène finale qui montre les étages du palais de Mycènes à la balustrade d’une blancheur immaculée contre laquelle sont écrasés les corps ensanglantés de Clytemnestre, Egisthe et leur suite.

A la réussite scénique et visuelle de cette production répond le niveau élevé de la prestation musicale. Les musiciens de l’orchestre de la Monnaie excellent de bout en bout, soutenus par le geste attentif de Lothar Koenigs. Le chef allemand et gallois d’adoption, réussit la gageure d’extraire de la partition touffue et tassée, l’essence chambriste, rendant fluide et presque transparante la matière brute posée sur le papier par un Strauss plus déchaîné ici que dans n’importe quel autre de ses opéras. Les avalanches sonores qui tel un torrent rédempteur déferlent sur Electre, sont réservées au délire oedipien auquel donnent lieu, dans la mise en scène de Joosten, non seulement la Reconnaissance du frère en l’Etranger mais également – et de façon moins traditionnelle et un peu éloignée sans doute des intentions du livret – la mort extatique d’Electre, dans les bras d’Oreste plutôt que dansant, absente et interdite, après qu’il ait vengé la mort du père.

Les (grandes) dames qui monopolisent la scène durant la quasi-totalité de la représentation ne sont pas en reste: la soprano néerlandaise Eva-Maria Westbroek incarne une Chrysothemis faite d’humilité passionnée et d’humanité. Tout chez elle est vibrant (sauf son timbre, pur et égal dans toutes les tessitures), la vie, le coeur, l’amour qui semble impossible à atteindre. Doris Soffel est une mezzo royale en Klytemnestra, au port et au timbre altiers, faisant passer avec merveille dans la voix ce mélange de pitoyable angoisse face au remord qui la hante, et de suffisance superbe et hautaine. Quant à l’Elektra d’Evelyn Herlitzius, qu’en dire sinon que son énergie, sa ténacité à embras (-s-) er ce personnage fait d’ambivalence et d’hystérie au sens freudien, force l’admiration et n’autorise que des louanges. Et toutes trois ont en commun un talent scénique et dramatique évident qui font de cette soirée de théatre musical une performance mémorable.

L’ère Mortier est entrée dans l’Histoire du Théatre royal de la Monnaie. Si Peter de Caluwé nous offre encore ne fût-ce que quelques productions du même niveau, nul doute que son intendance fera date elle-aussi.

Bruxelles. Théatre royal de la Monnaie, vendredi 22 janvier 2010. Richard Strauss, Elektra (1909). Guy Joosten (mise en scène), Patrick Kimmonth (décors et costumes), Manfred Voss (éclairages). Orchestre symphonique de la Monnaie, Lothar Koenigs (direction). Evelyn Herlitzius (Elektra), Doris Soffel (Klytemnestra), Eva-Maria Westbroek (Chrysothemis), Gerd Grochowski (Orest), Donald Kaasch (Ägisth).

Illustrations: la reine Klytemnestra et sa fille Elektra. Après l’acte matricide dans le palais de Mycènes. (DR Bernd Uhlig).

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