CD, compte rendu critique. Rachmaninov : Symphonie n°3. Valery Gergiev, novembre 2014 (1 cd LSO Live). L’opus 44 de Rachmaninov en la mineur accuse et la présence occidentale dans l’oeuvre du symphonisme, le plus ardent parmi les créateurs russes après Tchaikovski, défendant toujours une active énergie de la nostalgie dans un langage flamboyant qui l’affirme comme un immense créateur pour l’orchestre. La Symphonie n°3 combine idéalement tentation panique du repli mélancolique, voire dépressif, et esprit de conquête intérieur sur des démons personnels. Gergiev comprend parfaitement cette ambiguité inhérente à la sensibilité d’un Rachmaninov tiraillé : pulsion de vie et effondrement amer… Ecrite en 1936 aux USA, créée en novembre 1936, sous la direction de Leopold Stokowski à Philadelphie, la 3ème clame ses humeurs sombres, âpres, toujours suractive. Rachmaninov le déraciné, fait chanter avec force (particulièrement l’allegro moderato du premier mouvement) son amour pour sa patrie avec une intensité rare qui renoue avec la partition purement instrumentale antérieure (L’Île des morts de 1909), avant la grand œuvre des Danses Symphoniques de 1940.
Le raffinement de l’orchestration, incises trépidantes et toujours très actives des cordes, cors majestueux, flûtes et hautbois dansants et insinueux, scintille avec mesure sous la baguette d’un Gergiev très scrupuleux, toujours parfaitement allant et précisément dramatique. L’Adagio exprime une douceur attendrie recueillie qui se recentre dans le chant du violon solo, avec des couleurs et accents typiquement américains (sentimentalisme… que Gergiev sait tempérer en russe qu’il est, évitant le pathos démonstratif et appuyé dans lequel trop de chefs s’embourbe).
Dans le dernier mouvement, vif, dont l’énergie chorégraphique éperdue et conquérante rappelle Borodine, Gergiev se montre très attentif à mille nuances qui écarte à qui sait les percevoir, l’étoffe du clinquant Rachmaninov de la pleine maturité américaine, d’une démonstration hollywoodienne. La mise en place très précise des pupitres (déjà parfaite dans l’intervention du contrebasson et du célesta dans le second mouvement, produit les mêmes bénéfices : Rachmaninov y semble parcourir et fouiller toutes ses émotions les plus ténues, recomposant sa propre légende personnelle avec une finesse instrumentale et une cohérence dans son déroulement qui souligne la sincérité de la construction. La pâte du LSO London Symphony Orchestra évite toute lourdeur, révélant une superbe finesse instrumentale, une sensualité ardente et souple (6’27 du 3ème mouvement) tout en marquant chaque jalon de la formidable énergie finale. Tout cela va dans le sens d’une caractérisation scintillante de l’écriture instrumentale, moins, et c’est une tendance légitime et juste, vers une approche contrastée par masses. De sorte que malgré les soubresauts rythmiques, Gergiev fait souffler une langueur noble et simplement chantante, magistralement nostalgique. En définitive, ne voudrait-il pas nous confirmer ce qui demeure le caractère le plus emblématique de Rachmaninov, son romantisme éperdu, viscéral, jusqu’au boutiste qui en fait le dernier des grands symphonistes russes tendances classiques, aux côtés des Stravinsky, Prokofiev, Chostakovitch, eux aussi bien trempés mais plus perméables à la modernité musicale.
Le patriote Balakirev exprime une passion explicite pour la Russie historique et éternelle dont Russia manifeste clairement l’orgueil, une certaine fierté enivrée. Le pilier du Groupe des Cinq y évoque l’histoire russe à travers les 3 volets représentatifs : paganisme, gouvernements populaires, empire moscovite, chacune correspondant à une mélodie populaire spécifique. Créée à Saint-Pétersbourg en 1864, révisée en 1887, la partition offre un véritable condensé d’inspiration russe noble, très inspirée par le folklore populaire. Malgré la grandeur épique, le chef sait construire l’ouverture sur l’intériorité, la suggestion, le raffinement là encore d’une orchestration fine et qui conclue la pièce dans un murmure. Une élégance rare, une subtilité de ton font toute la saveur de cette approche qui respire et s’enflamme sans contraintes ni effets superfétatoires. En somme, un chant musical qui sous la baguette du chef s’écoule et se déploie comme une seconde langue.
CD, compte rendu critique. Rachmaninov (1873-1943) : Symphonie n°3 opus 44, 1935-1936. Mily Balakirev (1837-1910) : Russia, seconde ouverture d’après 3 thèmes populaires russes, 1864, révision de 1907. LSO Londons SYmphony Orchestra. Valery Gergiev, direction. Enregistrement réalisé au Barbican Center de Londre en novembre 2014. 1 cd LSO Live.