CD, compte rendu critique. BRUCKNER : Symphonie n°4. Andris Nelsons. Gewandhausorchester Leipzig (1 cd Deutsche Grammophon 2017). La 4è de Bruckner est dite « romantique » : serait-ce parce qu’elle réussit une nouvelle sagesse ample et majestueuse malgré l’ampleur des effectifs ; le sentiment préservé malgré l’esprit du colossal ? La noblesse parfois emphatique, la solennité parfois spectaculaire ne doivent jamais amoindrir l’allant altier, l’électricité souterraine qui illumine de l’intérieur, une partition toute dédiée à l’auteur de Tristan : l’ampleur des tutti, le clair obscur âpre, mordant, violent, sauvage des contrastes, opposant, affrontant les pupitres et familles d’instruments (cordes / bois / cuivres en fanfare déployée), enfin l’allure… doivent immédiatement sa nourrir d’une vitalité jamais éteinte : continue, tendue, soutenue de haute lutte. Voilà qui fait les grandes interprétations (Jochuum, Gand, et le plus récent, de surcroît sur instruments d’époque, Herreweghe avec son fabuleux orchestre des Champs-Elysées, lequel dépoussière aussi de façon décisive… le massif brahmsien).
Ici reconnaissons à Andris Nelsons, la continuité d’un travail passionnant réalisé avec le Gewandhaus Orchester Leipzig, familier par ailleurs du répertoire symphonique germanique, de Mendelssohn à … Mahler. Successeur ici même de Masur, puis de Chailly, Andris Nelsons n’est pas encore concrètement directeur musical de la phalange de Leipzig, mais il poursuit une manière de cycle brucknérien…avec l’orchestre, par le disque.
Reconnaissons d’emblée que la sûreté du geste, la clarté de la vision, et surtout la richesse et la cohésion de la sonorité de l’orchestre voisinne avec les meilleurs parmi le top 5 d’Allemagne : le Berliner Phil., le Radio Bavaroise, le Dresden, le Berliner Staatsoper… Un travail étonnant en maîtrise et intelligence intérieure obtenue en proportion avec un travailleur forcené qui dirige aussi le Boston Symphony orchestra (DG enregistre les Symphonies de Chostakovitch simultanément à Bruckner à Leipzig donc…).
Après la 3è Symphonie (saluée par classiquenews : voir ci dessous le lien vers la critique du cd), cette Symphonie n°4 de Bruckner ne démérite en rien : au contraire, les qualités de cohésion interne, d’énergie architecturée, de lisibilité voire de transparence de la matière orchestrale, malgré ses contrastes par vagues submersives et l’ambition des effectifs requis (3 flûtes, bois par 2…, riche fanfare des cuivres comprenant 4 cors, trompettes et trombones par 3, tuba…). Enregistré en 2017, la lecture saisie sur le vif (Live recording) confirme l’aisance du maestro Nelsons comme architecte et prophète : exigeant, cultivant le détail comme le souffle ; il opte pour la version 1878 / 1880 plus courte, raccourcie à circa 65 mn / versus 75 mn par un Bruckner âgé, obligé à de sérieuses coupes sous la pression de son éditeur, mais avec un nouveau Scherzo et un finale « rationalisé »), travaillant sur la clarté structurelle (le premier mouvement allegro molto moderato, l’un des plus complexe par son assise, mais d’une construction lumineuse). S’aidant surtout de la flexibilité aérienne et scintillante des excellentes cordes. Nelsons aime l’efficacité mais aussi la fidélité au texte originel, reconnaissant ainsi à Bruckner, l’artisan dit rustre, une évidente intelligence de bâtisseur : pas étonnant donc qu’il ait préféré cette version équilibrée, développée, comparée à celle retaillée (à la serpe parfois) de 1889). Rien ne nuit ni n’empêche la fabuleuse activité de l’orchestre où perce l’élégie incisive, individualisée des fabuleux solos instrumentaux … notons la couleur nuancée mélancolique de l’Andante, moins endeuillé que songeur voire énigmatique ; l’énergie cynégétique du Scherzo, celui réécrit par Bruckner, doué d’une inspiration très programmatique mais saisissante par sa flamboyance contrastée ; enfin, l’équilibre et la résolution qui ordonne dans une aisance souveraine, le FINALE, dont le portique dernier donne la mesure de l’imaginaire mystique de Bruckner : un Hosanna miraculeux dont Nelsons nous fait entendre la légèreté et l’élan irrépressible.
Voici la preuve nouvelle que Nelsons est bien un brucknérien de première qualité. A suivre, car le cycle Bruckner à Leipzig devrait ainsi se poursuivre. Le Prélude de Lohengrin joué en lever de rideau pour ce récital symphonique, semble envisager les éthers célestes que Bruckner parvient à rejoindre lui aussi en une prière lente, solennelle, majestueuse et parsemée de stations, noires et sombres, pastorales et lumineuses. Itinéraire passionnant.
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CD, compte rendu critique. BRUCKNER : Symphonie n°4. Andris Nelsons. Gewandhausorchester Leipzig (1 cd Deutsche Grammophon 2017)
LIRE aussi notre critique complète de la Symphonie n°3 de Bruckner par Andris Nelsons. Gewandhausorchester Leipzig (1 cd Deutsche Grammophon 2016)
http://www.classiquenews.com/cd-compte-rendu-critique-bruckner-symphonie-n3-wagner-ouverture-de-tannhauser-andris-nelsons-gewandhausorchester-leipzig-1-cd-deutsche-grammophon-leipzig-juin-2016/