
Du temps qui passe, subi par nécessité sur le pont des navires -jonques, galions, caravelles-, entre deux escales souvent très éloignées, aux rencontres inoubliables vécues en Chine, dans les Appalaches, aux confins du Proche-Orient, jusqu’en Asie, les musiciens du Baroque Nomade font – et même jouent-, un voyage scénique riche en métissages. Les épices rapportées sont ici de savoureuses pépites musicales, dont l’origine remonte majoritairement au XVIIè voire à des documents plus anciens. L’intérêt du voyage est multiple et trouve dans cette représentation au Théâtre de Cachan (94), après sa création à Lure (Haute-Saône, à l’été 2010) puis Pontoise et au Périgord, une unité nouvelle qui devrait encore s’affiner en cours de tournée.
Voyage et métamorphoses
Prétexte e
t guide, il y a cette figure blessée, insoumise de Daphnée, vénitienne en partance, en quête d’elle-même. La soprano Cyrille Gerstenhaber apporte chair et vertiges au personnage autour duquel tournent les compagnons de voyages et les nouveaux partenaires: d’Angleterre aux Appalaches, d’Abyssinie et des Philippines à la Chine…
Le spectacle met en scène instrumentistes et chanteurs en un théâtre d’ombres qui parlent évidemment à l’imaginaire, et convoque même subtile image emblématique, la silhouette déformée, gigantesque de la violoniste, sur la voilure étirée, comme un ange plafonnant ne cessant de flotter dans les airs, comme une allégorie baroque: l’image de toutes les créations illusionnistes réalisées aux XVIIè et XVIIIè siècles.
Sur son chemin propice à l’échange, Daphné croise celle d’un moine pèlerin qui sera son compagnon émerveillé, complice d’une métamorphose progressive: dans ce champs(chant) des humanités confrontées, des découvertes et des cultures rencontrées, la femme reprend pied et souffle: elle s’offre à la fin du spectacle, une nouvelle vie faite de fraternité, d’apaisement recouvré, de partage.
Le choix des musiques opéré par Jean-Christophe Frisch qui apparaît dans le spectacle sous le masque du voyageur bienveillant (vis à vis de Daphné) reste captivant: à l’opéra vénitien qui ouvre et conclue l’action, le chef flûtiste associe de nombreuses prières bouleversantes, les intermèdes purement instrumentaux de Cima.
Les tableaux s
ont suggestifs, interrompus par une tempête frappant les navigateurs avant qu’ils ne voient la terre (enfin), et ne découvrent la Chine et ses habitants. Sur la voie d’une nouvelle assurance, Daphné et ses compagnons s’offrent même un banquet sonore où chacun joue l’instrument qui lui est familier (viole de gambe et flûte, pipa, santur et sitar, sans omettre les superbes percussions de Pierre Rigopoulos)… Au terme du voyage, nos sens sont rassasiés de contrées traversées, d’images sonores mêlées. Comme le journal d’une voyageuse, désenchantée mais curieuse, la production éclaire ce qui fait de la musique, une source miraculeuse: son empathie, sa faculté à chanter et exprimer la vérité des êtres et toucher l’essence d’un voyage véritable: celui qui au contact des autres, nous apprend à mieux nous connaître nous mêmes. Superbe aventure.
Cachan (94). Théâtre, le 9 novembre 2010. Daphné sur les ailes du vent. Nouvelle production du Baroque Nomade. Spectacle lyrique. Musiques du XVIIe siècle. Adaptation et conception musicales de Jean-Christophe Frisch. Avec Cyrille Gerstenhaber, soprano, Daphné, vénitienne; Christophe Laporte, alto, un navigateur français; Wang Weiping, pipa, chant, une concubine de l’Empereur; Shi Kelong, percussions, chant, le mandarin chinois; Jonathan Dunford, basse de viole, banjo, chant, le capitaine Tobias Hume ; Yan Bernard, jongleur, Apollon; Hassan Tabar, santur; Michel Guay, sitar ; Rémi Cassaigne, théorbe, guitare ; Emmanuelle Guigues, basse de viole; Nanja Breedijk, harpe; Mathieu Dupouy, clavecin, orgue, prêtre; Pierre Rigopoulos, percussions, un voleur; Sharman Plesner, violon, une voyageuse; XVIII 21 le Baroque Nomade. Jean-Christophe Frisch, le Voyageur, flûte, direction.
vidéo

Créé en juillet 2010 au festival Musique et Mémoire (Haute Saône),
le nouveau spectacle du Baroque Nomade: Daphné, sur les ailes du vent,
est un voyage merveilleux qui mêle métamorphoses et rencontres,
découvertes et métissages, de Venise en Chine, des Appalaches au Nouveau
Mexique. La Vénitienne en partance, daphné, en est la figure emblématique: figure d’une quête, silhouette centrale pour un cycle de métamorphoses…
Illustrations: l’ombre de la violoniste Sharman Plesner dans la voilure © Agathe Dupont pour Le Baroque Nomade 2010,© classiquenews.com 2010